Romans


Christian Gailly

La Roue et autres nouvelles


2012
128 p.
ISBN : 9782707321923
13.00 €
45 exemplaires numérotés sur vergé des papeteries de Vizille, 42 €


Réparer une roue. Penser à un cadeau d’anniversaire. Confectionner un gâteau, etc. Bref, toujours aimer une femme. Ne pas rompre immédiatement. Tenter de la retrouver avant qu’il ne soit trop tard.

Table des nouvelles :

La roue
Le perroquet rouge
Le lilas lie de vin
Le gâteau
Mon client de quatre heures
Et puis
L’inconnue
Les fleurs coupées

ISBN
PDF : 9782707324214
ePub : 9782707324207

Prix : 9.49 €

En savoir plus

Marie Michaud, Librairie Gibert Joseph, Poitiers, Page, janvier 2012

Deux ans après Lily et Braine, qui nous avait laissés pantelants, revoilà Christian Gailly avec un recueil de nouvelles où dominent l'amour et l"écriture, où le bonheur semble toujours un horizon inaccessible, où les bifurcations des existences tiennent autant du choix que du hasard.

Lecteurs qui attendez de la littérature qu’elle réponde à vos questions existentielles ou vous conforte dans vos certitudes, passez votre chemin ! Les livres de Christian Gailly ne pourront en aucun cas satisfaire vos exigences. La Roue et autres nouvelles peut-être moins que tout autre. En effet, dans ces huit nouvelles, l’auteur de Be-bop multiplie les interrogations, et les pistes esquissées un instant sont effacées d’une phrase à la page suivante. À chaque instant, il semble jouer avec le trouble qu’il provoque chez le lecteur, déconcerté par les personnages qu’il découvre et par leurs (més)aventures.
Car il est, comme toujours chez Gailly, question d’amour, de désamour, d’incompréhension, de rupture, de trahison, de méprise, de non-dits, de désespoir, d’ennui, de fuite et de mort. Pour les personnages, les situations les plus ordinaires se transforment en épreuves qu’il leur faut réussir pour avoir ne serait-ce qu’une chance de ne pas voir leur vie basculer. Ainsi en est-il pour cet homme qui, demandant à « la femme qu’il prétend aimer », « qu’est-ce qui te ferait plaisir pour ton anniversaire ? », se voit sommer de lui « écri[re] l’histoire du perroquet rouge », défi chimérique qu’il reformule ainsi : « J’aimerais qu’enfin tu me dises ce que j’aime, ce que j’aime qu’on me dise et qu’on ne m’a jamais dit » (« Le perroquet rouge »). Dans ces nouvelles, il est donc aussi question d’écriture puisque les quatre premiers textes mettent en scène des écrivains, la plupart à court d’inspiration, incertains dans le choix de leurs mots, cherchant des prétextes pour échapper à la page blanche, quitte à aller changer la roue d’un couple en panne sous un soleil de plomb (« La roue ») ou à confectionner un gâteau pour sa voisine d’en face (« Le gâteau »). Il y est même question d’un « roman, de Gailly Christian je crois, qui s’appelait je crois "L’Incident” », cité en référence à la situation sans issue à laquelle est confronté un étrange praticien (« Mon client de quatre heures »). En se colletant à l’exercice spécifique de la nouvelle, Christian Gailly nous surprend : on l’y retrouve même et autre, comme dans ces variations musicales dont le thème est toujours là, reconnaissable mais transformé. À la dernière page de la dernière nouvelle, on se dit que décidément la littérature pose plus de questions sur les sentiments qui traversent, portent et bouleversent nos vies qu’elle n’apporte de réponses et que c’est peut-être aussi bien comme ça.
 

