Récits


Jean-Philippe Toussaint

Made in China


2017
192
ISBN : 9782707343796
15.00 €
60 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


Depuis le début des années 2000, j’ai fait de nombreux voyages en Chine, je me suis rendu à Pékin, à Shanghai, à Guangzhou, à Changsha, à Nankin, à Kunming, à Lijiang. Rien n’aurait été possible sans Chen Tong, mon éditeur chinois. La première fois que j’ai rencontré Chen Tong, en 1999, à Bruxelles, je ne savais encore quasiment rien de lui et de ses activités multiples, à la fois éditeur, libraire, artiste, commissaire d’exposition et professeur aux Beaux-Arts. Ce livre est l’évocation de notre amitié et du tournage de mon film The Honey Dress au cœur de la Chine d’aujourd’hui. Mais, même si c’est le réel que je romance, il est indéniable que je romance.

 J.-P.T.



Ecouter Jean-Philippe Toussaint sur France Inter dans l'émission L'heure bleue de Laure Adler.

ISBN
PDF : 9782707343826
ePub : 9782707343819

Prix : 10.99 €

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Jérôme Garcin, L’Obs, 14 septembre 2017

Donc Jean-Philippe Toussaint est allé tourner dans le sud de la Chine un court-métrage qui est l’adaptation du prologue de son roman « Nue » où défilait, dans un hôtel tokyoïte, une top modèle recouverte de miel corse et suivie d’un vrombissant essaim d’abeilles – cette robe en miel, sirupeuse, sans attaches et collées au corps épilé de la femme, étant l’œuvre de la styliste Marie de Montalte, héroïne de la tétralogie romanesque conçue par le plus belge des résidents de l’île d’Elbe. Vous me suivez ? Non ? Ce n’est pas grave, je continue. Pour filmer, au Times Museum de Guangzhou, cette robe fictive d’une créatrice imaginaire, Toussaint a finalement choisi une mannequin russe, don til a ceint le front de LED, et demandé à son éditeur et producteur chinois, Chen Tong, de jouer le rôle cérémonieux de Maître du miel. Chen Tong, soit dit en passant, est également professeur aux Beaux-Arts, commissaire d’exposition, libraire, artiste traditionnel, introducteur de Robbe-Grillet en Chine e propriétaire d’une Mercedes blanche. J’ai toujours aimé la manière, imperturbable et raisonnée, avec laquelle l’écrivain-cinéaste de « La Salle de bain » et de « L’appareil-photo » racontait des hisoires abracadabrantes. Dans « Made in China », où le vrai se mêle ironiquement au faux, Toussaint loue un cheval capricieux, paresseux et hors de prix pour les besoins de son film « Zahir » et rencontre un apiculteur qui a la tête, mais aussi le rire en cascade d’Henri Salvador. En cours de route, il soutient que l’évolution de la littérature est comparable à celle des chaussures, considère qu’il suffit de se mettre à écrire « pour se rendre compte que le monde entier est en travaux », et assure que « chaque livre achevé est une somme de hasards infinitésimaux ». Le récit de son périple chinois, Jean-Philippe Toussaint l’a écrit à Ostende, peu de temps après avoir dispersé dans la mer du Nord, en 2013, les cendres de son père, le journaliste et auteur de polars Yvon Toussaint, qui lui inspire cette si émouvante e surprenante réflexion : « Je trouve que la mort ne lui va pas, c’est comme un vêtement dans lequel on ne le reconnaîtrait pas. » Une confidence dont son fils juge soudain qu’elle n’a pas vraiment sa place dans ce livre. Mais c’est plutôt au lecteur de juger, un lecteur qui fait son miel – un miel montaltien – des digressions, parenthèses, incartades et affabulations d’un récit où tout est fortuit, sauf le souverain talent de cet écrivain.



