Romans


Christian Gailly

Lily et Braine


2010
192 p.
ISBN : 9782707320902
14.70 €
50 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille, 60 €


Braine vient de passer trois mois dans un hôpital militaire. Il a été gravement commotionné. Il peut de nouveau dire, lire et écrire son nom. Il va rentrer à la maison. Lily l'attend. Il est de retour. Il arrive. Souhaitons-leur de vivre enfin heureux.

ISBN
PDF : 9782707349088
ePub : 9782707349071

Prix : 8.49 €

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Jean-Claude Lebrun, L'Humanité, jeudi 7 janvier 2010

Christian Gailly : l'image et le son

Il y a d"abord ce titre, qu’on dirait emprunté au cinéma américain, façon David Lynch ou Ridley Scott. Puis cette arrivée d’un type hagard sur un quai de gare. Attendu par une femme, mais aussi « un petit garçon de trois ans et un chien du même âge ». Deux ans et demi auparavant, n’y tenant plus de son existence, Braine était parti combattre dans les rangs d’une armée étrangère, sur un lointain théâtre d’opérations, un pays de mousson devenu un « bourbier ». Il avait donc campé là Lily, Louis et Lucie, les trois « L ». « Elle, elle, elle »  : comme l’annonce subliminale de trois histoires à venir avec trois femmes. Le dispositif d’écriture de Christian Gailly entre tout de suite dans le vif.
Pour l’heure, Braine était encore sous le choc de la guerre. Celui qui raconte, manifestement très proche, indique qu’il avait un jour trouvé dans un magazine la photo d’un soldat hébété, qu’on aurait pu prendre pour Braine tant il lui ressemblait. Le cliché, qui avait fait le tour du monde, avait été pris à Hué, pendant l’offensive du Têt, en février 1968. Un marine prostré et casqué, le regard absent, enserrait le canon de son fusil comme pour se retenir de tomber. Christian Gailly s’est ici approprié l’image, pour en faire le point de départ d’une véritable composition narrative. On sait ce que son écriture - dans ses rythmes, ses digressions, ses répétitions ou ses assonances – doit à la musique. Quinze ans auparavant, comme par hasard, Braine avait joué du bugle au sein d’un quintet de jazz, dans une boîte du coin. Plus tard, il avait connu Lily, fille d’un gros concessionnaire automobile. Ils s’étaient mis ensemble et l’instrument avait aussitôt mystérieusement disparu : on n’avait pas besoin d’un artiste pour vendre des voitures. Maintenant Braine paraissait ne pas se rappeler grand-chose de tout cela. Il venait de passer trois mois dans un hôpital militaire, l’esprit affaibli par une commotion. Aux questions de Lily, il ne pouvait pas encore répondre. Il avait été repris dans le garage de son beau-père. Un jour, il avait dépanné la voiture d’une dame séduisante, une certaine Rose Braxton.
Celle-ci avait affirmé le connaître : elle avait traficoté dans la zone sud du pays en guerre et l’avait vu une fois s’y produire. Pourquoi ne rejouerait-il pas ici dans une formation ? Pourquoi ne reconstituerait-il pas l’ancien quintet ? Rose, qui venait de racheter la boîte d’antan, paierait rubis sur l’ongle. L’affaire était lancée. Braine allait rejouer avec ses anciens partenaires. En somme écrire une nouvelle page, comme Gailly s’attaquant à un nouveau livre… Le romancier ajuste ici une perfection d’horlogerie narrative, trame serrée sous des allures de continuelle improvisation. Le groupe commençait à répéter dans un hangar. Une fille à Mobylette passait par là. Lily attendait un autre enfant. Braine rendait régulièrement visite à Rose dans une chambre d’hôtel. Les événements se succèdent, d’apparence chaotique mais commandés par un invisible engrenage. Telle une session de jazz. Ou la mécanique d’une tragédie. Quand Braine mangeait du poulet, il pensait à la mort du volatile, « la gorge tranchée comme un civil » ; quand il tenait le couteau à pain, « il avait envie de le planter dans le ventre de quelqu’un ». Une violence paraissait s’être définitivement inscrite dans son ADN, dont seuls l’amour et la musique pouvaient le divertir. Aimer et jouer, dans une manière d’infini recommencement : la similitude est troublante, avec le programme d’écriture de Christian Gailly.


Eléonore Sulser, Le Temps, samedi 9 janvier 2010

Une tragédie en couleurs

«Lily et Braine» le quatorzième roman de Christian Gailly, enchante par son épure, sa simplicité efficace, ses sons et ses images. Un drame tout simple, mais qui dévoile la guerre dans le quotidien.