Jean-Claude Lebrun, L'Humanité, 12 janvier 2012

Christian Gailly, éternelles histoires

Le premier recueil de nouvelles de Christian Gailly permet aujourd"hui d’apprécier la vigueur de son écriture dans le genre court. Les huit textes ici proposés recoupent et reprennent des thèmes du travail romanesque, mais selon une autre logique narrative. Ce qui frappe en l’espèce, c’est en effet la combinaison de familier et de neuf. Avec ces personnages rencontrés dans des livres précédents, ces situations aux allures de déjà-vu, pour finalement tramer des récits surprenants, dans lesquels on voit, pour la première fois aussi distinctement, l’écrivain lui-même s’avancer.
Ainsi que dans les romans, depuis 1987, il s’agit d’histoires entre des hommes et des femmes : une part essentielle de l’antique fonds de commerce de la littérature, revendiqué par Christian Gailly comme son terreau coutumier. À partir de circonstances d’apparence banale du quotidien, de petites intrigues se nouent, qui très vite dérivent vers un autre propos. Une automobiliste vient frapper à une porte pour demander de l’aide. Une femme réclame à son époux un cadeau très particulier pour son anniversaire. Une autre femme se rend chez son ami, ne le trouve pas et lui laisse un mot. Un homme confectionne un gâteau pour sa voisine et reçoit la visite du mari. Un autre homme, qui se croyait proche d’être délaissé, constate l’exact contraire. Deux êtres se retrouvent par hasard, au bout de plusieurs années, et revivent ce qui arrive aux héros de Broken Flowers, le film de Jim Jarmusch cité par Gailly, puisqu’ils apparaissent soudain confrontés à un passé qu’ils avaient cru surmonté.
Ces figures s’appellent Lily, Paul Cédrat, Suzanne, Marc Irmyria, Louis Meyer, Mira Belotch, Georges, Delaunay, Susan Griffin, Georges Reichac. Certaines rencontrées déjà chez l’auteur, comme Suzanne, Georges, Lily ou Paul Cédrat. Une autre venue de chez Jean Echenoz (Louis Meyer de Nous trois). Une autre encore de chez Claude Simon (Georges Reichac, hybride du troupier Georges et du capitaine de Reixac - prononcer Reichac – dans La Route des Flandres). Quant à Susan Griffin, elle pourrait ici agir telle une lecture en écho. Christian Gailly semble ainsi, d’un même mouvement, revisiter son propre territoire romanesque et signaler des voisinages littéraires. Dans la plus totale liberté. Opérant des déplacements et des transfusions qui donnent à ses huit textes un air d’absolue nouveauté. Voici par exemple Paul Cédrat, le compositeur qui avait tant déplu au public festivalier sur les bords du lac de Zurich dans Dernier amour. On s’en rappelle encore le sublime chapitre d’ouverture. Le musicien maudit réapparaît ici sous les traits d’un homonyme qui hormis écrire « ne sait rien faire de ses dix doigts ». Une dame gantée, sosie de la Rose Braxton de Lily et Braine, vient un jour frapper à sa porte, à cause d’une crevaison. L’auteur se tient alors à la table de mixage, faisant surgir une troisième histoire, où il est précisément question de celui qui « intrigue ». 
À lire évidemment dans le double sens du terme.
L’ensemble du recueil fonctionne ainsi, en reprises et échappées vers de nouveaux horizons. N’hésitant pas à mettre l’écriture en scène. Signalant les interruptions du travail. Reproduisant et corrigeant les fautes de frappe, comme en temps réel. S’interrogeant (« Quel besoin ai-je de raconter la suite ? »). Donnant en somme à voir la quintessence d’un univers et de son style, en une manière d’art poétique.

Christophe Kantcheff, Politis, 12 janvier 2012

La Roue, recueil de nouvelles drôles et mélancoliques de Christian Gailly.

