Essais


Jean-Philippe Toussaint

Autoportrait (À l'étranger)


2000
128 pages
ISBN : 9782707316998
11.15 €
59 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille

* Réédition dans la collection de poche double


À chaque fois que je voyage m’étreint une très légère angoisse au moment du départ, angoisse parfois teintée d’un doux frisson d’exaltation. Car je sais qu’aux voyages s’associe toujours la possibilité de la mort – ou du sexe (éventualités hautement improbables évidemment, mais néanmoins jamais tout à fait à exclure).

‑‑‑‑‑ Extrait d’un entretien avec Jean-Philippe Toussaint ‑‑‑‑‑

 Consciemment, je suis très intéressé par l’autoportrait. C’est clairement vers ça que je vais, c’est ça qui m’intéresse. Disons que je me pose moins la question de la modernité, de l’avant-garde, en termes formels, et je me pose beaucoup plus la question d’interroger concrètement la littérature à travers l’autoportrait. L’autoportrait aussi tel qu’il est considéré en peinture. Par exemple, quand Rembrandt fait des autoportraits, il parle de la peinture bien davantage que de lui-même. Certes, il se prend lui-même comme sujet d’étude, mais c’est toujours la peinture qu’il interroge, à la peinture qu’il s’ouvre. C’est comme ça que je conçois les choses : c’est à travers l’autoportrait que j’interroge la littérature. C’est au centre de ce que je fais en ce moment.
Propos recueillis par Ingrid Aldenhoff.

ISBN
PDF : 9782707324115
ePub : 9782707324108

Prix : 5.99 €

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Fabrice Gabriel (Les Inrockuptibles, 15 février 2000)

Monsieur en voyage
Avec son nouveau livre, Autoportrait (à l'étranger), Jean-Philippe Toussaint ajoute une pierre cocasse à son édifice minimaliste.
 
 C'est, se dit-on, un petit livre de circonstance que nous donne aujourd'hui Jean-Philippe Toussaint : quelques textes courts, épars, un peu comme des cartes postales, des nouvelles passagères pour dire l'état provisoire de son moi et du monde, entre deux départs, un roman et un livre, une œuvre. Et puis non. Si Autoportrait (à l'étranger) relève a priori de l'esthétique du Polaroid-instantanés du Japon, images grattées de Berlin, bouts de ciels corses ou wagon praguois –, ce sont des clichés patiemment retouchés que nous livre en définitive ce Tati tintinesque et terriblement belge : une pépite de peu de pages, art poétique de l'écrivain en voyage, voire vade-mecum du déconnant sans valises (Toussaint préfère les sacs souples, semble-t-il). Comme d'habitude, on rit en effet beaucoup aux tribulations de Monsieur, qui dit ici avoir tombé le masque de la fiction mais n'en continue pas moins d'œuvrer dans le minimalisme décalé, la ligne claire d'un style qu'on reconnaîtra d'emblée – “ On arrive à Tokyo comme à Bastia, par le ciel. l'avion amorce long virage au-dessus de la baie pour atterrir. Vu de haut, à quatre mille d'altitude, il n'y a pas beaucoup de différence entre le Pacifique et la Méditerranée. ”
Ainsi se dessine l'axe du livre, radiale cocasse qui fait sans cesse communiquer la Corse et le Japon dans des textes commandés à l'auteur, à l'origine, pour écrire ses impressions de romancier occidental invité à Tokyo... Toussaint s'amuse bien sûr à détourner la contrainte, racontant par exemple la visite d'une surfeuse nippone en Corse ou la rencontre d'un ami bastiais au Japon. La surfeuse parle espagnol, l'ami lit Corse-Matin à Tokyo, un chauffeur de taxi de Hanoi aborde l'écrivain en allemand et une irrésistible Jane Birkin apparaît soudain dans un congrès d'écrivains vietnamiens : les langues et les lieux se mélangent, mais le style y met de l'ordre à mesure que l'autoportrait se construit, fragmentaire et pourtant net. Les aventures de l'écrivain-conférencier – et bouliste – ramènent inévitablement aux situations keatoniennes de ses fictions, une impayable séquence de charcuterie berlinoise rappelant par exemple l'humour gentiment antigermanique de La Télévision (...) L’anecdote réelle se métamorphose ainsi en épisode romanesque, où l'antihéros réfléchit l'image de l'auteur, ses doutes et ses errements de créateur en voyage. Par-delà les effets comiques, parfois un peu appliqués, l'Autoportrait de Toussaint approche alors un peu de l'étranger qui est en lui, comme le révèle le dernier texte, jolie méditation mélancolique devant une gare désaffectée. Ce Retour à Kyoto est mieux qu'une simple et coquette coda : s'il résume bien la tonalité japonaise du livre, il confirme surtout que l'écrivain modeste est aussi un métaphysicien discret. 