Philippe Lançon, Libération, 16 septembre 2017

Minuit de Chine
Jean-Philippe Toussaint en repérage

Je voudrais du soleil vert, des dentelles et des théières, des photos de bord de mer dans mon jardin d’hiver… Henri Salvador est mort en 2008, mais Jean-Philippe Toussaint le retrouve en 2014 au sud de Canton, qu’il appelle Guangzhou comme les Chinois, c’est un écrivain poli. Son premier voyage en Chine remonte à 2001. Il y est plusieurs fois retourné, pour des raisons qui ne sont pas forcément celles qu’il raconte dans Made in China. Là-bas, le chanteur est devenu apiculteur et Toussaint, qui est aussi un peu cinéaste et se met en scène comme tel dans le livre, a besoin d’un apiculteur et de ses abeilles pour filmer l’essaim qui se posera sur la robe de miel d’un mannequin ukrainien. Cette robe, ses lecteurs la connaissent. Il l’a inventée et fait porter lors d’un mémorable défilé dans Nue (Minuit, 2013). Ça finissait mal pour le mannequin mais bien pour les lecteurs. Un magnifique essaim de mots jaillissait du roman pour se poser sur eux. Il faisait vibrer une image au point d’en faire une vision. C’était travaillé comme une miniature, une orchidée. Les livres de Toussaint sont des jardins d’hiver (1).
Rire en cascade. Un apiculteur, on finit donc par en trouver un : «Il ressemblait, c’était aussi frappant qu’inattendu, à Henri Salvador, à peine plus sinisé que l’original, même rondeur du visage, mêmes joues cuivrées, même jovialité, et, comme il arrive souvent dans les ressemblances, celle-ci ne s’arrêtait pas seulement à l’apparence physique, mais semblait s’étendre au caractère et aux traits marquants de la personnalité, car, non content d’avoir la tête d’Henri Salvador (ce qui déjà, en soi, pour un Chinois ne manquait pas de sel), il en avait également le rire, ce fameux rire en cascade très communicatif qu’on était surpris d’entendre dans la bouche d’un apiculteur du Guangdong.» Il leur montre les ruches sans se protéger les mains ni le visage, «en nous mettant en garde contre les risques de piqûres, et plus grand était le danger évoqué, plus délicieusement ravi était le rire formidable qui accompagnait ses avertissements». Il paraît qu’on a au moins sept sosies sur Terre. Pour un écrivain, il est possible de les imaginer.
Made in China est l’histoire de la préparation d’un film de Jean-Philippe Toussaint tourné en Chine. Le film s’intitule The Honey Dress. On peut en voir sept minutes si l’on ouvre le lien internet qui, fermant le livre, ouvre sur autre chose. Elles n’ont rien de bien fameux, mais c’est sans importance, elles ne sont là que pour justifier les pouvoirs de la littérature qui précède. Made in China est aussi l’histoire du regard discret et délicatement amusé qu’un homme, Jean-Philippe Toussaint, porte sur la Chine et sur lui-même en Chine. C’est, du même coup, l’histoire en partie réinventée de l’amitié qui le lie à son éditeur chinois, Chen Tong.
Un dialogue entre les deux hommes avait été publié en postface à l’édition de poche de Fuir (Minuit, 2009). Il est intéressant de le lire pour voir comment un romancier rend hommage à un ami en le transformant, sous son propre nom, en mélangeant des moments réels et imaginaires, en personnage de fiction. Le Chen Tong de Made in China apparaît un peu comme le Tchang de Tintin - un Tchang qui n’aurait pas été victime d’un accident d’avion au Tibet mais qui éditerait, outre Toussaint, Beckett et Robbe-Grillet. Il apparaît, disparaît, flanqué d’une assistante ou d’une autre, s’occupe de tout et parle peu, plein d’une bienveillance opaque. La Chine a cette vertu : elle est si lointaine, si mystérieuse, que les amis qu’on s’y fait sont précieux comme un héros qu’on imagine, un secret qu’on entretient. Une nuit de février 2008, raconte Toussaint, il rangeait avec son équipe dans un garage, épuisé, du matériel de tournage, quand Chen Tong, ayant lu un message sur son téléphone, lui annonce : «Jean-Philippe, Robbe-Grillet, il est mort.» Ce doit être vrai, mais, comme dirait un personnage de Fellini, c’est si beau que ça a l’air faux.
Humour courtois. Made in China est encore bien d’autres choses. C’est une réflexion, pas neuve chez Toussaint, sur les rapports entre la réalité et la fiction, sur la manière dont la seconde accueille et transforme les événements et les sensations que la première, chemin faisant, par hasard, lui apporte. C’est également une modeste contribution aux rapports de couple qu’entretiennent littérature et cinéma, thème auquel il a déjà consacré plusieurs conférences. En résumé, le cinéma est un coûteux travail d’équipe, toujours confronté à la réalité, tandis que la littérature est un travail solitaire et bon marché, qui flotte dans l’abstraction.
Made in China est enfin une façon, pour l’auteur, de traiter sa propre vanité - sans la faire le moins du monde disparaître, mais la vanité, lorsqu’elle est bien mise en scène, avec l’humour courtois qui caractérise Toussaint, n’est pas plus un défaut que le snobisme. L’objectif du livre, son auteur paraît le découvrir en cours de route : «Le sujet de mon livre, c’est le pouvoir qu’a la littérature d’aimanter le vivant.» A plusieurs reprises, il y revient, le théorise presque. Le résultat pourrait n’être qu’un agrégat mal cuit d’anecdotes et de pensées, s’il n’était uni par ce qui fait d’abord un romancier : le sens du récit et le ton.
Les portraits et les images du livre sont les étalons qui le tirent. Voici Jianhua, l’éclairagiste : «Deux soirs de suite, il avait réussi à faire surgir de la nuit le visage des acteurs, comme s’il les avait peints, ou esquissés, à longs traits de lumière, du bout non pas d’un pinceau de calligraphie mais d’une simple lampe de poche. Face à une telle maîtrise de l’instrument, devant de tels exploits, j’en étais venu […] à surnommer Jianhua "Monsieur lampe de poche", et c’est le seul nom qu’il ait jamais porté dans mon esprit.» Toussaint regrette parfois ce qu’un livre implique de fermeture sur lui-même, par exemple son impossibilité d’accueillir la musique qu’on aimerait y faire entendre. Il lui donne en revanche la possibilité de devenir une créature qui, le temps d’un livre, accomplit en mode mineur son destin et surmonte tous ses chagrins - ici, entre autres, la mort d’un père par deux fois évoquée. Sur une île de Canton, après une journée imaginaire de cinéaste bien remplie, «je continuais de marcher lentement dans la nuit, et, même si la vie, autour de moi, présentait toujours son caractère tranquille et indéniable, j’avais le sentiment d’évoluer dans un paysage de fiction, comme si j’avais été le personnage d’un roman que j’aurais été en train d’écrire».

(1) Un volume à paraître le 12 octobre regroupe « quatre saisons de la vie de Marie » : M.M.M.M.



Eric Loret, Le Monde, 21 septembre 2016
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