Paradoxe


Gilles Deleuze

L’Ile déserte et autres textes (1953-1974)

Édition préparée par David Lapoujade


2002
Collection Paradoxe , 416 pages
ISBN : 9782707317612
25.85 €


« Quoi de plus gai qu’un air du temps ? Il y a actuellement beaucoup d’études profondes sur ces concepts de différence et de répétition. Tant mieux si j’y participe, et si, après d’autres, je pose la question : comment faire en philosophie ? Nous sommes à la recherche d’une “ vitalité ”. Même la psychanalyse a besoin de s’adresser à une “ vitalité ” chez le malade, que le malade a perdue, mais la psychanalyse aussi. La vitalité philosophique est très proche de nous, la vitalité politique aussi. Nous sommes proches de beaucoup de choses et de beaucoup de répétitions décisives et de beaucoup de changements. »
Gilles Deleuze (mars 1968)

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑


Présentation

1. Causes et raisons des îles désertes – 2. Jean Hyppolite, Logique et existence – 3. Instincts et institutions – 4. Bergson, 1859-1941 – 5. La conception de la différence chez Bergson – 6. Jean-Jacques Rousseau précurseur de Kafka, de Céline et de Ponge – 7. L’idée de genèse dans l’esthétique de Kant – 8. Raymond Roussel ou l’horreur du vide – 9. En créant la pataphysique Jarry a ouvert la voie à la phénoménologie – 10. « Il a été mon maître » – 11. Philosophie de la Série Noire – 12. Gilbert Simondon, L’individu et sa genèse physico-biologique – 13. L’homme, une existence douteuse – 14. La méthode de dramatisation – 15. Conclusions sur la volonté de puissance et l’éternel retour – 16. L’éclat de rire de Nietzsche – 17. Mystique et masochisme – 18. Sur Nietzsche et l’image de la pensée – 19. Gilles Deleuze parle de la philosophie – 20. Spinoza et la méthode générale de Marcel Gueroult – 21. Faille et feux locaux – 22. Hume – 23. À quoi reconnaît-on le structuralisme – 24. Trois problèmes de groupe – 25. « Ce que les prisonniers attendent de nous… » – 26. Les intellectuels et le pouvoir (avec Michel Foucault) – 27. Appréciation – 28. Deleuze et Guattari s’expliquent – 29. Hélène Cixous ou l’écriture stroboscopique – 30. Capitalisme et schizophrénie (avec Félix Guattari) – 31. « Qu’est-ce que c’est, tes “ machines désirantes ” à toi ? » – 32. Sur les lettres de H. M. – 33. Le froid et le chaud – 34. Pensée nomade – 35. Sur le capitalisme et le désir (avec Félix Guattari) – 36. Cinq propositions sur la psychanalyse – 37. Faces et surfaces – 38. Préface à L’Après-Mai des Faunes – 39. Un art de planteur

Bibliographie générale – Index

ISBN
PDF : 9782707330413
ePub : 9782707330406

Prix : 18.99 €

En savoir plus

Roger-Pol Droit (Le Monde, 8 mars 2002)

Deleuze accélérateur
En le lisant , on pense plus vite, et autrement. Un recueil posthume regroupant des textes très divers, s’échelonnant de 1953 à 1974, donne l’impression de traiter de questions qui nous attendent encore.
 
