Romans


Yves Ravey

Un notaire peu ordinaire


2013
112 p.
ISBN : 9782707322593
12.00 €
35 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille




Madame Rebernak ne veut pas recevoir son cousin Freddy à sa sortie de prison. Elle craint qu'il ne s'en prenne à sa fille Clémence. C'est pourquoi elle décide d'en parler à Maître Montussaint, le notaire qui lui a déjà rendu bien des services.

ISBN
PDF : 9782707323965
ePub : 9782707323958

Prix : 6.99 €

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Nathalie Crom, Télérama, 9 janvier 2013

Ce n'est pas un huis clos, d'ailleurs de page en page le décor change : ici, dans un faubourg, une maison neuve toute simple, avec véranda et remise au fond du jardin ; là, à la sortie de la ville, la ­rivière où pêcher ou se baigner ; plus loin, au coeur du bourg lui-même, l'église, le cimetière, le JollyCafé avec sa terrasse, et, sur la place de l'Abbaye, la belle propriété du notaire. Ce n'est pas un huis clos, donc, mais on s'y croirait pourtant, tant on se sent vaguement oppressé, sur le qui-vive, comme avançant en terrain miné, dès lors que s'entrouvre la porte de cet univers ­provincial, replié sur lui-même. Que madame Rebernak parcourt à cyclomoteur, vaillante, infatigable : de la maison familiale où, veuve, elle élève seule ses deux enfants adolescents, au collège où elle est agent de service, passant par la rivière où elle garde un oeil sur les faits et gestes de sa fille Clémence, et par la station-service Shell où, le soir, son fils étudiant se fait un peu d'argent de poche.
Circonspecte, vigilante, telle est mada­me Rebernak, chez qui l'amour des siens épouse les contours d'une attention sévère et sans relâche. Une prudence un peu âpre qui se mue en tension inquiète le jour où, dans le paysage, surgit le cousin Freddy. Il faut dire que Freddy sort tout juste de prison, qu'il y a purgé quinze ans pour s'en être pris à une enfant de maternelle. On comprend pourquoi madame Rebernak ne veut pas qu'il s'approche de sa maison, de Clémence...
L'apparente banalité des composantes romanesques ainsi exposées dont use Yves Ravey, dans ce Notaire peu ordinaire comme dans ses précédents ouvrages (Bureau des illettrés, Pris au piège, Cutter, Enlèvement avec rançon...), ne dit rien de la sophistication extrême de son art, de la puissance des sensations, des émotions, des réflexions qu'il met en branle. Derrière la linéarité de l'intrigue, l'harmonie discrète et précise de l'écriture, la simplicité des dialogues, s'impose dès les premières pages une narration tendue à l'extrême, dont le ressort intimiste n'exclut pas l'ancrage fort dans un contexte social soigneusement observé et analysé, régi par la relation dominant/dominé, mais où les rébellions et les renversements de rapports de force sont possibles — dussent-ils être violents. C'est madame Rebernak qui en fournira ici la preuve en acte — femme simple, droite, rigoureuse, femme puissante et mère courage, dont ce roman constitue un attentif et admirable portrait.

Isabelle Rüf, Le Temps, samedi 12 janvier 2013

Une tragédie domestique sur fond de scènes de la vie de province

Le douzième roman d’Yves Ravey, « Un notaire peu ordinaire », est toujours aussi épuré. Il a pour cadre une petite ville très banale où se jouent des luttes de classes et de familles à portée universelle.

