Romans


Laurent Mauvignier

Ceux d'à côté


2002
160 pages
ISBN : 9782707317667
12.15 €
60 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


Parce que Claire, sa voisine, lui a raconté ce que c'est de revivre sa propre mort chaque nuit, d'entendre un souffle d'homme derrière soi et de sentir sur son corps son odeur à lui, des semaines après.
Et parce que s'approprier l'histoire des autres c'est au moins commencer à vivre un peu, alors Catherine attend, le jour, la nuit, cet homme-là. L'homme qui marche dans la ville et rôde vers la piscine, dans les rues, parfois jusqu'à chez elle.

ISBN
PDF : 9782707324993
ePub : 9782707324986

Prix : 8.99 €

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Jérôme Garcin (Le Nouvel Observateur, 5 septembre 2002)

La mort voisine
Prix du livre Inter pour Apprendre à finir, cet écrivain de trente-cinq ans poursuit, avec une incroyable sûreté, son ascension des cimes du désespoir.
 
« Ici, le mot “ viol ” n'est jamais utilisé et l'on n'est pas inondé par le sang en crue. Laurent Mauvignier, dont c'est l'impressionnant troisième livre, sait bien que la littérature n'a nul besoin, pour s'exposer, d'être malaxée sur un étal de boucherie, ni la douleur, pour s'exprimer, d'être hyperbolique, voire hystérique. Et pourtant, il va très loin – plus loin que n'importe quel auteur de cette rentrée – dans la description de la souffrance, de la solitude et du désespoir. Après Loin d'eux, frappé en plein cœur par le suicide d'un jeune homme, et Apprendre à finir, l'autoportrait d'une femme bafouée, humiliée, Laurent Mauvignier, fidèle à sa méthode endoscopique et à son style organique, persiste à construire ses romans autour de longs monologues intérieurs. C'est sa manière à lui, haletante, rauque, étouffante, obsessionnelle, spasmophilique, de raconter des drames qui échappent à la raison et à la grammaire. (On se souvient du mot terrible de Sartre : “ Dieu n'est pas romancier, M. Mauriac non plus. ”Mauvignier a retenu la leçon, qui ne pose jamais en démiurge et a choisi d'être l'interprète de ses personnages sans voix.)
Celle qui parle, qui se parle, se prénomme Cathy. Le midi, elle travaille à la cantine de l'école. Elle voudrait en sortir et prépare un concours de musique. Elle vit seule avec un poisson rouge. Parfois, des hommes viennent coucher chez elle, avec elle. Elle les materne. Elle est très accueillante. Sans illusions. Sa seule amie, c'est sa voisine de palier, Claire. Parfois, le week-end, “ ceux d'à côté ” – Claire et son fiancé Sylvain – sonnent à la porte pour l'emmener se promener en voiture. Ils poussent jusqu'à la mer, en écoutant du Schubert, sans penser à rien d'autre qu'au bonheur d'être ensemble sur les routes. Et puis un jour Claire est agressée et abusée chez elle, dans sa cuisine. Elle raconte à Cathy qu'elle a l'impression d'être morte. Ou plutôt de sans cesse revivre sa propre mort. Cathy devrait être révoltée, compassionnelle, elle est presque jalouse. Le drame qu'a vécu sa voisine et l'annonce de son prochain départ de l'immeuble réveillent sa morne existence. Il lui arrive même de rêver, elle aussi, “ entendre un souffle d'homme derrière soi et sentir sur son corps son odeur à lui . Chez elle, au café, près de la piscine, Cathy guette le coupable. Elle l'espère. Aucun romancier n'avait osé décrire, de l'intérieur, cette solitude si forte, si insupportable, qu'elle aspire à la tragédie et réclame un bourreau : “ J'ai besoin peut-être de cette peur-là pour me mettre à vivre un peu une autre vie que celle où je tourne en rond. 
Laurent Mauvignier nous fait aussi entendre le monologue du criminel qui erre dans le quartier en longeant les murs, qui bat sa coulpe en vain, qui se déteste, se traite de salaud, qui n'a jamais été aimé et ne saura jamais aimer, et dont l'ultime raison de survivre est le salut de sa victime : “ Je voudrais tellement me dire que pour elle il y a encore des choses à attendre parce qu'alors moi je n'aurais plus à attendre, je n'aurais plus à me tenir suspendu, comme sur un fil celui qui ne sait plus pourquoi il doit traverser. 
L'on ignore tout de Laurent Mauvignier, et c'est tant mieux. Il suffit de le lire. C'est une expérience physique et mentale sans équivalent, aujourd'hui. Et pourtant, on ne peut s'empêcher de se demander d'où vient que, depuis Loin d'eux, il trouve, sans jamais les bousculer, des mots si justes et si violents pour faire entendre le tonitruant silence des femmes et des hommes inaptes à ce que Pavese, suicidé de la société, appelait “ le métier de vivre ”. »

