Romans


Christian Oster

Paul au téléphone


1996
256 pages
ISBN : 9782707315304
15.15 €
30 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


Ce qu'on peut tenir pour certain, c'est que, ce jour-là, Paul m'appelle au téléphone. Paul, je le connais à peine, je sais surtout qu'il y a trois ans Sandra m'a quitté pour lui. Il m'appelle donc de Ger (Hautes-Pyrénées), où tous deux se sont installés, m'annonce qu'il doit partir pour affaires, et me prie de boucler moi-même mes bagages pour rejoindre Sandra afin de lui tenir compagnie en son absence. Sandra, me dit-il, apprécierait un tel geste de ma part. Elle m'aime bien au fond, Sandra. Je veux bien. Je suis prêt à tout pour la revoir.

ISBN
PDF : 9782707332301
ePub : 9782707332295

Prix : 10.99 €

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Jean-Baptiste Harang (Libération, 8 février 1996)

Ne coupez pas
C’est à chaque fois pareil avec Oster, on ne peut le citer que brièvement, alors que c’est un type qui, même au téléphone avec Paul, fait toujours en détail le tour de la question.
 
« Le livre s'appelle Paul au téléphone et, dès le premier chapitre, le téléphone sonne : c'est Paul. À la fin du livre, le narrateur s'éloigne, c'est le moins qu'il puisse faire puisque le blanc s'installe entre le lecteur et lui, tandis que Paul est au téléphone. Tout cela pour dire que l'embrouille, si embrouille il y a, n'est pas à rechercher du côté du titre, il tient scrupuleusement ses promesses. Entre les deux coups de fil, on a parcouru plus de mille kilomètres, plutôt vers le sud, surtout par l'autoroute, le conducteur se tenant le plus souvent au volant. “ Bien calé sur mon petit cent quinze ”, parfois le cédant à Paul qui “ d'une simple berline usait altièrement comme d'un jet. Je demeurai saisi qu'il en tirât de tels effets quand j’avais toujours considéré les chiffres situés dans le quart inférieur droit de mon compteur de vitesse comme une pure abstraction, à laquelle la très concrète aiguille que j'avais accoutumé de maintenir dans sa partie haute n'aurait su donner corps en y aventurant plus avant sa pointe, tel l'explorateur désignant soudain de l'index, pour qu'en la nommant elle naisse à la cartographie, la terre vierge qu'il découvre au sortir d'une forêt depuis peu répertoriée, où sont craintivement restés les porteurs ”, (page 151).
Et voilà, c'est à chaque fois pareil avec Oster, on ne peut le citer brièvement, on le regrette d'autant plus que l'espace nous est compté, mais c'est un raisonneur, un ergoteur, un ratiocineur, bref, un écrivain de langue, un type qui cache le monde derrière son écriture, pour la bonne raison qu'au monde il ne comprend rien, pas plus que nous. Un type qui fait toujours le tour de la question, parce qu'il a le don de la drôlerie pour faire le tour de la question, parce qu'il n'y a pas de question, pas de réponse, juste des mots, des mots choisis pour se cacher. Le don de la sérénité devant l'évidence de l'angoisse, le don de faire rire avec rien, parce qu'il n'y a rien, et qu'il faut en rire à en pleurer. On était pourtant prévenu depuis L’Aventure, lorsque Oster nous avait dit : “ Quelqu'un a un problème avec le réel, il en vient à écrire ce réel. Un écrivain ne doit jamais oublier qu'il écrit un roman. Il n'y a pas de réalité. ” Voire.
On pourrait essayer de résumer l'histoire (seulement l'histoire, pas le livre : les livres qui se résument facilement méritent rarement d'avoir été écrits en entier). Notre homme reçoit un coup de téléphone de Paul, Paul qui l'a remplacé auprès de Sandra voici trois ans. Paul lui demande de se rendre dans le Sud pour veiller sur Sandra une petite semaine tandis qu'il s'absente pour affaires. Notre homme prend la route et rien ne se passera comme prévu, à supposer que quelque chose se passe et qu'une autre chose eût été prévue. Voilà. Sauf que, on le sait, il n'y a pas de réalité, et Christian Oster pousse encore un peu plus loin que dans ses trois précédents romans cet évitement du réel : dès la première phrase (“ Souvent l'histoire se passe dans une voiture et c'est moi qui suis au volant ”), il fait ce petit pas de côté qui installe le narrateur dans une situation d'observateur détaché par rapport à la situation que pourtant il subit, et, dans la dernière partie du livre, conduisant au soleil sur l'autoroute A 64, il impose sa propre rêverie, lue sur le pare-brise, inventée, dans le brouillard et la pluie d'altitude, comme substitut du degré précédent de réalité, de peur que le lecteur se soit laissé aller à croire ce que mentent les romans. Et pourtant, cette bride laissée explicitement sur le cou de l'imaginaire cède sous la force concrète qu'Oster exige de son écriture (alors qu'il n'attend jamais rien de ses héros), comme ce funiculaire que personne dans le livre n'a jamais vu : “ Le funiculaire était là, sa carlingue évoquant quelque état primaire du métal, tout entier voué au ferraillement comme s'il se fût agi de la couleur d'un bruit ”, page 208. »

