Romans


Christian Gailly

Nuage rouge


2000
192 pages
ISBN : 9782707316967
13.15 €
40 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille
* Réédition dans la collection de poche double .


Un homme roule sur une route de campagne. Il rentre chez lui. Il est presque rendu. C’eût été trop simple : une voiture arrive en face, c’est celle de son ami Lucien mais, quand il la croise, Lucien n’est pas à l’intérieur, c’est une femme qui conduit, une inconnue au visage flou, dominé par le rouge. Qui est-elle ? Et Lucien, où est-il ? Et ce rouge, qu’est-ce que c’est ? Du rouge à lèvres ? De la confiture ? Du sang ? On dirait des peintures de guerre.

ISBN
PDF : 9782707327611
ePub : 9782707327604

Prix : 6.49 €

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Jean-Maurice de Montremy (Livres-Hebdo, 18 février 2000)

Le quatrième mousquetaire
Comme les trois mousquetaires, ils sont quatre autour de Minuit : Jean Echenoz, Christian Oster, Jean-Philippe Toussaint et Christian Gailly, le moins récompensé et aussi le plus timide.
 
« Jean Echenoz a commencé en 1979 avec Le Méridien de Greenwich, mais c'est la sortie de La Salle de bain, de Jean-Philippe Toussaint, qui lance en 1985 le mouvement : une seconde génération des Éditions de Minuit serait-elle en train de se former ? Depuis, la question ne se pose plus. Echenoz (prix Goncourt 1999) et Toussaint sont désormais reconnus, tout comme Christian Oster avec Mon grand appartement (imprévu prix Médicis 1999). Les trois mousquetaires sont pourtant quatre, comme il se doit, car les Éditions de Minuit misent depuis longtemps sur Christian Gailly (né en 1943) qui se fait une spécialité depuis Dit-il, en 1987, de romans musicaux d'une grande netteté formelle, où rôdent d'énigmatiques couleurs.
Apprécié de la critique, Gailly n'a pourtant pas encore trouvé, selon l'éditeur, l'audience qu'il mérite, en dépit du relatif succès de Be-Bop (1995), transposition littéraire du jazz qu'il pratiqua dans sa jeunesse au point d'en faire presque son métier. Mais sa timidité proverbiale (il s'en excuse, non sans humour, d'un air navré) lui joue déjà des tours. Ce fils d'ouvrier mécanicien de Belleville quitte la musique. Commence la traversée d'un désert peuplé d'emplois sans intérêt, ponctué par une longue analyse qui fait même, en 1980, de Christian Gailly un psychanalyste. L’écrivain avoue “ deux ou trois patients ”. Mais il s'arrête bientôt pour écrire, écrire sans cesse. Ce qui ne l'empêche pas d'être aussi peu bavard dans la vie qu'en littérature.
Ses livres réglés au millimètre près, pleins d'ellipses et de glissements, sont aux antipodes du grand déshabillage fantasmatique. De la psychanalyse n'y reste, peut-être, qu'un art de la réplique surprenante, de la phrase insolite, soudain posée comme un étrange objet. Elle est là, on ne sait pas trop pourquoi, cette phrase. Et tout change, alentour. Rendez-vous, pour les amateurs d'ironique (inquiétante) étrangeté, dans les chapitres de Nuage rouge, où le narrateur discute, à Copenhague, avec la jeune Danoise qu'il piste d'un bout à l'autre de l'Europe. On trouve là une sorte de ping-pong, tac au tac, comme deux solistes qui se lancent des thèmes sibyllins au cours d'une improvisation. Pour s'amuser ou pour se blesser ?
Certes, il y a eu, outre Be-Bop, l'incontestable réussite des Évadés (1997) : 250 pages d'un opéra transfiguré en fine machinerie de mots, d'amours et de teintes, sur fond discret d'intrigue policière. Puis, en réponse à cet ample travail, l'impromptu de La Passion de Martin Fissel-Brandt (1998), où Schubert et une enveloppe jaune servent de guide à une enquête amoureuse, pleine de dédoublements qui sont des rebondissements. Et qui mènent, en 143 pages, de Vendée jusqu'en Extrême-Orient. Aucun de ces deux livres, toutefois, n'a permis à l'éditeur de forcer le barrage permettant de passer d'un public de fidèles au public plus vaste dont disposent désormais Toussaint, Echenoz et Oster. On compte donc beaucoup, aux Éditions de Minuit, sur Nuage rouge.
Christian Gailly, cette fois, a choisi encore plus nettement que dans ses autres livres une intrigue “ à la manière ” du polar. Le narrateur croise sur une route de Vendée (encore) la voiture de son ami Lucien. Ce n'est pourtant pas Lucien qui conduit, mais une jeune femme inconnue, “ au visage flou dominé par le rouge ”. Visage rouge : “ nuage rouge ”, comme le chef indien aux vives peintures de guerre. Voici en tout cas notre personnage lancé sur le sentier d'une drôle de guerre ? Car la jeune femme, dont on apprendra qu'elle s'appelle Rebecca Lodge, conservateur au musée d'Art moderne de Copenhague vient de régler son compte à l'ami Lucien. Lucien, ce cavaleur, voulait la violer. Elle n'a pas hésité : clic, clac. Lucien ne sera désormais, pour toujours, qu'un chapon. Et c'est à la demande de Lucien que le narrateur s'en va jusqu'à Copenhague tenter de parler avec Rebecca. Bien vite, il travaille pour son compte, on s'en doute, plutôt que pour Lucien. Lequel, privé de son “ instrument ”, se morfond en Vendée et commence à jouer un peu trop avec son pistolet. L’intrigue n'est pas qu'un prétexte. Elle donne sa forme à l'ensemble, introduisant une mécanique de coïncidences et de dédoublements qui troublent la réalité, interdisant aussi les pesanteurs du réalisme – même si tout semble quotidien dans les détails, les notations, les incises, les bizarreries amusées dont Gailly a le secret. Car la véritable histoire est celle d'une rencontre et d'un tournis. Le narrateur est absent à lui-même, Rebecca aussi : “ Il faut dire que deux absences de cette qualité-là, au milieu d'une assemblée de prétendues présences, ça se voit. ”
Ce paradoxe résume Gailly. Les intrigues plus virtuelles que réelles permettent à l'auteur de glisser des traits visiblement autobiographiques, souvent graves, vidés de toute complaisance, stylisés. Sa fantaisie poétique et cruelle joue pour finir avec le suicide, usant d'un drôle d'humour pour dire l'ironie du sol t. C'est le bilan des occasions manquées, des lapsus révélateurs et des illusions perdues qu'on se fait parfois, comme le narrateur, tandis qu'un train file ou que l'on dîne seul dans un restaurant du modèle standard international. »

 




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