Romans


Éric Chevillard

Oreille rouge


2005
160 p.
ISBN : 9782707318947
14.20 €
50 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille
* Réédition dans la collection de poche double n° 44


Cet écrivain aime sa chambre, sa table, sa chaise, dans la pénombre : on l'envoie en Afrique où sont les lions, dans le soleil. Que va-t-il chercher là-bas ? Un grand poème, dit-il. Ou ne serait-ce pas plutôt l'inévitable récit de voyage que tant d'autres avant lui ont rapporté ? On l'a lu déjà, et relu. L'auteur va prétendre que des indigènes l'ont sacré roi de leur village. Il aura percé à jour les secrets des marabouts et appris de la bouche d'un griot vieux comme les pierres quelque interminable légende avec métamorphoses. Le pire est à craindre. Par bonheur, l'aventure tourne court. L'hippopotame se cache. L'Afrique curieusement ne semble guère fascinée par le courageux voyageur. En revanche, celui-ci prend des couleurs : est-ce le soleil ou la honte ? Nous l'appellerons Oreille rouge.

ISBN
PDF : 9782707325198
ePub : 9782707325181

Prix : 6.99 €

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Pierre Siankowski, Les Inrockuptibles, 9 février 2005

Une attaque jubilatoire du récit de voyage et, au passage, de la pose des faux écrivains : qu'est-ce qui compte le plus, l"accessoire ou le vécu ?
Depuis plusieurs romans déjà, Eric Chevillard semble vouloir prendre plaisir à saboter en creux les genres littéraires. On se souvient que, pour Les Absences du capitaine Cook, il était parti - une épée en plastique autour de la taille – à l’abordage du roman d’aventures. Plus récemment, avec Du hérisson, il avait planté quelques jouissives épinettes dans les mollets de l’autobiographie ; tandis que Le Vaillant Petit Tailleur avait, lui, réglé l’humble cas du conte, surtout celui de Grimm.
Avec Oreille rouge, son treizième et nouveau et très beau roman, l’auteur a cette fois décidé de s’offrir au grand jour le carnet de voyage. De se l’offrir avec une certaine aménité, parce qu’il n’est jamais question, dans la langue et les univers apaisés de Chevillard, de démolir pour démolir. Il s’agit plutôt de démonter pour remonter, de jeter les pièces au sol et au soleil pour reconstruire ensuite, lentement et sans notice, loin des us et des coutumes.
Au début d’Oreille rouge, il est question, comme souvent chez Chevillard, d’un écrivain au travail. D’un écrivain à qui l’on aurait proposé d’exercer ses quelques talents en Afrique, au Mali plus exactement. La question centrale est posée d’emblée : Au nom de quoi faudrait-il partir ? Et s’il était plus aventureux de rester ? Et si l’écriture comme l’herbe pouvait être plus verte ailleurs, s’interroge notre narrateur, qui, dans le doute, en profite pour faire l’acquisition d’un petit carnet de moleskine noire , cet outil de base de l’écrivain voyageur dont Chevillard fournit d’emblée une description très  pongienne , qui fixe le ton sarcastique et léger du livre.
Car notre héros tergiverse, part, revient, repart, n’est jamais parti du tout, tourne en rond et évoque au final autant le contenu de son hypothétique voyage que le carnet qui est censé le contenir. Et si tout cela n’était qu’une simple question de (mauvaise) posture, ironise très vite Chevillard, qui fournit à mi-roman un premier élément de réponse laissant bien peu de doutes sur ses intentions : Car s’il venait à égaler son petit carnet de moleskine noire, que lui resterait-il de l’Afrique ? , se demande l’auteur auscultant son héros. Car ce qu’il reste est surtout une habile synthèse de ce que l’on nous offre et de ce que l’on a le talent d’y prendre.
Et tout au long d’Oreille rouge, l’Afrique, et plus exactement le Mali, se fait particulièrement pingre avec notre héros au travail – alors contraint de jongler entre fausses pistes et illusions au moment où il faut composer ce grand poème qui contiendra l’Afrique . Un grand poème qui affiche ses limites plus le texte avance, parce que la littérature est poreuse et ne peut pas prétendre tout saisir, tout capturer, conclut alors avec insistance l’ombre, sévèrement portée, de l’auteur.
 Pour finir son exposé simple et discret, Eric Chevillard s’amuse alors à composer la fin hilarante d’Oreille rouge en une succession d’entartages textuels de son narrateur, et par extension de tous ces naturalistes errants qui s’obstinent à penser, au-devant des navires et autres embarcations, que le là-bas s’écrit forcément différemment de l’ici.

