Romans


Christian Oster

Sur la dune


2007
192 p.
ISBN : 9782707319791
14.00 €
40 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


J'étais en route vers la côte landaise, où je devais aider des amis à désensabler leur maison. Plus tard, je m'installerais à Bordeaux, c'était décidé. En attendant, j'avais l'intention de vivre un peu, juste assez pour que ça me laisse des souvenirs. Il y avait peu de chances, toutefois, que quelque chose m'arrive sur la dune déserte, entre deux pelletées. Puis, à l'hôtel, j'ai rencontré Charles Dugain-Liedgester, qui ne dormait plus avec sa femme et qui lisait tard le soir.

ISBN
PDF : 9782707331816
ePub : 9782707331809

Prix : 9.99 €

En savoir plus

Jean-Baptiste Harang, Libération, 8 mars 2007

Souvent, les héros des romans de Christian Oster empruntent la nationale 10. Parfois, ils s'appellent Paul. Et pas que la nationale, ils empruntent des voitures, des maisons, des femmes, des vies, les héros de Christian Oster sont des coucous, ils s'approchent poliment de la vie des autres, ils pensent qu'elle vaut bien la leur (dont, en général, ils ne pensent pas grand-chose, sinon s'en éloigner), elles les rassurent, ces vies des autres, puisque, jusque-là, elles ont tenu, sans qu'ils aient eu à s'en mêler, eux, les héros. Le coucou s'installe dans le nid des autres, la femelle pond ses oeufs dans celui des bruants, des bergeronnettes, des fauvettes. Le coucou est maigre, on le range parmi les cuculiformes, il court vite (en plus, il vole). Le coucou coucoue, du verbe coucouer, qui est si rare qu'on en autorise l'usage, afin qu'il serve un peu à celui qui imite le cri du coucou. On dit également coucouler. Pas souvent. Ainsi Paul.
Reprenons. Souvent les héros de Christian Oster empruntent la nationale 10 (la 20, parfois). Au moins jusqu'à Chartres avant de bifurquer vers Rochefort-sur-mer, Ronce-les-bains, ou bien ils reviennent à Chartres après s'être attardés vers Arcachon ou plus au sud, comme cette fois à Saint-Girons-Plage, ou même les Pyrénées, parfois on connaît la marque de leur automobile, ici non, Paul est en voiture, c'est tout. Ingrid aussi. Charles non. Ingrid et Charles sont femme et mari, mais ils s'évitent, ils occupent un nid mal habité, alors, forcément, Paul. Nous verrons bien. Les héros des romans de Christian Oster empruntent des routes, des vies, on l'a dit, ils les rendent, mais ce ne sont pas des emprunteurs, au contraire, ce sont des empruntés, engoncés dans des doutes nonchalants, des mélancolies souriantes. Ils n'ont pas d'ambition, ils sont disponibles, ils font la planche sans espérance réelle qu'un courant les emporte, mais on ne sait jamais. Les livres les prennent à un moment de leur vie où presque tout est possible parce qu'un petit rien vient de se produire, ils ont perdu leurs clefs, ou leur cartable, leur femme, leur travail, pour les conduire un peu plus loin, là où le lecteur peut s'éloigner la conscience tranquille, quand les pièces du puzzle sont recalées, dans un plan imprévu, sans trop de dégâts, comme si c'était mieux comme ça. Ou pas mieux, mais pas pire, juste comme ça. Avec les pièces d'un même puzzle, on peut dessiner de lents destins différents, il suffit d'attendre sans trop espérer.