Nelly Kaprièlian (Les Inrockuptibles, 18 septembre 2002)

Tragédie musicale
Mais comment fait Laurent Mauvignier pour réussir tous ses livres ? Se lancer des paris bien casse-gueule, peut-être, avoir une écriture magnifique, très certainement.
 
« À la base, il y a toujours soi et les autres. La condition humaine, c'est ça, la grande problématique, c'est ça, la littérature, c'est ça aussi, et chez Laurent Mauvignier, c'est complètement ça. Soi et les autres, sa voix qui dit et les autres qu'on regarde évoluer, qu'on observe, qu'on guette, qu'on ne comprend pas. La voix qui dit et les autres qui vivent. Qu'on regarde vivre. C'est ça, la cruauté au cœur des romans de Mauvignier, avoir souligné cet écart sa réussite ; sa force, c'est cette exclusion, celle qui sépare celui qui dit de ceux qui vivent. Les mots de Mauvignier sont de ceux qui tissent en même temps qu'ils montrent la paroi infime et invisible qui sépare le soi des autres, la voix “ qui dit ” de ceux “ qui vivent ”. Les autres, chez Mauvignier, ce sont toujours ceux qu'un narrateur, une narratrice, regardera vivre, comme le lecteur ou le spectateur assiste à la valse des personnages dans une fiction. Les autres, des personnages de fiction : ceux à qui arrivent les histoires, ceux à qui arrive l'amour, ceux à qui arrive la vie, ceux à qui tout arrive, y compris le pire. Loin d'eux (1999) et Apprendre à finir (2000), ses précédents romans, jouaient déjà de cette fracture, de cette opposition romanesque au sein même du livre, d'un même livre. Ceux d'à côté l'exacerbe dès le titre. Celle qui dit, Catherine, n’a pas de vie ou si peu : un concours de chant à passer (le Conservatoire ?), rien d'autre.
Ceux d'à coté, en langage Mauvignier, ce sont ceux qui vivent : sa voisine de palier, Claire, amoureuse d'un Sylvain, alors qu'elle, elle croit attendre l'amour sans savoir qu'elle n'attend déjà plus rien. Très vite, le viol : devinez qui est la victime ? La voisine, bien sûr, celle qui prend le risque de vivre, de se mouiller, littéralement – c'est dans une piscine que le violeur la repère et la suit jusque chez elle pour l'agresser sur son palier. Mais le plus beau, le plus casse-gueule, ce que Mauvignier a le culot d'oser, c'est de faire intervenir la voix du violeur, de l'intercaler sous forme dé monologue intérieur avec la voix de Catherine, de les mettre en parallèle pour les faire parler chacun leur tour de leur vie, vide s'il n'y avait l'autre, celle qu'on côtoie ou qu'on percuté – chacun sa façon pour s'approprier un petit morceau de sa vie. “ Celle d'à côté ”, celle qui aime et s'abîme, se souille mais qu'il faut garder en vie, parce qu'elle est le seul espoir d'amour, d'humanité, de ces deux voix qui jamais ne se conjugueront dans le roman. D'abord, on est agacé : comment Mauvignier peut-il se permettre de nous montrer un violeur gentil ? Seul lui aussi, qui souffre de cette solitude-là et de cette violence-là, faite à cette femme qu'il aurait préféré pouvoir aimer ; avoir le courage d'une vraie histoire d'amour plutôt que de se laisser aller à cette mascarade ide rapport sexuel qu'est ce viol. D'abord, on n'a ni envie de le croire ni de l'admettre, surtout pas de l'accepter ; et puis on aimerait tellement que Mauvignier nous foute la paix, nous permette ce confort de ne pas avoir à y réfléchir !
Peu à peu, il parvient à nous l'arracher, cette compassion, en nous mettant du côté de cette solitude-là : du côté de celui qui dit, qui regarde les personnages de fiction évoluer. “ Alors, voilà au moins une chose que je sais. Au moins une. Il y a ceux qui savent et les autres, ceux qui n'ont que la douleur d'être humiliés pour se rappeler qu'ils sont vivants. Allez dire ça à ceux pour qui la vie est faite. Leur raconter que les victimes et les bourreaux c'est au même dégoût qu'ils se découvrent, aux mêmes fatigues qu'on les reconnaît. Et leur dire qu'on est quelques-uns à marcher au-dessous de l'humanité. Qu'on aurait bien voulu mais qu'on n'a pas choisi comme eux croient à tout bout de champ qu'on choisit sa vie, avec ceux qui disent que, eh oui, mon garçon, quand on veut, on peut, Ben voyons. 
Les phrases ont beau être longues chez Mauvignier, elles ne mèneront jamais à l'autre : il est déjà mort (Loin d'eux), il vous quitte (Apprendre à finir), il plaque tout pour oublier d'avoir failli mourir (Ceux d'à côté). entrer un peu dans sa vie, se faire croire qu'on y participe, qu'on participe à cette vie-là par procuration, il faut le violer ou se renier, comme Claire : “ Cette douleur à moi, là, qui faisait un creux et que j'entendais battre sous la peau. J'écoutais mon cœur en posant ma main sur la peau, ça bat, oui, ça bat encore mais comme ça faisait mal, les sourires sur leurs bouches. Il fallait baisser les yeux, il fallait rabattre bien sa paume sur le cœur pour ne pas laisser voir où ça me lassait, où eux me laissaient, sans s'en rendre compte, avec leurs yeux pour eux, sans les autres, sans savoir que les autres, c'était moi. ”Les phrases sont de plus en plus longues chez Mauvignier, mais elles ne mènent pas à l'autre car elles restent implacablement confinées au silence des voix intérieures.
Ceux d'à côté est un roman où ne résonne que le silence de ces voix chuchotées, où les cris de ceux qui vivent, de ceux qui souffrent, ne s'entendent pas, écrasés par le refrain de la solitude des autres : “ On s'y met tous, eux, moi,, tous parce que, moi, je voudrais oublier son histoire et ne pas me dire encore, ça s'est passé devant ma porte et moi je n'ai rien vu, rien entendu, avec mon poisson rouge sur la commode, dans son bocal (...), moi dans ma bulle. Et je n'ose même pas dire à cause de la musique, alors qu'il faudrait dire à cause et non avec la musique, car c'est à cause d'elle que je n'ai rien entendu, la musique, comme si je devais pour toujours me dire que chanter c'était fait exprès pour ne rien voir, ne rien entendre. ”Tragédie musicale. Ceux d'à côté, c'est l'envers exact d'une comédie musicale, un film de Jacques Demy privé de sa rédemption finale : la rencontre. Ici, jamais on n'aura souhaité à ce point qu'un homme et une femme ne se rencontrent pas, que Catherine et le violeur, ceux qui restent quand Claire a déménagé, ne s'abordent jamais, même au cinéma où ils se croisent une fois. C'est un des tours de force de l'écrivain, de nous faire redouter ce qu'il a la force d'éviter radicalement : ce vieux classique du romanesque, ce cliché delà narration, qu'elle soit cinématographique ou littéraire. Catherine, c'est toutes les Lola, Delphine, Solange de Jacques Demy, mais qui seraient, restées figées dans leur attente. Privées à jamais de happy end. »