 Jean-Maurice de Montremy, Livres Hebdo, 28 janvier 2005

   Il y a une veine voyageuse chez Eric Chevillard, dont témoigne Les absences du capitaine Cook (Minuit, 2001). Mais il s’agissait, jusqu’à présent, de voyages encyclopédiques, hautement virtuels. Encaqué loin du monde, l’écrivain rêvait d’héroïsme savant, de zoologie descriptive et de découvertes rares, le nez plongé dans ces livres qui, jadis, faisaient rêver l’immobile Français de la France profonde, entre les voyages extraordinaires de Jules Verne et les voyages instructifs de la famille Fenouillard.
   Cette fois, Oreille rouge – puisque les natifs du Mali le surnomment ainsi quand il les rencontre enfin – doit pour de bon s’extraire de sa coquille : On l’invite en résidence d’écriture dans un village du Mali, sur le Niger. Comme s’il avait besoin de se rendre là-bas pour écrire. Qu’on lui apporte une table, une chaise, un crayon et du papier. Sujet, avons-nous dit, l’Afrique. Facile. Et c’est ainsi qu’Oreille rouge croit s’en tirer, dissertant d’emblée sur les mœurs de la girafe et de l’hippopotame – surtout l’hippopotame qui, dans le bestiaire d’Eric Chevillard, rejoint le hérisson. Encore qu’un hippopotame soit plus encombrant à contempler qu’un hérisson, posé grandeur nature sur la table de l’écrivain.
   Mais il faudra bien qu’Oreille rouge fasse le voyage, afin d’écrire le grand poème sur l’Afrique. Il se donne des airs, parade auprès des proches. Rimbaud n’est pas son cousin. Il est terrifié, bien sûr. Il invente tout et n’importe quoi pour ne pas quitter sa tanière. Et multiplie les vantardises, posant tantôt au journaliste baroudeur, tantôt à l’écrivain visionnaire, conscience des peuples.
   Non sans mésaventures, le nouveau Fenouillard finit par s’en aller. Voici le fameux séjour, en résidence sur les rives du Niger. Description des us et coutumes maliens, observation des hippopotames, considérations ethnologiques, opinions diverses sur l’humaine condition, anecdotes pittoresques, etc. Oreille rouge au Mali, c’est le télescopage de Tintin au Congo et d’Impressions d’Afrique, le shake-hand de M. Prudhomme et de Michel Leiris. Doctor Chevillard, I presume… .
   Heureux, qui comme Ulysse… Voici, pour finir, Oreille rouge de retour sur son petit Liré, plein d’usage et raison . Plus discoureur que jamais, il est prêt pour toutes les conférences et donne bien volontiers des cours de civilisation, assortis d’une géopolitique mondiale.
   Cet autoportrait en écrivain-voyageur est réjouissant. Eric Chevillard, comme toujours, mêle au démontage de la bêtise , cher à Flaubert – qui est d’abord un démontage de soi-même – de belles trouvailles où la poésie (la vraie) le dispute à la contemplation. Et gratifie le lecteur de quelques contes africains dans la manière du Vaillant petit tailleur, si réjouissant, paru en 2003.