Antoine de Gaudemar (Libération, 17 février 2000)


Tour de reins à Tokyo
Une partie de pétanque en Corse, Hanoi avec Jane Birkin… Onze instantanés de voyage par l'auteur de La Salle de bain.
 
 Contrairement aux cinq premiers livres de Jean-Phillippe Toussaint, Autoportrait (à l'étranger) n'est pas un roman. C'est un recueil de onze textes autobiographiques qui se déroulent tous hors de Belgique, où vit l'auteur : au Japon, où il séjourne plusieurs mois en résidence d'écrivain, à Berlin, pour les mêmes raisons, en Tunisie ou au Viêt-nam, où il est invité comme conférencier, à Prague, pour un week-end amoureux, ou encore en Corse, où il passe ses vacances. Ce ne sont pas des récits de voyage tels que remis à la mode depuis une ou deux décennies par les travel writers, mais des instantanés, des impressions, des scènes minuscules : un magasin berlinois, un wagon-restaurant filant vers Prague, une journée en voiture dans le désert tunisien, un tour de reins à Tokyo, une partie de pétanque dans un village corse. Onze fragments de puzzle pour cerner la personnalité d'un écrivain avançant jusqu'ici masqué derrière ses romans (de La Salle de bains à La Télévision), ses films (Monsieur, La Sévillane, La Patinoire) et sa réputation méritée d'humour et de causticité.
Ce recueil ne déroge pas : on le lit vite, avec une bonne humeur grandissante. Ainsi, cet affrontement bref mais victorieux avec une charcutière allemande peu amène : à Berlin, note le narrateur, “ lorsqu'on entre dans un magasin, il faut, dit-on, après s'être essuyé les pieds, s'excuser presque de vouloir acheter quelque chose ”. Mais, face à cette commerçante aussi menaçante que corpulente, le narrateur tient bon et exige, sans faiblir, une tranche de terrine absolument conforme à son souhait. “ Comme ça ? a-t-elle dit. Plus grosse, j'ai dit. Elle a déplacé le couteau vers la droite. Comme ça ? a-t-elle dit. Un tout petit moins grosse, j'ai dit. Elle a relevé les yeux, m'a regardé, mais elle n'a plus résisté, elle était sous ma coupe maintenant. ” Désormais soumise, transpirant sous l'effort, la charcutière se prête au petit jeu sadique de son client, “ elle ne savait plus quoi faire pour moi, quoi me proposer, quelle faveur m'accorder, un sac en plastique, un petit apéritif, voulais-je qu'elle m'appelât un taxi. Je suis parti sans dire au revoir (je n'aime pas les gens désagréables). ”
Autres moments réjouissants, un tournoi de boules au village où l'auteur gagne un jambon et un “ tour d'honneur ” triomphal – “ le plus beau jour de ma vie ” – ou encore une rencontre entre écrivains français et vietnamiens à Hanoi : après des heures de salamalecs protocolaires et de discours soporifiques, la “ studieuse assemblée ” demande avec insistance à Jane Birkin, présente dans la salle, de bien vouloir chanter. Refus de la chanteuse. “ Je ne sais pas exactement comment c'était parti, mais tout le monde était en train de prier Jane Birkin de chanter maintenant, quatre générations d'écrivains vietnamiens, ceux qui avaient combattu les Français, ceux qui avaient combattu les Américains, tout le monde, dans la grande salle de réunion, était en train de battre des mains et de scander : une chanson, une chanson ! (...) Elle ne pouvait plus refuser maintenant, Jane Birkin, on ne peut pas résister à quatre générations d'écrivains vietnamiens. Elle finit par se lever et, longeant prestement les travées en relevant une mèche de cheveux, elle s'empara du micro et se mit à chanter en regardant le représentant du ministère :  Et quand tu as plongé dans la lagune / Nous étions tous deux tout nus...  ”
Mais l'émotion, la mélancolie, voire la tristesse, ne sont jamais loin. Retournant à Kyoto, après deux ans d'absence, pour constater la disparition d'une vieille gare de tramways, Jean-Philippe Toussaint conclut : “ Jusqu'à présent, cette sensation d'être emporté par le temps avait toujours été atténuée par,le fait que j'écrivais, écrire était en quelque sorte une façon de résister au courant qui m'emportait, une manière de m'inscrire dans le temps, de marquer des repères dans l'immatérialité de son cours, des incisions, des égratignures. ” Ailleurs, il évoque la “ matière, disons-le, très ténue ” de ses livres, presque impalpable : ce bref Autoportrait (à l'étranger) est, lui aussi, tout en subtilité(s). 