Et si Paul s'installait à Bordeaux, place du Parlement ? Quitter Paris, un travail de bureau où sa compétence est telle qu'il pourrait facilement trouver du travail ailleurs, pourquoi pas à Bordeaux, après tout, Bordeaux, c'est ce qui se fait de mieux, question repartir non pas à zéro, non, disons du bon pied. Nous, on préfère Toulouse, Toulouse avant Bordeaux, c'est la règle, Oster n'y pense pas. Bon, Paul fait un détour par la côte landaise, ses amis Catherine et Jean y ont une maison ensablée sur la dune à Saint-Girons-Plage. Ce n'est pas une catastrophe, tous ceux qui connaissent la région vous diront que l'ensablement fait ici partie de la volte des saisons, qu'ils ont des pelles et voilà tout. Paul emprunte (vous voyez bien), non sans avoir hésité entre les deux, une des pelles de Catherine et de Paul que ses amis ont laissées dehors, heureusement car il n'a pas la clé. Et il pelle, du verbe peller, auquel on peut préférer pelleter, mettons qu'il pellette, prononcez «pèlte». Ses amis ne viendront pas. Paul va dormir à l'hôtel. C'est là qu'il va rencontrer Charles, Charles Dugain-Liedgester, et partager sa chambre puisque l'hôtel est complet. Et lire tard Louis XI dans la nuit. Ingrid occupe une autre chambre, on l'a dit, les Dugain-Liedgester font vie à part. Ingrid aussi pellette devant une maison ensablée, ça crée des liens. Vous ne croyez pas si bien dire. On devine la suite, mais on ne la dit pas : la mort de Jean-Marc Vecten, la beauté de sa veuve Brigitte, le retour vers Chartres pour les obsèques à Danton. Ni la suite, ni la fin. Ah, l'amour !
Non, ce qu'il faudrait dire et que ce qui précède ne dit pas, c'est la façon dont l'écriture de Christian Oster vous embobine, vous enroule dans des précisions tellement inutiles que, sans elles, il n'y aurait plus rien, tellement saugrenues qu'elles vous ressemblent, que tous ces Paul sont des tergiversateurs d'élite, des ergoteurs de première classe, et des biaiseurs qui ne pensent qu'à ça. Ils réfléchissent tant, passent en revue tous les possibles de la moindre des situations, que les choses ont le temps de se faire avant qu'ils ne les décident, cette rumination interne et leur abnégation à n'en pas tenir compte fait la chair de l'écriture. Il faudrait une citation pour comprendre, va pour le début : «Je voulais m'installer à Bordeaux. Je n'avais pas spécialement l'intention de vivre, au sens de ce que ça implique comme énergie. Je recherchais plutôt le calme, avec un emploi du temps souple, des réveils doux, un peu de travail pour faire le liant, que je trouverais toujours, me disais-je, s'il y a quelque chose qui ne fluctue pas chez moi ce sont bien les compétences. Et Bordeaux, à cet égard, m'avait semblé idéal. Plus que Toulouse, par exemple. Encore que Lille, m'étais-je dit un temps, pourquoi pas Lille,  au fond.» Ah si, tiens, il avait pensé à Toulouse, voyez.