 Jean-Baptiste Harang, Libération, jeudi 3 février 2005

Le livre s’appelle Oreille rouge pour la bonne raison que son héros s’appelle Oreille rouge, ce n’est pas son vrai nom, le vrai, on l’ignore, on a seulement idée du genre de prénom qu’il pourrait mériter : Jules, Alphonse ou Georges-Henri comme il est suggéré à la première page, ou Jules, Alphonse ou Louis-Marie ainsi qu’à trois pages de la fin on le suppose. Oreille rouge et Eric Chevillard ont au moins deux points communs (et une infinité d’autres que nous partageons à plusieurs, deux bras, deux jambes etc.) : ils sont nés en Vendée depuis une quarantaine d’années, ils ont voulu écrire un livre sur l’Afrique, peut-être celui que l’on vient de lire. Et un troisième : ni de l’un ni de l’autre on ne saurait dire s’ils sont allés ou non réellement à Bamako avant d’écrire le livre.
Dans le livre, on ne dit pas pourquoi son héros s’appelle Oreille rouge, pour le savoir il faut en ressortir et lire la quatrième page de couverture qui est, comme à chaque fois, du pur Chevillard et le meilleur résumé qu’on puisse en faire au risque de passer pour un paresseux en la recopiant longuement, mais, comme on dit aux Chiffres et aux lettres, pas mieux : Cet écrivain aime sa chambre, sa table, sa chaise, dans la pénombre : on l’envoie en Afrique où sont les lions, dans le soleil. Que va-t-il chercher là-bas ? Un grand poème, dit-il. Ou ne serait-ce pas plutôt l’inévitable récit de voyage que tant d’autres avant lui ont rapporté ? On l’a déjà lu et relu. L’auteur va prétendre que des indigènes l’ont sacré roi de leur village. Il aura percé à jour les secrets des marabouts et appris de la bouche d’un griot vieux comme les pierres quelque interminable légende avec métamorphoses. Le pire est à craindre. Par bonheur, l’aventure tourne court. L’hippopotame se cache. L’Afrique curieusement ne semble guère fascinée par le courageux voyageur. En revanche, celui-ci prend des couleurs : est-ce le soleil ou la honte ? Nous l’appellerons Oreille rouge.
Le récit est un triptyque dont les volets extérieurs une fois repliés ne recouvriront jamais le panneau central, ils sont trop courts et c’est tant mieux car du milieu comme du reste il n’y a rien à cacher. Un, avant le départ pour l’Afrique. Deux, le séjour. Trois, retour à la case. Dans le film d’Alain Tanner Retour d’Afrique, les personnages non plus n’y mettaient pas les pieds. Le voyage d’Oreille rouge ne l’aura pas changé, soixante-douze kilos au départ, au gramme près au retour. Entre les deux, il sera devenu un Africain de caricature dont la grimace finira vite par s’estomper ( Est-ce que les Blancs seraient des Nègres morts ? page 148). Entre les deux, on aura bien ri de la vanité des hommes. Des hommes en général, des écrivains en particulier.
Oreille rouge a acheté un petit carnet noir couvert de moleskine, avec un élastique en guise de fermoir (et même deux, mais patience, sans compter que page 41 l’auteur doute que ce soit de la moleskine véritable), un passeport trop neuf, et brûle de partir, brûle de peur de partir : Dans ce pays sans ombre, il y aura bientôt la mienne… Sur la première page il écrit :  Déjà trois heures de vol, l’Afrique se rapproche et je ne vois toujours pas grossir l’éléphant. On avance ainsi à petites touches sans avoir l’air d’y toucher, et sans que l’on sache si chaque notation est ridicule parce qu’elle figure au carnet ou cocasse d’appartenir au livre : Le jour, tous les Blancs se ressemblent , page 45, enchanté dit le prince à la grenouille. Plus que vous croyez, répond-elle à ce répugnant crapaud . Oreille rouge invente des proverbes africains : Ne creuse pas sous tes pieds pour agrandir ta pirogue… Ce que la hyène recrache, ta fille n’en voudra pas non plus… C’est donc toi que le vent cherchait dans la savane immense… Quand le charognard commence à tourner sur lui-même, sa famille s’inquiète… Le caïman ne retire pas ses dents pour boire , et, satisfait, il tombe dans le fleuve. L’eau ici se vend en sachet. Comme chez nous les poissons rouges, dit-il.
 Tous les livres d’Eric Chevillard laissent pantois. A les lire trop vite on se laisse éblouir par l’intelligence et l’absurde de son humour, par l’aplomb et le talent qu’il a de dire des niaiseries comme des évidences qui nous avaient échappé, de les emboîter les unes dans les autres afin d’empêcher le lecteur de se retourner, tout occupé qu’il est à rigoler, un peu comme au spectacle on se retient d’applaudir de peur de manquer la suivante. Tout cela est vrai, et tout cela serait vain et vide si, dans la dérision de ses personnages, dans le regard affectueux qui les couve, il n’y avait la profondeur d’un puits où le cercle de l’eau au loin, obscur et luisant, ne nous renvoyait notre propre image de lâcheté, de vanité, de modeste vantardise, du ridicule qu’on a de croire de quelque importance ce petit moment d’individuation entre deux éternités de néant qu’est notre passage furtif sur une petite terre égarée parmi les étoiles. Ce n’est pas une raison de ne pas rire lorsque l’Africain découvrira le couteau suisse, que l’oiseau bleu fera son nid dans la fourche de votre lance-pierres, que le ventilateur en vol stationnaire au-dessus du lit fondra sur vous, quand la branche imite le boa, quand le baobab est porté en triomphe par ses racines et l’hippopotame contenu tout entier entre les pages de l’encyclopédie comme le coquelicot dans l’herbier. Le fétu est considérable , dit le livre, et l’éléphant irréfutable.
A son retour, Oreille rouge a retrouvé ses mains au fond de ses poches (page 154).