Patrick Grainville (Le Figaro littéraire, 24 février 2000)

Le migrateur et ses mirages
 
 Le dernier livre de Toussaint est semé de discrètes définitions de son art. Page 114, il évoque “ la matière ténue de ses livres ”. Tout à la fin, il nous révèle qu'écrire, c'est marquer dans le cours du temps “ des incisions, des égratignures ”. Revendication d'un univers gracile qui évite l'affrontement direct avec les choses, proscrit leur peinture exhaustive. C'est plutôt dans la dérive et le détour que nous est offert l'effluve de la réalité. Au moment où on s'y attend le moins, un signe d'elle nous est glissé. Mais le plus joli commentaire de cette œuvre est fait par une lectrice japonaise qui lui, confesse à Nara que ses livres lui font “ le même effet bénéfique que la médecine chinoise, qui sans jamais employer de grands moyens, lui procurait toujours un étrange bien-être ”. Ce compliment sur la modestie de sa manière est de taille...
Un épisode au Vietnam en donne une illustration fluide. Toussaint, l'écrivain, invité là-bas, découvre l'incroyable circulation de Hanoi, l'essaim continuel des motocyclettes, scooters, vélos, leur flux, leurs entrelacs, leur élan effréné et léger, leur irrésistible vitalité. Quiconque a connu le Vietnam a été emporté dans ce ballet aérien et débridé. Et là, Toussaint est à son aise, dans son monde idéal. Il s'abandonne, il est porté par le fleuve du temps, des êtres, une mobilité ondoyante qui lui ferait accepter le vieillissement, la mort.
II a chez Toussaint un taoïsme secret conjugué à un dandysme, à un instinct d'élégance et de courtoisie. Un autre portrait complète donc l'aspect taoïste : “ Moi, longiligne, aristocratique (très prince de Savoie, m’étais-je laisse dire) ” C'est à l'occasion d'une partie de boules en Corse, Toussaint n'est pas un tireur mais un pointeur, tout est là ! Il ne s'agit pas de cogner la cible en kamikaze, mais de l'aligner longuement, de l'atteindre en finaudant, quitte à donner du jeu à son projectile. Chorégraphie plutôt que percussion...
Mais quel est le propos du livre ? Justement, un autoportrait en pointillés, à l'improviste. Pas de peinture en pied. Chaque chapitre correspond à une ville du monde. Une visite d'écrivain. Protocole aimable et convenu. Dans les marges, bien sûr, Toussaint évitant le prospectus, chipe des impromptus. Par exemple, Tokyo : nulle description fouillée, mais de vagues rendez-vous ratés. Puis le morceau de bravoure, mais oui ! La longue leçon de cuisine donnée par un spécialiste japonais du découpage des daurades ! L'épopée façon Toussaint. L'œil aux aguets, les mots bien ajustés aux gestes.
Dire qu'il ne se passe rien dans ses romans est une erreur, mille choses surviennent à des degrés divers. L'art consiste à jongler avec des condiments, des consistances inopinées.
Soudain au cours d'un voyage de Tunis à Sfax, le frappe la conviction brutale qu'il va mourir. Est-ce la sonorité coupante du nom de cette ville qui siffle comme une faux et vous souffle le cerveau ? La mort, oui, mais plus souvent l'intuition du vieillissement dont les signes se multiplient.
Toujours des saynètes comiques où affleure le sort universel. Sous l'évanescence exquise du monde, perce un sentiment plus poignant d'adieu comme dans la très belle page sur le pont de Kyoto fouetté de pluie évoquant une gravure d'Hiroshige. Éclate cette irrépressible envie de pleurer quand devient sensible, intense, l'expérience de la fuite du temps et de la disparition.
Autoportrait en filigrane, finement ramifié, sur tous les tons, comme décadré, mais avec ces monuments très centrés, tout à coup. Comme si le pointeur était rattrapé par un tireur qui le prenait pour cible.
Une compagne : Madeleine, deux enfants, apparaissent çà et là, dans le chaos léger des chapitres. Des figures intimes et profondes derrière le nomadisme cocasse et décousu. Et si vous voulez vraiment un échantillon sociologique et bien cru de la réalité japonaise, vous découvrirez à Nara, loin des temples que Toussaint se garde bien de décrire, un bouge où une strip-teaseuse offre son sexe à un éventail quasi complet de population masculine japonaise. Ce monde trivial du pillage et de la prédation est le contraire du migrateur et de ses doux mirages. 

