Théâtre


Heiner Müller

Macbeth d'après Shakespeare

Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Morel


2006
112 p.
ISBN : 9782707319517
13.00 €


Avec Macbeth (1971), Müller fait sa première grande tentative pour réécrire une pièce de Shakespeare, avant Hamlet-machine (1977) et Anatomie Titus (1982). Exclu depuis dix ans de l'Union des écrivains, empêché de traiter les sujets contemporains qui avaient fait sa réputation, il a essayé de rompre son isolement en traduisant ou adaptant des tragédies grecques ; à une exception près, elles n'ont pas été jouées en RDA, mais leur succès à l'extérieur, et d'abord en RFA, a commencé à faire de lui un auteur connu. Shakespeare est une autre carte pour reprendre pied dans son pays.
Conçu comme une nouvelle traduction, puis devenu une adaptation plus complexe, Macbeth (1971) est créé en même temps en RDA, sans éclat particulier, et à Bâle avec un succès de scandale (mars 1972). La pièce provoque pourtant en RDA une polémique inattendue, qui va durer près d'un an. Müller a-t-il fait œuvre originale ou s'est-il borné à ajouter à Shakespeare " une bonne dose de sexe ", créant ainsi " une source de névroses " pour le public socialiste ? N'a-t-il pas renchéri de brutalité ou même de sadisme sur son modèle, imitant la " vague de cruauté " du cinéma occidental des mêmes années ? Sa façon de traiter les seigneurs, les paysans et les sorcières montre-t-elle sa conscience du monde contemporain ou trahit-elle, au contraire, l'étendue de son " pessimisme historique " ?
Ces questions divisent le milieu littéraire, l'Université et le monde politique. La pièce est mal vue des idéologues officiels, mais la principale attaque contre elle vient d'un opposant au régime communiste et ancien prisonnier politique, Wolfgang Harich, philosophe connu. Il conteste que Macbeth soit une vraie pièce de Müller, tout en la jugeant " réactionnaire dans le contenu " et " bâclée dans la forme ". Bien qu'il garde le silence, Müller s'est à nouveau taillé une place en RDA. Il échappe définitivement à la tutelle de l'esthétique marxiste, officielle ou contestataire. Ses détracteurs ont voulu l'accabler en le comparant à Ken Russell, Sam Peckinpah et surtout Stanley Kubrick (Orange mécanique), sans se demander s'il n'aurait pas plutôt des liens avec Welles ou Kurosawa : il en profite pour renforcer son image de novateur.
Les questions débattues en 1972-73 accompagneront son œuvre jusqu'à la fin. Dix ans après sa mort, on voit l'ambivalence de la relation créatrice qu'il avait nouée avec Shakespeare : adapter celui-ci, c'était à la fois une " transfusion de sang " indispensable pour continuer à écrire et un risque assumé, celui de céder à l'attrait de la répétition au détriment de la nouveauté des temps (" nous ne serons pas à bon port tant que Shakespeare écrira nos pièces "). Une fois encore, Müller dérangera autant ceux qui attendent de lui un message politique de format courant que ceux pour qui il n'y aurait rien à comprendre à ses histoires " de bruit et de fureur ".Jean-Pierre Morel

 




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