Yves Ravey écrit sans cesse – des esquisses, des pièces de théâtre, des récits, des essais, des réflexions sur la peinture –, il écrit pour ses tiroirs, pour des revues, et tous les deux ou trois ans, sort un bref roman d’une économie imparable. Un notaire peu ordinaire est le douzième, tous parus aux Editions de Minuit, excepté le premier, La Table des singes, chez Gallimard, en 1989. Les titres aussi sont sobres, indicatifs: L’Epave, Bambi Bar, Cutter, et, en 2010, Enlèvement avec rançon, qui reparaît en collection de poche. Une œuvre importante qui a valu à Yves Ravey de recevoir en 2011 le Premier Prix Renfer, décerné par la Commission intercantonale de littérature des cantons de Berne et du Jura.
La terreur
Ces récits épurés ont pour cadre de petites villes du Jura français – l’auteur vit à Besançon –, mais pourraient se dérouler un peu partout. Ce qu’ils racontent de banal, de tragique et parfois de bouffon, est universel. Ce sont de petites tragédies locales derrière lesquelles se profile parfois l’ombre des conflits mondiaux – l’Afghanistan dans Enlèvement avec rançon, la guerre dans les Balkans dans Bambi Bar. Elle signale que la terreur, au cœur de l’œuvre d’Yves Ravey, n’est jamais éloignée.
Un air de polar
Avec son titre d’opérette, Un Notaire peu ordinaire se joue dans le microcosme d’une bourgade très ordinaire, apparemment paisible. Les protagonistes du drame sont en place: par un soir d’été, Madame Rebernak (tiens, elle porte le même nom que celui de l’homme venu de l’Est veiller sur le Bambi Bar : des parents ?) reçoit une visite désagréable alors qu’elle feuillette l’album de famille avec son fils. C’est Freddy, le cousin, l’ancien employé de son mari, qui resurgit après quinze ans de prison. Il ne sait pas que son parent est mort, personne ne lui a jamais écrit et il laisse planer un voile de reproche. Sa condamnation pour le viol de la petite Sonia a-t-elle hâté la mort prématurée du mari de Madame Rebernak ? Elle ne le dit pas mais on l’entend le penser. En tout cas, pour elle, il est impensable que le cousin s’installe en ville, même s’il a purgé sa peine, même si quinze ans ont passé, même si le travailleur social tente, plus tard, de la convaincre d’héberger cet homme sans ressources ni travail. Elle tremble pour Clémence, sa fille, qui allait à la maternelle avec Sonia et qui est aujourd’hui une adolescente impertinente.
Des images qui frappent
Au centre de la ville se dresse la demeure de Monsieur Montussaint, le notaire. Ce vieux beau a tous les attributs du notable : les voitures, la mise tapageuse, l’arrogance, l’influence. Il est président de la société de chasse. Madame Rebernak lui doit sa place de femme de ménage au collège quand elle a repris le travail à la mort de son mari. Il sait rappeler cette dette quand c’est utile. Dans un geste de reconnaissance, presque d’allégeance, elle lui a remis le fusil de son mari. Sur le mur du salon, il y a un vide entre la tête de biche naturalisée et la photo de Clémence petite, « un écureuil mort dans les mains ». Maintenant l’adolescente fréquente Paul, le fils du notaire. Elle passe ses soirées chez eux et c’est Monsieur Montussaint qui la raccompagne. Pourquoi ? Paul a pourtant hérité d’une des voitures du père… On est en juin, Paul et le frère de Clémence sont déjà en vacances, à l’automne, ils iront à l’université. Mais si l’un balade les filles en auto, l’autre fait une demande de bourse et travaille comme gardien de nuit à la pompe à essence. Freddy traîne en ville (du côté du lycée des filles, prétend Madame Rebernak). Il va à la pêche avec son chien, se promène avec les jeunes du coin. Elle ne supporte pas cette présence, mais le cousin est libre de ses mouvements et la police ne peut rien pour elle, même si certains gendarmes trouvent que la loi pourrait être plus expéditive avec ce genre de criminels. Clémence prépare ses examens, lit un livre sur la couverture duquel figure un perroquet, sans doute le conte de Flaubert, « Un cœur simple », s’expose aux regards en bikini au bord de la rivière et boude sa mère : une vraie adolescente.
Rancœurs de classe et de famille, deuil, suspicions et angoisses : tout mène vers le dénouement. Il aura lieu au cours d’une longue nuit aux rebondissements « peu ordinaires ». L’art d’Yves Ravey est de le faire advenir tout naturellement, de l’annoncer par des signes minuscules, dont la justesse, après coup, émerveille. Ce grand connaisseur de peinture sait faire naître en deux mots des images qu’on n’oublie pas. Encore une fois, l’intrigue n’est qu’un prétexte à faire surgir du fait-divers une vérité sociale, humaine, générale. L’inéluctable se met en place sans bruit, parfois à travers le regard du frère de Clémence, ou celui d’un observateur qui surplombe les lieux, et par des propos rapportés: pas de psychologie, aucun jugement, des faits, des détails exacts, une rare efficacité.