Après quatorze romans, Christian Gailly publie pour la première fois des nouvelles, un genre qui lui convient à merveille. N'étant pas un producteur d'intrigues compliquées mais d’histoires sur le fil, où le suspense réside davantage dans le jeu des impressions et dans la langue, Christian Gailly ne peut que se sentir à l’aise dans la brièveté. Ses romans composés en séquences ne s’opposent d’ailleurs pas à la forme courte. De même, avec des personnages parfois récurrents (un narrateur écrivain, la dénommée Mira), et surtout une progression vers plus de complexité dans sa construction, La Roue et autres nouvelles pourrait presque s’apparenter à un roman. Les frontières (entre les genres) ne sont-elles pas faites pour être transgressées ?
L’amour est le sujet de ces nouvelles. L’amour tel qu’il va, vient, s’en va, ou a du mal à aller. C’est que les choses ne tournent pas très rond, dans La Roue. Pas seulement entre les hommes et les femmes, cela, ce n’est pas nouveau. Encore qu’ici rien n’est vraiment banal. Comme ce couple d’amoureux échappé d’un mariage, lui étant le futur marié qui n’a pas dit oui, elle une autre que la future épouse (« La Roue »). Ou cette femme qui annonce à Louis qu’elle le quitte, alors que celui-ci a fait refaire toute sa maison pour qu’elle vienne s’y installer, quand soudain elle semble faire volte-face et vouloir vivre chez lui (« Et puis »). Ou bien ce chirurgien qui, après avoir été appelé pour opérer en pleine nuit, rencontre une ancienne fiancée qui lui révèle qu’elle a eu deux filles de lui, des jumelles, il y a plus de dix ans (« Les fleurs coupées », traduction de Broken Flowers, titre d’un film de Jim Jarmusch, auquel cette nouvelle est dédiée - pas étonnant, les univers de l’écrivain et du cinéaste ont une foule de points de rencontre).
Le grand talent de Christian Gailly est non seulement de parvenir à instaurer en quelques pages une atmosphère, mais à la composer, comme un bouquet, de sentiments aux couleurs différentes, voire incompatibles : l’étrange, l’humour, la mélancolie. Equilibre délicat à trouver, mais payant auprès du lecteur.
L’étrange, l’auteur le fait naître par des apparitions (« …bref, le wagon était pour ainsi dire désert et puis, à la station Laplace, une femme est montée, tout en noir et le visage très blanc. À vrai dire elle n’était qu’un visage »). Mais aussi avec le doute qui plane en permanence sur la réalité de ce que le narrateur perçoit. L’une des nouvelles les plus énigmatiques raconte comment celui-ci, un écrivain, découvre que la femme qui l’attire mais qui se refusait jusqu’ici à venir chez lui est en train de le chercher dans sa propre maison, passant de pièce en pièce, lui l’observant sans être vu (« Le lilas lie de vin »). Le mystère est ici explicitement lié aux pouvoirs de l’écriture : « Je dis imaginer mais je ne sais pas si je l’ai imaginé. Peut-être est-elle venue. Je vais finir par le croire. J’écris peut-être pour en arriver là, le croire. »
L’humour vient des décalages, de cette impression que les personnages n’ont peut-être pas tout à fait les deux pieds dans le réel. Aussi des considérations pince-sans-rire qui jalonnent les nombreuses digressions. Christian Gailly est le roi des digressions dans des nouvelles d’une dizaine de pages. Elles participent au (faux) rythme que celui-ci imprime à son récit, détruisant l’idée commune que les courtes nouvelles doivent être menées tambour battant. On le sait, Gailly a la langue musicale, dans sa structure comme dans sa tonalité, une qualité présente dans tous ses romans.
Autre fait notable, et là encore presque contre-nature pour des nouvelles : on y sent le temps qui passe ou a passé, le caractère irrémédiable de ce que le narrateur, quel qu’il soit, a vécu ou n’a pas su vivre. De là naît bien sûr la mélancolie. Et aussi du sentiment de solitude qui traverse le recueil, fruit d’un déphasage existentiel avant tout. Une mélancolie non du désespoir, mais du « qu’est-ce que je fais là ? ». « On n’écrit que rarement quelque chose du goût des autres », note l’un des narrateurs-écrivains. En ce qui concerne Christian Gailly, c’est archifaux.

Agnès Vaquin, La Quinzaine littéraire, 1er-15 février 2012

Un faux air de rien

Et revoilà Christian Gailly avec La Roue et autres nouvelles, en tout huit, guère plus de dix pages chacune, ciselées.