Norbert Czarny, La Quinzaine littéraire, 16 mars 2007

L'Aventure, c"était le titre du deuxième roman de cet auteur que nous connaissons mieux depuis Mon grand appartement, et Une femme de ménage. De même que nous connaissons Paul, narrateur de Sur la dune comme il l’était de précédents romans. La première personne du singulier permet en effet à Oster de mettre en relief les explorations, les découvertes et les hésitations ou doutes du héros, au fil de son voyage.
Le voyage commence dans les Landes, que Paul retrouve non sans appréhension, au bout de dix ans. Il vient là pour aider Catherine et Jean, ses amis, à désensabler le seuil de leur maison, sur la dune. Mais par un curieux raccourci, on comprend que c’est le couple qu’il vient désensabler. Seulement ils ne sont pas là quand il arrive, et il doit partager une chambre avec Charles Dugain-Liedgester, grand lecteur, insomniaque, séparé de son épouse Ingrid, qui dort ailleurs dans l’hôtel. Paul est en situation d’attente, avant peut-être de s’installer dans la capitale gasconne. Il n’aura pas le temps de s’attarder puisqu’il raccompagne Charles Dugain-Liedgester dans la Beauce, afin de soutenir une amie Brigitte Vecten, dont l’époux vient de mourir. Et c’est pour l’essentiel dans le village beauceron que les incertitudes de Paul trouveront une fin.
Lire Oster, c’est comme regarder un film. Si l’on est au dernier rang, on est sensible à l’espace, et à la façon dont le personnage erre entre océan et terre, ou bien dont il tourne autour de Bordeaux et d’une idée. Ici, l’espace est la distance qui s’instaure entre les personnages. D’abord trois couples désunis ou en train de se séparer, un narrateur dont on ne sait quasiment rien, sinon qu’il a rompu avec Anne-Marie et qu’il tient son collègue Commère pour « un type gentil mais coupé de ses semblables ». On le sait très sensible au bruit, notamment en matière sexuelle, mais comme en cette matière il ne pratique plus depuis un certain temps, cette sensibilité s’estompe. Il se tient donc à l’écart, observe, détaille. Et c’est alors qu’avec Oster nous nous trouvons soudain assis au premier rang, attentif au moindre détail. Et les détails ne manquent pas. Certains sont d’apparence frivole, d’autres prennent une importance grandissante au fur et à mesure que le voyage se déroule. Ainsi du physique d’Ingrid. La première vision qu’il a de cette femme souligne l’essentiel : « sa beauté demeurait comme en attente d’une preuve que je me trouvais bien en peine d’apporter. » Au fil des pages, les preuves abonderont, qui brossent par dévoilement le portrait d’une belle femme désirable. Les seins, la voix, la main, les cheveux, les yeux : le narrateur semble constituer un blason, jusqu’à la révélation finale : « je vis la forme de ses yeux et tout ce qu’il y avait de regard, dedans, de regard sur moi qui voulait me toucher. »
La proximité que nous impose le regard de Paul vaut aussi pour la bande son. Nous évoquions la distance à laquelle se trouvent les personnages, distance qui se réduira beaucoup dans la deuxième partie du roman, une fois la dune quittée, il faudrait aussi envisager le silence. Silence des couples en déshérence d’abord, puisque Jean et Catherine, Charles et Ingrid, Brigitte et Jean-Marc Vecten ne se parlent plus sinon par téléphone, ou entre deux portes, silence pesant dont le narrateur est témoin et qu’il tente d’alléger, parfois. Mais aussi silence entre Paul et ses amis de rencontre. Partageant la chambre d’hôtel avec Charles, il a du mal à converser avec lui, à trouver sa place dans l’espace limité qui leur échoit. Avec Ingrid, cela fluctue jusqu’aux pages finales dans lesquelles le silence qui s’installe un temps dans le combiné téléphonique n’est pas un synonyme de distance, mais au contraire de rapprochement. Le silence, c’est aussi le poids du temps dans lequel Paul est englué, ayant du mal à se projeter dans un futur avec quelqu’un, comme tous les héros d’Oster : « je suis là parce que je suis mort et que les morts n’habitent nulle part », conclut le narrateur, au terme d’une longue et belle phrase qui dit sa difficulté à vivre, à aimer, à être assez ému.
Si nous avons pu avoir quelques réserves sur deux précédents romans d’Oster, Les Rendez-vous et L’Imprévu, ayant le sentiment qu’il n’avançait plus, ces préventions disparaissent ici, tant Sur la dune a d’intensité. Aussi bien dans l’humour que dans la gravité. La présence de la maladie et celle de la mort, la souffrance du narrateur ont quelque chose de singulier que nous ne trouvions pas dans Les Rendez-vous, comme si la manière l’emportait sur le fond. Le renouvellement est d’abord sensible dans les jeux sur le rythme. Oster passe de longues phrases qui sont autant de réflexions sinueuses du narrateur, ou sont révélatrices de l’ensablement qui accable les couples, à des séquences très courtes. Il « fabrique » ses dialogues comme on se lance une balle de ping-pong, en n’usant que de « disais-je », « disait-elle » qui montrent combien la répétition peut être utile, comme le champ-contrechamp au cinéma : on ne peut être deux dans le cadre, ou alors on forme un vrai couple.
Et puis son goût du détail concret, d’une précision scientifique met en relief la distance entre le narrateur et le monde. C’est vrai d’un gros plan sur un sachet de thé, ou d’une discussion lexicologique sur le bord d’une route autour des mots boulons et écrous, c’est encore vrai d’une notation très juste et drôle sur les téléphones sans fil que nous utilisons sans bouger d’une chambre. Mais le pouvoir du mot juste, de la phrase soigneusement pesée est aussi le dernier recours lorsqu’on a tout perdu. Car à l’instar du héros dans Mon grand appartement, Paul a perdu des clés, une amante, et il craint de perdre le Temps, plus que son temps. Et pour exister, il a besoin d’Ingrid, vers qui il avance « chaotiquement », quand heureusement, elle marche vers lui d’un pas décidé.