« (…) En vitesse. Car c’est sa manière singulière d’exister, la vitesse. Ou plutôt l’accélération. Il existe en effet des régimes de vélocité uniformes et linéaires, rien à voir avec celui de Deleuze, quelle que soit leur grandeur. Lui se reconnaît entre tous à une modalité particulière d’accélération. Pas commode à décrire. Vibrante, variable en intensité et incessante en mouvement, elle s’empare des textes, des concepts, du lecteur pour les faire entrer, à leur tour, dans un mouvement imprévisible, et comme dépourvu de centre. Cette accélération a quelque chose d’un grand vent, elle est tout entière agitée mais elle n’a pas d’intérieur, rien ne l’enclôt. On se souvient peut-être que le jeune Sartre écrivait, en commentant Husserl : “ Si par impossible vous entriez « dans » une conscience vous seriez saisi par un tourbillon, et rejeté au dehors, près de l’arbre, en pleine poussière. Car la conscience n’a pas de « dedans ». ” C’est une expérience analogue, à peu près, que connaît tout lecteur d’un texte de Deleuze : on n’y entre pas, on y est pris comme dans un tourbillon et lancé sur de nouveaux circuits.
Exemple. Vous n’avez sans doute jamais réfléchi à ce qu’est une île. Vous n’y avez peut-être jamais vu, bêtement, qu’un bout de terre. Alors que seule importe l’eau, l’étendue autour, la séparation qui constitue l’île comme lieu sans lien. Dans le texte, inédit et très beau, qui ouvre ce recueil, Deleuze accélère à sa manière cette séparation, finissant par montrer qu’en un sens toute île est déserte. Quand bien même elle est habitée. Les hommes vivant sur l’île deviennent la conscience de sa séparation. Mais il ne suffit pas encore de mettre en mouvement, l’un par l’autre, la géographie et l’imaginaire. Il faut encore intensifier le mouvement, considérer les romans consacrés aux îles comme des manières de mettre en scène le psychisme, en venir à cette définition inattendue : “ La littérature est le concours des contresens que la conscience opère naturellement et nécessairement sur les thèmes de l’inconscient ; comme tout concours elle a ses prix. ” C’est un article de 1953. Deleuze avait vingt-sept ans. Il commençait à trouver sa vitesse.
Les textes réunis dans ce volume font voir, de façon ramassée, comment l’accélération deleuzienne se développe au fil des ans selon des modes différents. L’ensemble s’échelonne sur une vingtaine d’années, de 1953 à 1974, et regroupe des articles, comptes rendus, préfaces, entretiens. On y trouve du sérieux, soumis à l’inévitable décalage qui emballe en secret les rouages. Bergson, Rousseau, Kant, Nietzsche changent ainsi d’allure. Des contemporains aussi : Kostas Axelos, Gilbert Simondon, Martial Gueroult, Michel Foucault, Hélène Cixous, Jean-François Lyotard, auxquels Deleuze consacre des études presque toutes passionnantes. On s’attardera sur du curieux : la philosophie de la Série noire, Alfred Jarry précurseur de la phénoménologie, ou encore un article de 1964, surprenant et superbe, en hommage à Sartre, dont on oublie souvent que Deleuze l’a lu et admiré. (…) »

David Rabouin (Magazine littéraire, février 2002)

« Les publications posthumes sont souvent décevantes. Utiles certes, nécessaires même pour que l’accès à certains textes redevienne possible. Mais pour un article essentiel, combien de scories, phrases volées dans un entretien sans importance, billets de circonstance, écrits de jeunesse si éloignés des préoccupations à venir… ? L’Ile déserte et autres textes, recueil des textes introuvables publiés par Deleuze entre 1953 et 1974, ne décevra pas ses lecteurs : pas de fonds de tiroir, pas de textes antérieurs à la publication de Nietzsche, pas de communiqués, ni réponses à des questionnaires ou pétitions, etc. Ainsi l’avait voulu Deleuze. Autre choix éditorial visible : les textes sont là, sans cet apparat critique qui, à force de vouloir les éclaircir, les rend trop souvent illisibles – monuments inaccessibles enfouis sous les commentaires et les défenses d’entrer. Tout juste ce qu’il faut pour situer une intervention, retrouver une référence, identifier un protagoniste. Ici encore, on ne saurait rêver posture plus appropriée au souhait du philosophe : “ C’est ça, une théorie, c’est exactement comme une boîte à outils. Rien à voir avec le signifiant… Il faut que ça serve, il faut que ça fonctionne. Et pas pour soi-même. S’il n’y a pas des gens pour s’en servir, à commencer par le théoricien lui-même qui cesse alors d’être un théoricien, c’est qu’elle ne vaut rien, ou que le moment n’est pas venu ” (texte 26 : « Les intellectuels et le pouvoir », entretien avec Michel Foucault du 4 mars 1972, p. 290). À nous, donc, de faire fonctionner tout ça. »

Nicolas Demorand (Les Inrockuptibles, 19 février 2002)

Irrécupérable
Poussée hors de l’université, malmenée par la philosophie académique, triturée par la psychiatrie, samplée par les DJ : la philosophie de Gilles Deleuze aura été tirée dans tous les sens sans jamais perdre sa force.
 