En revanche, quand il s'agit de gloser sur ce petit recueil, la tâche est plutôt délicate, parce que son secret, à lui Gailly, c'est « l’atmosphère ». On peut toutefois s’y risquer. Par exemple à partir d’une petite phrase : « L’homme du film, un comique de la catégorie des grands perplexes, pour fixer les idées quelqu’un du niveau de Stan laurel. » Le film, c’est Broken Flowers, Jim Jarmuch, 2005. L’homme, c’est Bill Murray, à ceci près que le narrateur de Christian Gailly n’a pas allumé sa télévision et qu’il regarde un écran vide qui lui renvoie sa propre image. Les narrateurs de ces huit nouvelles s’expriment à la première personne comme autant de doubles de l’auteur et tous ont mal à leur être. Or ce mal, pour un jazzman, ça s’appelle le blues. Autre petite phrase, laquelle figure sur la quatrième de couverture : « Bref, toujours aimer une femme ». Ces huit nouvelles sont toutes en effet, à des degrés divers, des histoires d’amour.
L’amour selon Gailly ne se partage que pendant un temps, le plus souvent révolu, et, pour lui emprunter une expression qui lui est familière, « encore que »… Son narrateur est donc celui qui n’aime plus ou n’est plus aimé ou parfois le spectateur intéressé d’autres amours improbables. De toute manière, l’amour le fait souffrir, témoin ce Louis, mécontent de l’effet que ne produit pas sur son amie la grande scène de rupture qu’il a soigneusement préparée et qu’il lui inflige : « Ça ne veut pas dire qu’elle n’avait pas de peine. Chacun a de la peine à sa façon. Chez elle ça ne se voyait pas. Pourtant Louis s’était mis en quatre pour que ça se voie. Non, quand même pas. Encore que. Oui, je me demande si tout le mal qu’il se donnait ça n’était pas pour voir apparaître la peine sur le visage de Mira. »
L’atmosphère, c’est aussi les lieux habités par ces personnages, des lieux bien plus présents qu’ils ne devraient. Huit narrateurs donc, plus ou moins cernés ou même aux prises avec des choses aussi triviales qu’envahissantes. Ils ont des comptes à régler avec ces objets récalcitrants. Leur décor tient trop de place, pour un rien le voilà devenu bizarre, voire malveillant : cette roue à changer, ce lourd marteau inutile, ce gâteau calamiteux. Dans le jardin, un étrange « lilas lie de vin » sert de cachette à l’homme pendant que sa visiteuse le cherche partout dans la maison, violation de domicile dans l’esprit du premier, mais aussi prétexte possible à un inventaire soupçonneux sous le regard de la seconde. Et que dire de l’improbable restauration d’un certain mur mitoyen qui s’écroule ? Louis a refait à neuf sa maison - Gailly ne nous épargne pas ce genre de détail – pour que Mira accepte de vivre avec lui. Elle s’y refuse, va jusqu’à rompre. Mais quel parce la liait à ce fameux mur, que le voisin finit par restaurer tant vaut dire malgré lui, pour qu’elle débarque comme par miracle, avec armes et bagages, à l’instant même où la restauration s’achève ? Les histoires de Gailly, c’est simple, elles nous arrivent avec leur matériel.
Les mots et les choses, les choses et les mots. Cette écriture, si l’on y prend garde, a un faux air de rien. Aucun lyrisme intempestif, pas de points de suspension. On s’avise bientôt que ces phrases courtes, souvent interrompues, ont une façon à elles de se poser en porte-à-faux sur les propos qu’elles tiennent, sur l’histoire qu’elles racontent, malice, dérision, ironie, noirceur, humour. Ce ton de Gailly et le pouvoir que ses livres ont de nous embarquer ! « Elle venait d’apprendre mon nom, ma profession. Dès cet instant ses regards furent différents. De quel ordre, le changement ? Je ne sais pas. Je semblais l’intriguer. C’est toujours comme ça, on intrigue. Même inconnu, le seul fait d’annoncer qu’on écrit. On vous soupçonne de je ne sais quelle jouissance. Les pauvres, s’ils savaient. » Ce n’est pas uniquement parce qu’il lui plaît de nous raconter des histoires d’amour qui tournent mal, ou de se produire au beau milieu d’objets de mauvaise volonté que le charme de Gailly opère à ce point. Le jazz, ça s’écoute, ça vous emporte dans le rythme, ça se murmure. On s’y abandonne et on ne s’en lasse plus.


 

 




Toutes les parutions de l'année en cours
 

Les parutions classées par année