Jean-Claude Lebrun, L'Humanité, 5 avril 2007

Aller au bout

C"est à chaque fois la même chose. On se dit qu’il n’y arrivera pas. Qu’il ne tiendra pas la distance. Avec ses histoires minimales et leurs improbables personnages en proie à une même procrastination. Et puis cela avance, se trouve une voie, s’invente une direction. Dans une irritante étrangeté d’abord. Ceux qui déjà connaissent savent qu’il faut en passer par là, traverser cette ténuité narrative pour qu’une histoire consente à sortir des limbes et à advenir. Que le plaisir ici ne se donne jamais immédiatement. Qu’il a besoin de ce temps de l’apprivoisement, qui est aussi acceptation de ce singulier pacte romanesque. S’il en est un qui paraît vouloir semer d’embûches le chemin de la lecture, c’est bien Christian Oster.
Celui qui raconte cette histoire au passé est un certain Paul. On l’apprendra à l’occasion d’une remarque incidente, au milieu du roman. Il entame son récit alors qu’il se trouve au volant de sa voiture, au début du printemps, sur la rocade de contournement de Bordeaux, et joue avec l’idée qu’il serait bien de venir un jour s’installer dans la ville. En fait, la question du futur se réduit à une pure spéculation, chez ce personnage encombré et accaparé par les obstacles sans fin que le présent dresse devant lui, jusqu’au burlesque. Par exemple ce soir-là, où il lui faut pourtant seulement gagner, sur la côte landaise, Saint-Girons-Plage et rejoindre un couple ami pour désensabler une maison sur la dune. Mais accéder à la localité balnéaire déserte, puis constater que personne ne se trouve à l’endroit indiqué, aller dans le seul hôtel ouvert et y obtenir une place de raccroc dans une chambre double, découvrir enfin parmi la petite compagnie rassemblée au salon celui qui en est l’autre occupant : c’est l’entièreté de son énergie qui se trouve requise par la succession de ces piètres entreprises. Et que faire ensuite ? Que dire ? Comment tenir sa partie, au dîner ou dans la chambre commune avant l’extinction des feux, quand on sait ce que chaque mot prononcé engage de vous-même et porte de malentendus possibles ?
Dans la chambre, il y a donc ce grand type d’allure indifférente, avec ce nom sonnant comme une injonction de maintien à distance, Charles Dugain-Liedgester. Sa femme se trouve à l’hôtel, mais ils ne dorment plus ensemble. Ils font même voiture à part, chacun la sienne pour venir depuis la région de Châteaudun. Paul ne l’apprendra que plus tard. Au matin, il l’aura rencontrée. Elle s’appelle Ingrid. Le même jour, ils devront rentrer chez eux, parce qu’un ami vient de mourir. Et Paul de se retrouver au volant, Dugain-Liedgester à son côté. La machine narrative, depuis un moment, a trouvé son régime. La retenue initialement éprouvée s’est imperceptiblement dissipée. On cesse de s’interroger sur Paul, on attend impatiemment la suite de ce qui se présente dorénavant comme une aventure. On trouve ce narrateur maintenant plutôt intéressant, plus concerné, plus actif. Le voici d’ailleurs qui raconte comment il se tient, le plus naturellement du monde, avec la veuve et les Dugain-Liedgester dans la chambre mortuaire. Puis comment il s’installe chez eux, participe aux tâches de la vie quotidienne. Jusqu’à l’enterrement. Parce qu’il y a quand même un mort et qu’on aurait eu tendance à l’oublier. Mais que faire, si la veuve pense manifestement à autre chose ? Quant à Ingrid…
Celui qui disait n’être capable de se souvenir « de rien ni de personne », vivait dans la sensation de « flotter », tenait que, pour un optimiste dans son genre, l’avenir « c’est avant que tout s’arrête », a lentement recommencé de vivre. Et cela s’est très exactement produit, on l’ignorait encore, quand le récit a opéré sa véritable mise en route.
On ne pressentait pas alors que quelque chose se dégrippait, dans la conscience de Paul et dans le flux narratif, tel qu’à l’accoutumée chez Christian Oster.
Il y a ainsi, répété à la lecture de chacun de ses livre, un bonheur à voir l’écrivain gagner le pari d’un récit d’apparence impossible. Et si l’on peut revendiquer de plus vastes horizons pour le roman, on n’en goûte pas moins ces tracés fragiles au plus escarpé de l’intime.
Là où précisément la question de l’être au monde se pose en même temps que la question des mots.
 