Christian Sauvage (Le Journal du Dimanche, 29 septembre 2002)


« Laurent Mauvignier est un des plus grands écrivains français vivants. Voilà, c'est dit. Pour ceux qui ne le connaissent pas, disons-leur que Loin d'eux (Éditions de Minuit, 1999) et Apprendre à finir (Éditions de Minuit, 2000, prix du Livre Inter 2001) sont des livres qui, plusieurs années après, chantent encore en nous. Un jeune homme qui quitté sa famille, une femme qui récupère son mari après un accident de voiture, des personnages inoubliables, une voix unique, faite de monologues intérieurs qu'on entend plus qu'on ne les lit, une langue magnifique aussi. À trente-cinq ans, avec son troisième livre, Laurent Mauvignier confirme tout le bien qu'on pense de lui. Ceux d'à côté est encore un grand choc. Un écrivain qui marche sur les pas des maîtres.
Deux jeunes femmes, deux amies. Qui vivent dans deux appartements sur le même palier. Catherine – Cathy –, étudiante en musique, qui s'ennuie, seule ; et Claire (si claire), simple, amoureuse de Sylvain. Entre elles une cloison. À travers elle, des phrases qu'on entend, des murmures, des bruits. Peu à peu on découvre que Claire, qui s'en va, a été violée en rentrant chez elle ; Catherine, qui reste, a peur, s'en veut. Mauvignier ne s'arrête pas là. Lui qui sait si bien se mettre dans la tête des femmes (comme dans Apprendre à finir), se met maintenant dans la tête du violeur. C'est donc lui cet homme qui parle, qui rôde ; Le drame. Entre Cathy et lui.
Au-delà de l'intrigue, il y à les mots et les sentiments. Tout le talent de Laurent Mauvignier. On voudrait citer son livre entier, tant son regard et son écriture sont exceptionnels. Mais après l'extrait, que le JDD vous offre ici, il y a une solution : allez chez votre libraire ! On ne peut pas vous offrir mieux. »

