Théâtre


Heiner Müller

Quartett

précédé de La Mission - Prométhée – Vie de Gundling Frédéric de Prusse Sommeil Rêve Cri de Lessing
Traduit de l’allemand par Jean Jourdheuil et Heinz Schwarzinger


1982
152 pages
ISBN : 9782707319937
12.50 €


Quartett est une adaptation des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos.
La Mission. Souvenir d’une révolution, qui reprend les thèmes de la nouvelle d’Anna Seghers  Lumière sur le gibet , traite d'une révolution exportée par la République à l'époque de la Révolution Française et de ce qu'il en advint lorsque la République cessa d'être révolutionnaire : de la situation quasi-kafkaïenne du révolutionnaire dont la mission devient sans objet.
Prométhée, d’après Eschyle, est apparentée aux traductions que fit Hölderlin des tragédies de Sophocle.
Vie de Gundling Frederic de Prusse Sommeil Rêve Cri de Lessing. Conte noir, constitue une vision tout à fait originale de l'imaginaire prussien. Lessing lui aussi était saxon.

* Quartett a été représenté pour la première fois en France au Théâtre des Amandiers, dans une mise en scène de Patrice Chéreau.
* La Mission a été représentée pour la première fois en France au Théâtre des Quartiers d’Ivry, le 21 avril 1982, dans une mise en scène de Philippe Adrien.
* Prométhée a été représentée pour la première fois en France au Théâtre de l’Est Parisien, le 13 avril 1982, dans une mise en scène de Guy Rétoré.



‑‑‑‑‑  Extraits d'un entretien réalisé par Rolf Ruth et Petra Schmitz, pour Theater Heute, numéro d'avril1982 ‑‑‑‑‑

Traduit de l’allemand par Heinz Schwarzinger

 Ma langue, pour des raisons bizarres, est considérée comme difficile ; pour l'unique raison qu'elle est en fait toute simple, directe et précise. On n'a plus l'habitude d'écouter des textes précis. Dès qu'une chose est formulée avec précision, on ne la comprend plus, puisque personne ne croit qu'il est précisément question de cela et de rien d'autre : Ça ne doit pas être si simple, il doit y avoir quelque chose derrière ! (…)
De là naît la légende de la difficulté. Cette recherche de significations complique le langage. Je suis assez certain que là réside l'erreur fondamentale dans les mises en scène ici, alors que je suis, moi, convaincu de la primitivité de ma langue.
Toutefois, chez nous ce n'est pas bien différent. Mes textes y sont réputés tout aussi difficiles, ou élitaires. Sauf heureuse exception, les spectateurs, chez nous, pensent eux aussi qu'ils ne comprennent pas. Le public ne diffère pas tellement dans les deux États.
La différence, malgré tout, c'est que, ici, à l'Ouest, on écrit surtout des pièces pour des metteurs en scène, pour une réalisation théâtrale. Je crois par ailleurs que ces pièces sont pour la plupart une autoreprésentation du public, c'est-à-dire qu'elles visent seulement l'effet de reconnaissance. Et c'est cela que je trouve si ennuyeux. C'est là que le théâtre renonce vraiment à lui-même. Si, au théâtre, on ne projette pas, au moins de manière esquissée, une réalité autre que celle d'où le spectateur vient et où il retournera, alors le théâtre ne m'intéresse pas le moins du monde.
Je trouve légitime la quête d'un théâtre en tant que forme de vie et de travail. Le théâtre est de l'utopie et doit le rester. Mais c'est rarement comme ça que ça marche, et le théâtre se bat toujours avec les croûtes institutionnelles, qui se forment parce que le théâtre coûte si cher. Mais en tant qu'utopie, je trouve ça très beau, et c'est plutôt ce que je verrais comme contenu d'un théâtre populaire. Le peuple, ce sont les comédiens et les participants. Affirmer qu'il faut réduire les exigences esthétiques et véhiculer davantage de contenus, la distinction est malhonnête même si elle est quelque peu réaliste, elle dissimule une conception infâme du peuple.
Il faut chercher à savoir pourquoi le peuple accepte seulement des sous-produits. Peut-être pourra-t-on alors faire du théâtre sur le thème suivant : comment le peuple est-il devenu à ce point dépravé ? (…)
J'ai utilisé une fois le terme de “ fragment ” en relation avec La Bataille et le Fatzer de Brecht. Depuis, il est dit une fois pour toutes, par tous les critiques, que toutes mes œuvres sont fragmentaires. Ce qui, bien sûr, est un non-sens. Rien n'est plus fragmentaire qu'une chose bien ronde, qu'une pièce accomplie. Il y faut couper et sabrer bien plus, afin de fabriquer quelque chose d'apparemment accompli. On peut lire Hamlet-Machine comme une pièce en cinq actes, parfaitement classique dans sa construction dramaturgique. Toute pièce, si elle est efficace au théâtre, n'est rien d'autre que le parcours d'une courbe d'orgasme. C'est là le modèle de base.
Chaque être humain, chaque auteur, a une courbe d'orgasme un peu différente. J'en ai lu des descriptions par une sorte de linguiste mathématicien – un fou, sans doute – qui pendant plus de 120 pages a reproduit en graphismes les constructions dramaturgiques d'Eschyle jusqu'à Brecht, et reconstitué ainsi leur courbe orgastique. C'était ahurissant : chez Büchner, et c'est logique puisqu'il est mort très jeune, la courbe montait en flèche et redescendait aussi vite. Chez Brecht, ça donnait un curieux échafaudage de forme carrée. Shakespeare avait la courbe la plus complexe. Moi, cela m'a convaincu, puisque cela suffit pour comprendre.
Quand on monte des choses de moi en Allemagne de l'Ouest, la plupart du temps on part du point de vue “ Müller est communiste : il trouve les capitalistes méchants ; il faut donc les montrer ainsi. ” Ce sont là des réalisations prétendument politiques, qui détruisent tout bonnement les matériaux du texte et font bien évidemment fuir le public. La notion proprement réactionnaire du politique se cache là derrière. On se rappelle peut-être le mot de Godard : “ Il s'agit de rendre les films politiques et non de faire des films politiques. ”
La plupart des gens de théâtre à l'Ouest se trouvent hors du champ politique parce qu'ils ne sont pas sujets à des contraintes politiques ; ils ne peuvent rien faire d'autre que danser avec elles. (…)
Une raison essentielle d'écrire des pièces réside dans le malin plaisir ; il est la source de tout humour – le malin plaisir, c'est de voir que quelque chose tourne au vinaigre et qu'on est en mesure de le décrire. C'est là, je crois, un modèle de base du théâtre et également du comique... Prendre conscience du caractère comique de mes pièces est, à mon avis, important, mais personne apparemment ne le voit ni ne le saisit – raison pour laquelle les choses, si souvent, tournent mal. Si l'on ne comprend pas que j'écris des comédies, on échouera nécessairement. 