« Deleuze est mort – et il faut un nouveau livre pour nous ramener à l’évidence. Un livre sans vie : rien sur le Maître et ses disciples (auto)proclamés, rien sur les heures héroïques de Vincennes, pas de photos et pas un mot sur les surfeurs qui avaient trouvé dans Deleuze un penseur branché pour les jours de tempête. Un recueil d’articles et d’entretiens qui font de Deleuze une pensée vivante et un classique de la philosophie. Vu ainsi, L’Ile déserte ressemble étrangement au paysage deleuzien : un bout de terre émergé, détaché du continent de la philosophie académique, un pli et une fracture issus des mouvements tectoniques de la pensée française des années 50-60.
L’Ile déserte
, qui couvre la période des premiers écrits sur Bergson jusqu’à L’Anti-Œdipe, de 1953 à 1974, démontre à quel point la pensée de Deleuze a pu, à partir d’un socle philosophique lourd, essaimer, se ramifier et s’aventurer dans les espaces jusque-là délaissés par la philosophie : la Série Noire, où Deleuze analyse les régimes de réalité du roman policier et met en lumière l’équivalence des figures du flic et du criminel ; l’art contemporain, dans un article sur la peinture de Fromanger, révolutionnaire parce que débarrassée de “ toute cette chierie des faux grands peintres ”, ou dans un dialogue avec un jeune artiste polonais inconnu, Stefan Czerkinsky, qui se suicide trois mois après son exposition ; l’appel pour les prisons publié dans Le Nouvel Observateur en 1972, qui marque le rapprochement avec Michel Foucault sur les questions carcérales…
Dans ce réseau d’intérêts éclectiques, une sorte de méthode, et d’impact, propres à Deleuze, se mettent en place : construire sa propre démarche au contact d’objets a priori interdits de philosophie et, en retour, activer, féconder des espaces de création artistiques, théoriques ou politiques.
Prison, polar ou peinture, Hume, Bergson ou Nietzsche : les “ cas ” intéressent plus Deleuze que les théories générales et les notions abstraites. Et il se propage dans l’histoire de la philosophie de la même manière, à la recherche de rencontres inédites, de terrains d’expérimentation, en faisant revivre les “ minoritaires ” oubliés par la tradition. “ Ma manière de m’en tirer à l’époque, c’était de concevoir l’histoire de la philosophie comme une sorte d’enculage ou, ce qui revient au même, d’immaculée conception. Je m’imaginais arriver dans le dos d’un auteur et lui faire un enfant qui serait le sien et qui serait pourtant monstrueux ” (Pourparlers).
Que faire de ces monstres aujourd’hui ? Artistes, architectes, musiciens, romanciers, y piochent joyeusement dans les usages de Deleuze plus ou moins sauvages, plus ou moins mondains, plus ou moins branchés. Quand à l’Université, avec l’esprit tordu qui est le sien, elle a préféré faire un tri dans Deleuze, acceptant les textes les plus “ classiques ” du philosophe, sur Spinoza ou Bergson, oubliant tous les autres, comme ceux écrits avec Félix Guattari. Conçue “ dehors ”, loin des murs de l’institution, l’œuvre de Deleuze y est restée : irrécupérable. »

Robert Maggiori (Libération, 7 février 2002)

Deleuze, premier plan
Un recueil de textes, articles et entretiens anciens qui permettent d’approcher la façon dont s’est forgée la pensée du philosophe nomade.
 