Didier Jacob (Le Nouvel Observateur, 24 février 2000)

Toussaint l'ouverture
En racontant ses voyages à l'étranger, l'auteur de La Salle de bain montre qu'il est chez lui partout sur la Terre.
 
 On croyait qu'il mettait rarement le nez dehors, et sortait encore moins de sa chère salle de bain. On le supposait frileux, inquiet, morose, pusillanime. On aurait parié que cette grande autruche exécrait l'avion, le train, la voiture, le kart, le vélo, la moto, le bicross, la planche à roulettes, bref tout ce qui permet à l'homme d'être un peu plus gazelle, un peu moins escargot. Et qu'il promenait seulement, par jour de grand soleil, d'humeur badine, d'extravagante audace, sa détestation des lointains jusqu'à la boulangerie du coin – son Anchorage.
Tu parles ! Jean-Philippe Toussaint est un vieux routier de l'A-320, et il éprouve toujours, dit-il, à la veille de monter dans cette sorte de baignoire “ un doux frisson d'exaltation ”. En train, mais il est vrai sous bière, une bénéfique sensation d'ivresse l'envahit parfois, “ comme une aura de miel ”. Cet écrivain tout-terrain raconte, dans Autoportrait (à l'étranger), les déplacements qu’il effectua, pour y donner des conférences, aux quatre coins, du monde. Allait-on se taper, avec l'auteur, les petits fours de l'Institut français de Kyoto ou de Hanoi, la conversation de l'attaché culturel en poste à Sfax ou à Hongkong ? Toussaint, par bonheur, est aussi bon écrivain qu'il est mauvais greffier : son cerveau se met sur Pause quand ronronnent autour de lui les bla-bla de consulats et les cancans d'ambassades.
Qu'il rencontre, en revanche, une admiratrice japonaise au français incertain, laquelle finit par lui avouer qu’elle l'imaginait “ plus petit, plus intelligent et plus bleu ” ; qu'il surprenne Jane Birkin à l'Union des Ecrivains de Hanoi, pressée par les officiels, sur l'air des lampions, de leur offrir “ une chanson, une chanson ! ”; qu'entraîné à Kyoto dans une boîte de strip-tease, il assiste à l'effeuillage d'une fille qui lui propose de titiller son “ bilboquet intime ” ; qu'agacé par une charcutière berlinoise, il exige, pour se venger de la revêche commerçante, une tranche de pâté d'aspic plus grosse, encore un peu plus grosse, non finalement moins ; qu'il apprenne encore d'un cuistot japonais, pour le malheur de la bestiole, à lever les filets de maquereau ; qu'il relate enfin le “ plus beau jour de [sa] vie ” (celui où il remporta, sur un carreau aussi magistral qu'inattendu, un concours de pétanque en Corse) ; partout, notre globe-trotter excelle dans la restitution des petits riens de la vie voyageuse. Jean-Philippe Toussaint, c'est Candide avec un passeport belge.
“ À quatre mille pieds d’altitude, il n'y a pas beaucoup de différence entre le Pacifique et la Méditerranée. ” À quoi bon, dès lors, suivre les parcours fléchés ? Quand d'autres lèvent le nez pour admirer les hautes tours de Hongkong, cet anti-touriste n'a d'yeux que pour le sol de linoléum sale qu'il entrevoit dans la salle de transit de l'aéroport international : à contempler ce petit pan de moquette jaune, Toussaint se sent soudain en familiarité avec l'univers. N'est-ce pas la belle leçon de son réjouissant récit ? Tel Rembrandt peignant sa Femme à l'œillet, Toussaint signe ici son autoportrait en ultra-terrestre, avec dans la main, comme une fleur, l'étrangeté du monde. 

Jean-Pierre Tison (Lire, février 2000)

Toussaint est en voyage d'affaires
De retour de Hanoi et de Berlin, de la Tunisie et du Japon, l'auteur de La Salle de bain ne joue pas les guides touristiques, mais comme à son habitude pose un regard narquois sur le monde et sur lui-même.
 
