Romans


Christian Gailly

Dit-il


1987
192 pages
ISBN : 9782707311467
19.50 €


Christian Gailly, né le 14 janvier 1943, a manqué sa naissance, ses parents, enfance et adolescence, études, service militaire, mariage, enfants et tous ses premiers romans. Moi, lui dit sa femme, à ta place, je donnerais des nouvelles. De qui ? dit-il. De toi, dit-elle, la vie et la mort, l'impuissance à vivre et à mourir, l'amour de la lumière, la beauté, en peinture, musique, et littérature, lecture et écriture, édition, que sais-je encore ? Et moi donc ? dit-il. Non, il a dit non, mais c'est comme s'il avait dit oui. Il s'y est mis et voilà ce que ça donne. Rien d'important, dit le livre. Reste le plaisir d'être tenu sous un regard.

ISBN
PDF : 9782707337528
ePub : 9782707337511

Prix : 13.99 €

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Michèle Bernstein (Libération, 19 novembre 1987)

Le sourire de Buster Keaton
 
« Regardez comme je me fais mal pour que nous riions ensemble, moi en essuyant ma larme, vous en vous tenant les côtés. Dit-il est un superbe numéro de clown, et, puisque nous n'avons pas peur des clichés, nous rappelons que le clown est triste. Comment le dit-il lui-même : “ Quand un romancier me dit : Il souffre, je me dis : Oui, je comprends, je suis comme lui, tout en pensant que l'auteur a écrit ça en se tordant de rire (...). Mais quand un écrivain me dit : Je souffre, alors je me dis : Oui, je comprends, il est comme moi, et je me tords de rire. Car moi-même je me tords quand j’écris ça : Je souffre. ” Acrobate qui s'emmêle dans les cordes, écuyer qui s'accroche à la queue du cheval, musicien qui accouche d'un pet, le clown touche à tout, et l'autre cliché (vrai, pourquoi pas ?) à l'usage des enfants, c'est : regardez bien le clown, pour avoir l'air de tout rater, il doit d'abord savoir tout faire, et mieux que les autres, c'est lui le plus costaud du cirque. Écrivain par vocation, Christian Gailly tombe ses culbutes avec les sentiments, le langage et les mots, ça fait déjà un bel éventail.
Le reste est affaire de virtuosité. Le bégaiement écrit, le mot qui se rebelle, se tord et se redouble, vivant comme un ver coupé sous la bêche, comme ces bougies d'anniversaire qui refusent de s'éteindre, et l'angoisse qui perce : succès assuré, parce que c'est, paraît-il, le sentiment le mieux partagé du monde. Donc, le narrateur de Dit-il (ressemblance avec l'auteur ? Je n'en sais rien. Les gens sont si bizarres...) est un écrivain qui perd sa bataille quotidienne avec l'écriture : “... Mais oui, se redit-il, tu vas y arriver, à force. À force de penser à la même chose, on finit par penser à autre chose. C'est l'essence même de l'essence des choses, l'évidence de la science, je m'y rends de ce pas, par un détour de force. Respire à fond. ” Pour la vraisemblance de l'incohérence, les ruptures de ton entre le noble, le tragique, le familier et – parfois – le trivial. Pour le comique, l’inaccessibilité des modèles, le décalage : “... j'écris tout ça sous influence (c'est Thomas Bernhard), on va encore me dire que j'écris sous son influence, que je feras mieux d'être moi-même. Comme à l'école, on va me dire que je copie sur lui. La dernière fois, c'était Beckett, que je salue, qu'au passage je salue. ” Il y a aussi Lowry et Gracq.
Naturellement, le narrateur ne se heurte pas qu'au mur de la page blanche. Tout lui fait bleu, tout lui fait bosse. Un gosse dans un square, un dialogue avec la voisine : autant d'éraflures qui développent l'incapacité de sa condition humaine exacerbée. Les premiers textes (le livre est composé de 53 textes relativement indépendants) sont courts, autosuffisants, et retombent sur une chute pirouette : on pourrait les croire écrits pour le music-hall, au plus haut niveau (je pense à Devos – avec par exemple ce jeu sur les mots : Va savoir pourquoi. Je n'y vais pas, j'y vais, à tout hasard, ça me conduit toujours où je ne voulais pas). Puis par recoupements, le désastre s'organise, un ensemble se dessine. Les suicides manqués de la mère, l’oisiveté (écrire n'est pas travailler – dans ce milieu modeste en tout cas) du héros, ses frustrations conjugales et autres, et l'attitude sacrificielle-maso-culpabilisante de sa femme qui travaille pour deux ; surtout, la mort du père. À la fin du livre, on sait que c'est la mort du père qui soutient l'échafaudage – et qui commande, juste retour des choses, les embrouilles avec l'écriture.
Quand même, avec toutes ses qualités, le livre de Christian Gailly ne devrait pas passer inaperçu : je me demande quel vinaigre au sucre cela va mettre sur ses plaies. »

Agnès Vaquin (La Quinzaine littéraire, 16 janvier 1988)