Jean-François Josselin (Le Nouvel Observateur, février 1996)


Ce Paul si Oster
Le quatrième roman, Paul au téléphone, de cet écrivain sobre et post proustien embrasse le monde avec une extrême minutie.
 
« Ce n'est pas un ami, Paul. Ce serait même le contraire puisque aussi bien il lui a enlevé Sandra, sa femme. Mais enfin quand Paul l'appelle au téléphone pour lui demander un service particulier, il accepte aussitôt. Il est vrai qu'il est oisif, on ne sait pas très bien ce qu'il fait, contemplatif dans un café du 16e arrondissement devant un café noir et un croissant, ou, plus rarement, une tartine beurrée, qu'il mange “ sec ” et non “ mouillé ”. Ou encore quand il s'enfonce non sans volupté dans un ennui familier chez lui, entre le périphérique et le boulevard extérieur. Particulier, le service sollicité par Paul, en effet. Voici : on lui demande s'il ne pourrait pas tenir compagnie à Sandra pendant que lui, Paul, serait absent, en voyage. Il n'hésite pas. Paul et Sandra habitent dans les Hautes-Pyrénées. Il saute dans sa voiture mais ne fonce pas. Non, il prend plutôt le chemin des écoliers, passe par Saintes, et Royan, prend le bac pour franchir la Gironde, traverse le pays des grands bordeaux avant d'arriver enfin à Ger (sans “ s ”) où l'attend Sandra, et peut-être, sans doute même, est-ce pour aiguiser son attente qu'il met deux jours pour atteindre son but là où nous, nous mettrions quelques heures. En somme, il met en application le fameux alexandrin qui ravit tant de potaches : “ Et le désir s'accroît quand les faits se reculent. ” Mais à Ger, patatras, il ne tombe pas sur Sandra mais sur Paul. Paul qui a menti : ce n'est pas lui qui part, c'est Sandra qui va partir. Avec un couple d'amis, pour la montagne. Paul l'a appelé, lui, pour l'aider à la retenir. En pure perte. Alors il reste auprès de son rival (naguère heureux) déconfit. L'emmène à Biarritz, lui offre des sandwichs au jambon (de Bayonne, évidemment), l'entraîne à la plage, le voit disparaître dans l'Atlantique, revient à Ger en passant par Lourdes, découvre une Eve miraculeuse et revient à Ger, où Paul, miraculé de l'Océan, lui, l'attend. Et enfin remonte à Paris. Fin.
Histoire simple, dira-t-on. Eh bien, non. Rien n'est plus compliqué que la littérature de Christian Oster, qui en est ici à son quatrième roman. C'est parce qu'il souhaite que rien ne lui échappe, Christian Oster, il veut embrasser l'univers avec minutie, tout dire sur le plus banal, le plus modeste de ses gestes, qu'il s'agisse de changer une roue de voiture, de déguster une salade antillaise ou de nager sous l'eau. C'est étouffant, un tout petit peu ennuyeux et fascinant. D'une sobriété spectaculaire. Ni psychologie ni émotion, il s'agit plutôt ici d'un constat romanesque écrit avec une langueur proustienne redressée par une raideur très Éditions de Minuit. On frôle la noyade, mais on n'est pas si mal que ça au milieu de ces pages qui sont comme des vagues sèches. Et on ne pouvait en effet imaginer un éditeur aussi bien venu que M. Jérôme Lindon, le PDG de Minuit, pour Christian Oster. Curieux éditeur, d'ailleurs, que M. Lindon. On retrouve sa marque chez ses auteurs les plus variés, les plus dissemblables. C'est ainsi que la littérature de Christian Oster, qui ne ressemble, mais alors pas du tout, à celle de Jean Echenoz ou de Jean-Philippe Toussaint, paraît être néanmoins de la même famille. Comme naguère, aussi étrangers pouvaient-ils être les uns aux autres, Alain Robbe-Grillet, Michel Butor et Claude Simon étaient embarqués dans le même bateau, en tout cas sous les couleurs blanc et bleu de la maison de la rue Bernard-Palissy (le bateau en question s'appelait le nouveau roman). Et si le terrible M. Lindon était l'authentique auteur des livres qu'il publie sous divers pseudonymes d'écrivains ? »

 




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