« Il n’est pas tout à fait impossible de dire quand, au juste, un ouvrier ou un artisan peut “ se mettre en propre ”, c’est-à-dire estimer détenir suffisamment de savoir-faire, de technique, de ressources, de capital pour pouvoir fonder une petite entreprise à lui, produire quelque chose qui ait l’empreinte de son talent, sa marque, sa “ griffe ”. C’est plus difficile pour un penseur. Quand Platon a-t-il cessé d’être l’“ apprenti ” de Socrate (ou Aristote de Platon, Malebranche de Descartes, Marx de Hegel, Heidegger de Husserl...), à partir de quelle “ accumulation de capital théorique ”, quelle idée, quelle thèse, quel concept, a-t-il “ pensé en propre ”, est-il passé du statut de répétiteur à celui d’interprète, et d’interprète à créateur ? L’historien de la philosophie, en étudiant concaténations, ruptures et “ dépassements ”, éclaire un tant soit peu ces questions. Mais, avec l’histoire de la philosophie, comme l’écrit Gilles Deleuze, “ les philosophes ont souvent un problème très difficile ”. “ L’histoire de la philosophie, c’est terrible, on n’en sort pas facilement ” : on peut la voir soit sous la ferme d’un théâtre, où la pensée se déploie en actes, soit sous celle d’une technique de “ collage ” – “ ou même une sériegénie (avec répétition à petites variantes) comme on voit dans le Pop Art ” – capable de faire apparaître de nouveaux paysages ; mais jamais comme un “ fonds ”, un arrière-plan dont on se détacherait progressivement- comme c’est par exemple le cas pour l’histoire des sciences. Le rapport de chaque philosophe à l’histoire de la philosophie, et donc aux philosophes qui l’ont “ formé ”, est tel que chacun est contemporain de tous les autres. Comme l’eût dit Emmanuel Levinas en philosophie, “ tous les livres sont ouverts en même temps sur ma table ”. De sorte qu’il est bien malaisé, dans cet “ espace nomade sans propriété ni enclos ”, de repérer nettement la “ singularité ”, l’apparition de la “ nouveauté ”, l’émergence d’un concept que nul n’avait encore forgé. C’est à une réflexion de ce type que conduit de prime abord la lecture de L’lle déserte et autres textes de Gilles Deleuze qui paraît aujourd’hui même et qui contient la quasi-totalité des préfaces, conférences, entretiens, comptes rendus et articles écrits entre 1953 et 1974 (d’Empirisme et subjectivité aux débats qui suivent la parution de L’Anti-Œdipe), déjà publiés à quelques exceptions près en France ou à l’étranger, mais ne figurant dans aucun ouvrage du philosophe. La question sourd en effet spontanément ces textes classés chronologiquement, qui sont comme l’accompagnement musical de l’œuvre, permettent-ils de “ voir ” le moment où Deleuze, lecteur de Spinoza, de Hume, de Kant, de Nietzsche et Bergson, est devenu Deleuze ? Rien n’est moins sûr. Mais ils donnent bien des indications sur la façon dont naît, lentement, un grand philosophe (si est tel, comme le Deleuze le dit (1956) à propos de Bergson : “ celui qui crée de nouveaux concepts ”, dépassant “ les dualités de la pensée ordinaire ” et donnant “ aux choses une vérité nouvelle ; une distribution nouvelle, un découpage extraordinaire ”).
Deleuze, en s’arrêtant sur certains moments clés de la tradition philosophique (le matérialisme de Lucrèce, le panthéisme de Spinoza, l’empirisme de Hume, le vitalisme de Bergson, a voulu, dans ses ouvrages majeurs, proposer une vision du réel comme multiplicité de plans devant lesquels les dualismes classiques (sujet/monde, matière/esprit) se révèlent inopérants. Sa critique du dualisme n’était pas seulement méthodologique, mais s’appuyait sur une métaphysique vitaliste qu’il “ reprenait ” de Bergson (élan vital) et de Nietzsche (volonté de puissance, éternel retour), en valorisant une pensée qui ne fasse pas apparaître la positivité, telle la pensée hégélienne, de la négation de la négation, mais soit une pure “ affirmation ”, un oui inconditionné à l’existence et à la vie. Dans L’Ile déserte et autres textes, on relit un entretien avec Jeannette Colombel (La Quinzaine littéraire, 1er mars 1969) dans lequel Deleuze traduit dans les termes les plus simples cette “ opération ” philosophique : “ Spinoza ou Nietzsche sont des philosophes dont la puissance critique et destructrice est inégalable, mais cette puissance jaillit toujours d’une affirmation, d’une joie, d’une exigence de la vie contre ceux qui la mutilent et la mortifient. Pour moi, c’est la philosophie même. ” Eh bien, c’est cela qui montre la façon dont Deleuze est “ né ” ou.,.. n’a pas arrêté de naître : en disant oui, en disant oui à ses “ maîtres publics ” et ses “ maîtres privés ” (“ tristesse des générations sans « maîtres » ”, dit-il), aux œuvres classiques qui l’informaient et qu’il informait, à ce devant quoi le discours philosophique fait (faisait) le plus souvent la sourde oreille, “ le nouveau roman, les livres de Gombrowicz, les récits de Klossowski, la sociologie de Lévi-Strauss, le théâtre de Genet et de Gatti, la philosophie de la « déraison » que Foucault élabore... ”.