‑‑‑‑‑‑‑‑‑

Traduire
 
 Le texte à traduire doit pouvoir être lu et relu, c'est-à-dire faire signe à la question du langage par delà la langue de l'auteur, bref, avoir valeur de pensée ; ce qui est autre chose qu'appliquer un programme, c'est-à-dire une pensée préexistante, ou décorer quelques plus ou moins bonnes idées. Et son auteur doit pouvoir être considéré comme mort. Traduire ne se conçoit que comme geste inaugural de la survie de l'œuvre. L’essentiel étant de chercher cette pensée non de la trouver.
Lorsqu'une œuvre présente cette (ou ces qualités) si, l'activité langagière du traducteur peut devenir attente et recherche de ce que Benjamin appelle “ pur langage ”, et le traducteur s'apparente alors au dramaturge-philosophe qui s'interroge pour lui-même sur le champ de l’écriture, lors même qu'il recherche des points de tangence entre sa langue et celle de l'œuvre d'origine Le reste est affaire de talent, de technique et de dictionnaire.
Cela étant dit je ne nierai pas que l'œuvre de Heiner Müller soit le médium qui me permet, ces temps-ci, de m'interroger sur les possibilités de l'écriture théâtrale contemporaine, et qui me dispense de faire montre de ces interrogations, sur l'étrangeté du français à l'allemand (et vice verso), sur la raideur prosodique du français, etc. Il arrive en outre, incidemment ou par ricochet, que cette couvre éclaire ma lanterne sur d'autres questions, par exemple : la traduction française de Büchner (qui était lui-même un excellent traducteur du français), le grec traduit par Hölderlin, les traductions allemandes de Shakespeare (comparées aux traductions françaises), etc. 
Jean Jourdheuil (Théâtre public, mars-avril 1982)

 




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