Patrick Kéchichian (Le Monde, 11 octobre 2002)

Laurent Mauvignier, en retrait dans la voix des autres
Sans aucune complaisance à l’égard de la violence banalisée, l’auteur d’Apprendre à finir met la parole à l’épreuve des misères quotidiennes.
 
« La phrase tourne, pivote, dessine des cercles autour de son objet. Elle s'en approche, va le toucher... Mais non, c'était une illusion. On ne l'atteint jamais. Pourtant c'est bien cet objet, cette chose innommable, honteuse, ce creux, cette déchirure où toute la pitié du monde se concentre, qui détermine et commande le mouvement de la phrase.
Laurent Mauvignier n'est pas le premier écrivain à tenter de dire la douleur brute et banale, la violence des situations individuelles, ces existences réduites à la seule dimension d'un quotidien sans horizon, à énoncer la litanie de l'impossible amour. Mais c'est l'un des seuls, probablement, à avoir trouvé une langue littéraire aussi adéquate et suffisamment élaborée pour transmettre la sensation d'une proximité véritable, presque physique, compassionnelle voudrait-on dire, avec les êtres imaginaires qu'il met en scène.
Dans ses deux précédents romans – Loin d'eux en 1999 et Apprendre à finir l'année suivante (tous deux aux Éditions de Minuit) –, comme dans Ceux d'à côté qui paraît en cette rentrée, Mauvignier ne cherche pas à reconstituer les vies de ses personnages, à leur tisser une biographie serrée et vraisemblable. Rien n'est exprimé sur eux, sur leur dos en quelque sorte. L'auteur se contente (si l'on ose dire), tout en se retirant lui-même, de leur donner la parole, de leur prêter une voix. La technique du monologue intérieur se fait ici éthique : il n'y a pas lieu, il y aurait même obscénité, à se substituer à cette parole, à couvrir, en la commentant, cette voix. Il suffit de la rendre assez pure. Et cette pureté, on la reconnaît au bouleversement qu'elle communique.
Deux femmes, Claire et Catherine, vivent sur le même palier. Claire, avec son ami Sylvain, va quitter l'immeuble, car elle a subi là un viol qui la laisse pantelante. Cathy vit seule, intérieurement seule. Dans cette vie comme évidée de toute joie, de tout espoir, le voisinage de Claire était devenu essentiel. Un peu de ciel s'ouvrait : cette relation suffisait à rehausser de vraies couleurs le gris de son existence. Mais parce que les sentiments et les désirs sont infiniment complexes, que leur ambivalence est comme une loi non écrite qui fait ployer l'existence, Cathy va entretenir le rêve du violeur.
 Les bras lourds, le corps, sa fatigue, je me souviens, j'ai marché tellement longtemps à me dire tout ça. À tellement vouloir que tout ne soit qu'un rêve, un sale rêve comme on en fait et qui nous laisse si vide le matin, avec pour nous soutenir que les mots à attendre qui murmureraient à l'oreille que ce n'était rien qu'un mauvais rêve. Des mots à attendre, et puis aussi cette voix qu'on ne connaît pas qui saurait nous le dire. ”
Les paroles béantes des uns et des autres sont comme des corps compacts, saturés. La misère, sous tous ses visages, intime ou exposé, est une réserve commune ; ceux qui ne sont pas “ doués pour la vie ”, qui “ n'ont que la douleur d'être humiliés pour se rappeler qu'ils sont vivants , sont invités à y puiser. Ainsi, pour faire parler le violeur – admirables pages –, Mauvignier n'a pas eu besoin, comme cela se fait beaucoup, de s'identifier à lui. Par son retrait, sa manière et son style, il est parvenu à donner à son roman une incontestable puissance de vérité. »

 




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