 Matière “ ténue ” manière “ ironique ”, ainsi Jean-Philippe Philippe Toussaint définit-il sa production littéraire. Et ses fidèles lecteurs acquiescent, qui n'en demandent pas plus. Le voilà revenu, le narquois auteur de La Salle de bain et de La Réticence. Revenu de voyages qu'il a faits aux frais des institutions, comme quantité d'autres écrivains, invités au titre de “ conférenciers ”. Le récit de ce genre de déplacement officiel et culturel est devenu depuis longtemps un thème récurrent, où se sont illustrés François-Régis Bastide, François Nourissier et bien d'autres brillants causeurs. À son tour, pour un Autoportrait (à l'étranger) M. Toussaint a retenu de menus faits dont il sait extraire la cocasserie.
Ainsi nous entraîne-t-il dans une séance de travail à Hanoi, où “ la chaleur est encore plus orientale qu'à Berlin ”. Là, accompagné de Tahar Ben Jelloun et d'Olivier Rolin, il fait face à quatre générations d'écrivains vietnamiens... qui se déchaînent en voyant arriver Jane Birkin. Ils lui réclament “ une chanson, une chanson ! ” sur l'air des lampions. Passé son fou rire, elle s'exécute et offre un couplet fort différent du répertoire habituel de l'Union des écrivains. Dans tous les pays où les services diplomatiques français le convient, des spécialistes de son œuvre le présentent à l'assistance. À Sfax un scrupuleux universitaire, mort de trac, décortique chacun de ses livres devant une assemblée très attentive... qui compte moins de dix personnes.
Détail de l'autoportrait : “ Moi, longiligne, aristocratique (très prince de Savoie, m'étais-je laissé dire). ” Une telle allure de prince-sans-rire ne se fond pas facilement dans le paysage, mais Jean-Philippe Toussaint a assez de recul et de détachement pour s'accommoder de n'importe quel décor. Ou situation. L'écrivain-conférencier n'est pas prude : il évoque une érection spontanée à l'approche de Sousse. Mais tout de même il ressent une vive répulsion dans la boîte de strip-tease où l'emmène son cicérone lors de son séjour à “ Nara, capitale historique du Japon ”. Surmonté le dégoût provoqué par la saleté ambiante, il assiste au numéro de la strip-teaseuse. Laquelle tend un essuie-main aux spectateurs qui ont poussé la curiosité jusqu'à la “ fourrager ”.
Dans un registre moins hardi, Jean-Philippe Toussaint nous rend témoins de son impatience à l'égard d'une admiratrice nippone et de son sadisme pinailleur à l'encontre d'une charcutière allemande. Il nous informe de ses douleurs dorsales, de sa “ perte de repères temporels et spatiaux ” et des autres problèmes que lui causent ses charges de père de famille ou ses représentations d'homme de lettres. L'attachement des Corses à leur île s'illustre en la personne d'un de ses amis retrouvé au Japon. Cet homme, en poste à Tokyo, continue à y vivre au rythme et à l'heure de Bastia. “ Indifférent à l'atmosphère ambiante ”, il peut faire part des “ dernières nouvelles du village, de Nono, de Nénette ” toutes informations essentielles que lui apporte son abonnement à Corse-Matin. M. Toussaint nous invite même à le suivre en sa villégiature du cap Corse pour revivre, dit-il, “ le plus beau jour de ma vie ” : sa victoire au championnat de pétanque. Il ne faut voir aucune provocation dans le fait de situer la Corse “ à l'étranger ”. M. Toussaint est Belge.
On bénit M. Toussaint quand on pense aux récits dont nous accablent tant d'autres voyageurs. Rien à voir à Carthage ? Circulons donc ! Pas guide pour un sou, il nous épargne dates et dynasties. Et, pour la couleur locale, il se contente de saupoudrer de mots japonais ses quelques pages sur Tokyo et Kyoto. Mais jamais de poudre aux yeux !

L'auteur de La Salle de bain ne doit pas être loin de penser, comme un célèbre philosophe clermontois, que “ tout le malheur des hommes vient de ne savoir rester en repos dans une chambre ”. Et comme le plus parisien des poètes il remarque qu'une ville – en l'occurrence Kyoto – a plus vite changé en deux ans que son cœur de mortel. Ce qui donne à ses dernières pages leur musique mélancolique. Entre Pascal, Baudelaire et quelques autres devanciers M. le Conférencier va son chemin, en toute nonchalance. Et l'on ne saurait conseiller meilleure compagnie que son petit livre, pour un petit voyage. 

 




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