Michel Abescat, Télérama, 2 mars 2005

Sans doute y en a-t-il parmi vous qui ne connaissent pas encore Eric Chevillard. Qui n’ont lu aucun de ses treize romans, ni Palafox, ni Le Caoutchouc décidément, ni Au plafond. Qui n’ont jamais goûté la poésie qui court en clandestine à travers sa prose, ni savouré la folie douce de son inspiration. Qui ne se sont jamais laissé emporter par sa fantaisie ou le mouvement irrésistible de ses mécaniques imaginaires et métaphoriques. Sans doute y en a-t-il parmi vous qui ne connaissent pas encore son intelligence aiguë de la vacuité du monde, son ironie désespérée, la déflagration de son humour. A tous ceux-là, on voudrait faire une suggestion, en confidence : lisez le dernier Chevillard, qui vient de paraître chez Minuit. Il s’appelle Oreille rouge et met en scène un écrivain plutôt casanier, parti en résidence dans un village du Mali, soigneusement muni d’un petit carnet de moleskine noire avec un élastique.
Après avoir minutieusement démonté l’édition savante (L’Œuvre posthume de Thomas Pilaster), le roman d’aventures (Les Absences du capitaine Cook), l’autobiographie (Du hérisson) ou le conte (Le Vaillant petit tailleur), Chevillard s’attaque cette fois à la littérature de voyage. Et c’est un festival. Son héros hésite, joue avec la tentation de l’Afrique, parade en baroudeur, rêve du grand poème qui contiendra le continent tout entier, court après l’hippopotame qui ne cesse de se dérober…
L’auteur met ses pas dans les siens, épingle chacune de ses postures, pointe nos vanités, invente des proverbes, imagine des contes africains, disserte sur les mœurs de l’hippopotame. Pour mettre la littérature et le monde à l’épreuve. C’est du pur Chevillard. Une voie royale pour plonger tout habillé dans la magie d’une des œuvres les plus singulières de la littérature française contemporaine.

 




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