«Vous me parlez comme au cinéma, dit Nadia, on dirait une scène de film. Je ne vois pas de différence, dit Braine, avec ou sans caméra, c'est une scène, une scène dialoguée, le garçon plus âgé dit à la jeune fille: Vous devriez rentrer, sinon. Sinon quoi?»
Le cinéma et ses codes, fluidité de l"écriture, des dialogues, du montage, des scènes; la tendresse des chansons «Que reste-t-il de nos amours?» de Trenet passe sur l’autoradio; le jazz en musique de fond avec ses improvisations culminantes, passionnées, Christian Gailly tisse tout cela dans la magnifique toile romanesque qu’il publie chez Minuit en cette rentrée de janvier 2010.
Lily et Braine, un titre simple comme celui d’une chanson populaire. Il fait beau, une chaleur étouffante, et cette image qu’on a déjà dans l’œil: une femme en robe légère, Lily, un petit garçon, Louis, une petite chienne, Lucie, accueillent sur un quai de gare Braine, mari, père et maître mais aussi soldat de retour de guerre. Une bouffée de douce nostalgie d’étés et d’amours pures submerge le lecteur.
Tout de suite, Christian Gailly mine sa carte postale. Marguerite Duras déjà, en exergue, avec Lol V. Stein et son «pessimisme gai» nous a avertis que quelque chose clochait. Et puis, il y a ce mutisme du soldat, les ratés soudains du moteur de la voiture, le pistolet dans les affaires du mari. Et encore, ce beau-père puissant, arrogant, Arthur Sligo, tout plein de la «grossièreté de l’homme soûl qui s’est fait lui-même», qui veut voir son gendre. Tout de suite. En uniforme.
Les «quatre Braine» n’en tentent pas moins de jouer la mélodie du bonheur. Les robes de Lily sont bleues, les draps blancs, bien repassés, le poulet et les pommes de terre fument sur la table du jardin. Braine est dépanneur, libre sur les routes. On se croit dans une autre chanson de Trenet, «Boum!», le cœur fait boum. Mais Boum! d’autres couleurs, d’autres odeurs, d’autres douceurs menacent. On va vers l’automne.
Le bleu des robes de Lily ne va pas tarder à pâlir face à un jaune fatal, à virer au vert; puis le rose va passer au  rouge et le noir prendra le pouvoir. Merveilleux jeu des couleurs chez Christian Gailly . Les robes, peignoirs, pyjamas, jaunes, verts, rayés, à fleurs, les complets clairs, blancs à pochettes noires, smoking. Tissus, draps, manteaux, costumes, ces textiles cruels annoncent et racontent le drame comme autant de signes, dévidant un fil qui s’arrêtera, coupé net.
Ce roman, le quatorzième de Christian Gailly, répond de toutes sortes de manières aux précédents. Il y a là une Suzanne comme dans d’autres textes, un Louis, un Lucien; il y a un musicien qui a presque oublié qu’il l’était; il y a une patronne de night-club fascinante; il y a ce drame et ce bonheur mêlé d’aimer plusieurs femmes à la fois; des digressions aussi mais pas trop. Le narrateur observe et n’intervient que discrètement: «Pour ceux que ça intéresse.» Car il faut garder l’épure, cette ligne claire d’une tragédie annoncée qui traverse le livre. Malgré le foisonnement des couleurs, des références, Gilda, Comme un torrent, Prévert, Kosma, malgré le swing, Miles Davis, Coltrane et les autres, Christian Gailly ne perd jamais de vue la rigueur fatale qui pousse l’histoire vers sa fin, avec la complicité de tous les personnages, sans que rien ni personne puisse enrayer la machine.
«Ça sentait la guerre.» Lily et Braine sent la guerre, la guerre de loin, oubliée derrière les écrans éteints, mimée dans les films de guerre, reléguée dans les rêves du soldat, surgissant dans des terreurs brusques qui trouent le quotidien. Avec une maîtrise de l’écriture qui lui permet de muer en mots les images, les couleurs et les sons, Christian Gailly interprète magnifiquement ce drame qui mène au cœur noir de l’hiver.
 

Nathalie Crom, Télérama, 13 janvier 2010

A la paix comme à la guerre

Un soldat brisé retrouve sa famille. Christian Gailly, limpide et mystérieux.

« C'est tuant, les souvenirs », soupirait Beckett, en exergue aux Oubliés, le précédent roman de Christian Gailly. Tuants, exténuants, l'oubli, l'amour le sont tout autant. Comme le sont aussi différemment, mais le résultat est le même la culpabilité et l'innocence. Et que dire de la guerre. Et que dire de la vie elle-même... « La vie est comme ça, on n'arrête pas de recommencer et un jour on en meurt », remarque d'ailleurs un personnage de Lily et Braine, le nouveau roman de Gailly en fait, il s'agit d'un personnage de cinéma, dans un film policier que regardent un soir Lily et Braine, assis sur leur canapé.
Reprenons : il y a donc Lily, et il y a Braine, son mari, qu'un jour de juillet, de grand soleil, elle est allée attendre sur le quai de la gare, en compagnie de leur petit garçon de 3 ans et de leur chienne du même âge : Louis et Lucie. Braine est un survivant : trois ans d'absence, on ne sait où exactement, mais on apprend que c'était la guerre, que Braine était soldat, qu'il est sorti des combats abîmé, le corps maigre, le cœur et l'âme brisés. Dans un premier temps, Lily et Braine ressemble au roman d'une renaissance : le retour à la vie de Braine, la patience attentive et tendre de Lily, bientôt enceinte de nouveau, la réinté­gration dans le monde du travail Braine est employé par son autoritaire beau-père dans l'entreprise familiale de mécanique automobile. Une anxiété diffuse drape pourtant le récit du réapprentissage de l'ancien soldat comme une menace muette, une onde de violence qui sourd, invisible mais perceptible, derrière les jours paisibles de la famille enfin réunie. Menace que cristallisent deux objets, l'un et l'autre cachés par Lily sur l'armoire, « où elle cache toujours ce qui doit rester hors de portée, perdu de vue. Pour la sécurité de la famille » : un pistolet automatique rapporté du front par Braine, et un bugle, instrument de musique qui renvoie à une phase bien antérieure de sa vie, lorsqu'il était musicien de jazz...
On s'en voudrait de raconter plus avant l'histoire de Lily et Braine une histoire d'amour, comme le sont toutes celles qui naissent sous la plume de Christian Gailly, ici trempée dans une encre plus noire que jamais. Les romans de Gailly sont d'ailleurs formidablement rétifs aux tentatives de résumé, de mise à plat. Limpides, denses, agissants, ils existent par la grâce seule de l'écriture choix des mots, rythmes changeants, respiration toute musicale des phrases et de leur enchaînement. Pour composer finalement, avec ce Lily et Braine, une mélodie grave et parfaite, ponctuée d'une note tragique et renversante.

 




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