Patrick Kéchichian, Le Monde, 20 avril 2007

Chaque romancier est le porteur, le héraut d'une question, qu"il module, affine, infléchit dans la suite de ses livres, avec plus ou moins de bonheur. Parfois, il tâtonne, mais la question demeure. Celle que Christian Oster se pose - et nous pose –, dans la douzaine de romans qu’il a publiés depuis 1989, est obsédante, sans solution. Elle pourrait se formuler ainsi : comment raconter une histoire vraisemblable à l’aide d’un langage qui, au lieu de témoigner de la réalité, nous la dérobe sans cesse, nous en éloigne par mille complications et chemins ? Ou, plus radicalement : la réalité a-t-elle le moindre rapport avec le langage qui a, nous dit-on, la fonction de l’exprimer ? Il faut rendre hommage à Christian Oster pour avoir, sur le terrain qui est le sien, grandement, avec un scrupule exemplaire et un humour assez puissant pour tenir l’angoisse à distance, défriché cette question. Sans pour autant se rapprocher d’un pas de sa réponse.
L’argument du dernier roman d’Oster, Sur la dune, est sommaire. Trois couples, un narrateur et les dunes envahissantes de Saint-Girons-Plage en sont les protagonistes. Un des couples, celui de Catherine et Jean Schwartz, auprès de qui se rend le narrateur (Paul) pour aider à désensabler leur maison, restera invisible. On apprend incidemment que ça ne va pas très fort entre Jean et Catherine. Ça ne va pas non plus très bien pour Brigitte et Jean-Marc Vecten : Jean-Marc, qui avait tant d’humour, vient de mourir et sa veuve profite du jour de l’enterrement pour s’apercevoir qu’elle ne l’aimait plus. Quant au troisième couple, celui de Charles Dugain-Liedgester et d’Ingrid, ce n’est pas fameux non plus : ils font chambre à part dans l’hôtel de Saint-Girons où l’ensablement les contraint de résider. Le sable est d’ailleurs l’élément silencieux, envahissant de la première partie du récit, « cette matière intraitable, qui veut que toujours l’on piétine ce que l’on transporte, que sans cesse l’on charrie ce qui nous absorbe… »

Incertitude existentielle
Au milieu de cet écoulement sans forme ni mesure, de ces couples glissant sur la pente de la « déliaison » et au cœur de sa propre incertitude existentielle, le narrateur tente de trouver un équilibre. Comme tous les héros d’Oster, il raisonne beaucoup, inlassablement. Peut-être pour amadouer « ce futur dont le seul attrait était de ne pas exister encore ». Plus probablement parce que le réel fuit devant les mots, se dilue dans un langage impuissant à le saisir. En même temps, il est comme dans un bocal, regardant le monde au travers d’une vitre déformante. Certes, la forte attirance qu’il éprouve pour Ingrid Dugain-Liedgester – mais ça aurait pu être pour Brigitte Vecten, veuve et fort jolie femme – lui donne quelque espoir de briser cet enfermement au sein du langage et dans son aquarium mental… Il y a même, à la fin, comme une exclamation d’espoir : « Je sentais que ma vie prenait une forme. Quelque chose se mettait en place dont je n’avais pas de vision globale, mais qui avait l’air de tenir. »
Christian Oster a cet art singulier, hérité du Nouveau Roman, de conférer à la banalité et aux détails infimes de la vie une profondeur vertigineuse. Le soin maniaque qu’il met à examiner chaque potentialité du langage a pour effet de dérober sans cesse le sol sous nos pieds – là où l’on devrait marcher en terrain connu. Chez lui, le rire et la loufoquerie ne sont jamais de sûrs appuis mais des agents amplificateurs d’une abyssale perplexité : celle qui nous saisit au moindre examen un peu attentif de la réalité.

 

 




Toutes les parutions de l'année en cours
 

Les parutions classées par année