Rétrospectivement, on n’est guère étonné que Deleuze écrive sur “ Raymond Roussel ou l’horreur du vide ”, “ la Philosophie de la Série Noire ”, la peinture de Gérard Fromanger, l’“ écriture stroboscopique ” d’Hélène Cixous, ou la distinction que font les géographes entre les îles océaniques, originaires, essentielles, et les îles continentales, accidentelles, dérivées (“ les unes nous rappellent que la mer est sur la terre, profitant du moindre affaissement des structures les plus hautes, les autres que la terre est encore là, sous la mer, et rassemble ses forces pour crever la surface ”). Mais probablement est-ce sous un “ voile d’ignorance ” qu’il faut lire le présent recueil pour apercevoir le “ travail de l’affirmation ”, qui n’est naturellement pas une façon de dire oui à tout, dans une sorte de syncrétisme benêt (il s’agit de Gilles Deleuze !), mais, dirait-on, une “ posture de la pensée ”, réussissant à se situer à l’endroit même où la pensée de l’autre laisse échapper son “ air pur ”, sa plus grande “ complexité ”, les plans de sa construction, ses “ nœuds ”, bref sa “ nouveauté ” en train d’émerger. “ Aucun livre contre quoi que soit n’a jamais d’importance, écrit Deleuze ; seuls comptent les livres « pour » quelque chose de nouveau, et qui savent le produire ”.
On comprendra mieux dès lors comment Deleuze en 1964 peut intituler “ Il a été mon maître ” un article (Arts, 1964) consacré à Jean-Paul Sartre (qui venait de refuser le prix Nobel) : “ Au moment où nous arrivons à l’âge d’homme, nos maîtres sont ceux qui nous frappent d’une radicale nouveauté, ceux qui savent inventer une technique artistique ou littéraire et trouver les façons de penser correspondant à notre modernité, c’est-à-dire à nos difficultés comme de nos enthousiasmes diffus. Nous savons qu’il n’y a qu’une valeur d’art et même de vérité : la « première main », I’authentique nouveauté de ce qu’on dit, la « petite musique » avec laquelle on le dit. Sartre fut cela pour nous (pour la génération de vingt ans à la Libération). (...) Au moins Sartre nous permet-il d’attendre vaguement des moments futurs, des reprises où la pensée se reformera et refera ses totalités, comme puissance à la fois collective et privée. C’est pourquoi Sartre reste notre maître ” Nombreuses sont les pages où Deleuze exprime son admiration pour ses professeurs, Jean Hyppolite, Maurice de Gandillac ou Georges Canguilhem, pour l’œuvre, encore aujourd’hui méconnue, de Gilbert Simondon, pour la “ méthode structurale-génétique ” grâce à laquelle Martial Guéroult a renouvelé l’histoire de la philosophie et la lecture de Spinoza, pour le travail de Félix Guattari, avant qu’il ne devienne son ami et le coauteur de L’Anti-Œdipe, ou pour Michel Foucault... II est évidemment bien d’autres manières de lire L’Ile déserte et autres textes, attentives à l’influence de l’“ air du temps ”, au contexte historique et idéologique surdéterminant la position de Deleuze par rapport au marxisme, au structuralisme, à Althusser, à l’idée de révolution, ou sa propre action militante au sein du Groupe d’information sur les prisons (GIP), forme en 1970 à l’initiative de Daniel Defert et Michel Foucault. Il est peu probable cependant qu’on puisse y découvrir un “ itinéraire ”, si on entend par là des lignes qui, même en zigzaguant, vont de A à B. Plutôt une terre “ sans propriété ni enclos ”, que Deleuze nomade parcourt en tous sens, de “ Oui ” en “ Oui ”. Un peu comme le Zarathoustra de Nietzsche. Pas l’âne de Zarathoustra, qui croit qu’affirmer c’est porter (les valeurs de la traditions, le poids du réel, le faix des idées reçues). Mais Zarathoustra lui-même, le “ Oui ” de Zarathoustra, qui “ sait qu’affirmer signifie au contraire alléger, décharger ce qui, vit danser, créer ”».

 

Du même auteur

Poche « Reprise »

Livres numériques

Voir aussi

* Conclusions sur la volonté de puissance et l’éternel retour, dans Cahiers de Royaumont, Nietzsche, dir. Gilles Deleuze (Minuit,1966).
* L’ascension du social, postface à La Police des familles, de Jacques Donzelot (Minuit, 1977 et Reprise , 2005).
* L’Épuisé , dans Samuel Beckett, Quad et autres pièces pour la télévision (Minuit, 1992).

Sur Gilles Deleuze :
* Vincent Descombes, Le Même et l’autre (Minuit, 1979).
* David Lapoujade, Deleuze, les mouvements aberrants (Minuit, 2014).




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