Un ton de sombre humour
 
« Comme son titre ne l'indique pas, Christian Gailly ne fait aucunement référence à Duras ni, tout compte fait, à Beckett, encore qu'il cite ce dernier en exergue. Son hommage actuel va parfois à Malcolm Lowry, mais surtout à Thomas Bernhard. Du “ type comme moi, de la même famille mentale ”, il a sans nul doute l'acharnement à écrire pour “ traduire la langue du malheur ”. Mais il s'octroie cette jouissance sur un ton de sombre humour, qui confère à son livre une grande drôlerie, et qui consiste à patiner artistiquement sur ses propres mots : “ J'écoutais l'ouverture du Don Juan de Mozart, ou Modzart, selon les régions, MOzaRT, "za" cerné par la mort, coincé. La vie d’artiste de A à Z, entre la mode et l'art, la mode de quand et l'art tout court. "
Pratiquement, Dit-il se présente sous la forme de cinquante-trois séquences. Le problème de la continuité dans la discontinuité se trouve ainsi résolu. “ Il faudrait que je romance, et je n'ai pas le cœur à romancer, ni le goût, ni le talent ”. Gailly écrit donc seulement des bouts “ et c'est déjà beaucoup, des bouts, des morceaux bout à bout, liés, par le temps liés, comme disait le Beethoven du quatorzième quatuor, opus 131. ” Certes, chaque bout forme un tout, et bien évidemment, dans ces cinquante-trois bouts, tout y passe ! la méthode de Gailly est simple, et sa morale élémentaire : “ Je me suis mis dans la tête d'écrire une nouvelle par jour, des nouvelles qui n'en sont pas, des nouvelles que je donne de moi comme un canard local à compte d'auteur (...) J'écris alors aussi loin que je le peux. ” Telle se présente cette éphéméride insolite.
Les hantises de Christian Gailly sont aussi banales qu'inépuisables : la vie quotidienne, les ruminations de l'homme au foyer (une fois n'est pas coutume...), la rue, le chien, le fils, L’enfance, le frère, la mère, la grand-mère, L’épouse, le sexe, un peu. Par larges pans, le ciel, la mer, la neige, la beauté, la musique. Partout, la mort, le suicide ou “ cette mort de père ”, omniprésente dans les mots et dans les choses, aussi pénible qu'une grave maladie : “ J'ai parlé beaucoup en restant sourd au discours funèbre qui se déroulait dans mon ventre ” et dont la guérison – “ le traumatisme s'effiloche ” – n'est pas moins redoutable pour la douleur imprévisible des rechutes.
Pourtant, ce dont Christian Gailly nous donne le plus fréquemment des nouvelles, c'est de ses démêlés avec son travail. Il fait partie de ceux qui vivent leur rapport à l'écriture dans une transe continuelle. Tantôt, c'est la vanité de L’effort : “ Des milliers de livres, alors un de plus, un de moins, pourquoi écrire ? ” Tantôt, c'est la crise de foi : “ Je ne peux en aucun cas écrire un seul mot de vrai, je n'y crois pas, je ne pourrai jamais ”. Gailly semble en permanence agressé par les coups de sonnette du facteur qui rapporte les manuscrits refusés. Après une longue attente, de préférence. Pour notre joie, il met en scène son éditeur qui, L’ayant rendu à peu près fou d'exaltation par un coup de fil prometteur, lui ruine les nerfs quelques jours plus tard, parce que le texte n'est déjà plus susceptible d'être publié. Or, la fatalité veut que Christian Gailly n'ait rien d'autre à faire dans la vie, sinon écrire. Dit-il, en somme, c'est l'expression d'une sensibilité, d'un feeling d'aujourd'hui, c'est ce que l'auteur appelle “ l'air du temps. Victime désignée de cet air, du couplet habituel, de l'éternel refrain, je ne suis donc pas quelqu'un d'original. ” Gailly parvient mal à s'en tenir à ses propres limites. Son soliloque dérape à toute occasion de la première personne à la troisième : “ me dis je, se dit-il ”.
Dès lors, rien de plus peuplé que sa solitude. Il se reconnaît dans chaque individu qui a des ennuis, et ça ne manque pas. Au lieu de le laisser sortir, il regarde l'automobiliste qu'il a pris au piège : “ J'étais lui, vociférant, lui, entièrement lui, je me voyais, hurlant, coincé, totalement coincé, réduit à rien, impuissant devant un barrage, toujours le même barrage, empêché pour le moins de ce même empêchement. ” Et c'est là que la dédicace : “ à d'autres ” prend sa dimension véritable.
Quel sera le sort de Christian Gailly en littérature ? On lit son livre comme un recueil de poèmes, à petites doses, dans le désordre et en savourant là beauté du paysage. Mais on l'imagine assez mal faisant sa promotion auprès des groupies de service dans les centres culturels à la mode, et autres librairies spécialisées, séminaires d'initiés et revues confidentielles. Et, de notre côté, devrons-nous conclure, avec la mauvaise conscience habituelle, que sa voix pourrait bien être celle du poète maudit, du poète de toujours, du poète assassiné ? »

 




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