Yann Moix, Le Figaro, 17 janvier 2013

La peur de la peur

Le suspense n’est pas un art scénaristique : mais un moyen de faire éclore la vérité. Voici, dans une petite ville, que le cousin Freddy revient visiter la seule famille qui lui reste, après un long séjour en prison. Il avait violé une enfant : Mme Rebernak n’est guère rassurée pour sa fille, et la terreur peut commencer, avec son visage quotidien, ses allures de bourg morne.
La terreur, c’est ce qui ne se voit pas : elle n’a pas de griffes, mais la mollesse de la normalité, elle ne déchire pas tant le réel qu’elle n’y infuse, doucement, telle une camomille. C’est une langueur, elle empoisonne, contamine la texture des jours. Mme Rebernak ne vit plus, elle qui vivotait. « Elle a éteint la lumière de la véranda en regardant dehors, pour vérifier si les voisins avaient reçu le visiteur. »
La terreur, c’est une douce perturbation des jours qui coulent ; ce sont des nœuds qui se forment à l’insu de tous, dans un silence minéral.
Yves Ravey, concerné par les ravages du Mal, installe le chaos dans un canapé : son style, dédié tout entier au climat, invite l’exception sans s’en méfier, il fait entrer la bête avec une cordialité d’apéritif, et tout le monde est dupe, à commencer par le lecteur, qui sait très bien que tôt ou tard il se passera quelque chose de grave. Mais l’événement, mais l’accident, mais le drame traîne, on ne sait plus ni comment, ni pourquoi, ni où s’inquiéter.
Le titre, oxymorique et ironique (Un notaire peu ordinaire), nous accompagne d’emblée vers ces existences éteintes que le retour potentiel du pire vient réveiller. Le cousin rôde. Il a purgé sa peine. On ne peut rien contre lui. « Je ne vous demande pas de l’héberger sous votre toit, Mme Rebernak, je dis qu’on peut faire autrement… ! Vous avez bien une petite remise au fond du jardin ? ».
Tout l’art de Ravey (Yves) est ici résumé : ce déplacement de la logique, ces explications spécieuses qui ne font que déguiser le danger (présumé) sans jamais pouvoir l’écarter. Cette succession de décisions qui ne changent rien. Cette impuissance à supprimer une présence à la proximité vénéneuse. Il y a un exotisme de l’intrusion. C’est le réel tout entier qui se métamorphose – la succession des faits devient arbitraire, la chronologie n’a plus d’importance, puisque l’inéluctable appelle les personnages vers son gouffre, les aspire : « Depuis quelques semaines, disons le mois de mai, sa fille avait décidé de sortir le soir. » Tout est dans le « disons le mois de mai », qui vient balayer l’importance des choses, l’enchaînement des faits, qui vient niveler les importances, gommer les reliefs : tout vaut tout quand la terreur s’installe en voisin.
Le voisinage, le cousinage : rien n’est plus effrayant. « Le samedi matin, ma mère est passée vérifier si Freddy était bien au bord de la rivière. (…) Elle lui a demandé ce qu’il faisait tous les jours en face du lycée de jeunes filles. Freddy a lancé sa ligne en ajoutant qu’il avait le droit d’aller où ça lui plaisait. » C’est de cela qu’il s’agit ; c’est cela, la terreur : une association, une entente de la normalité avec la légitimité qui produit la menace sans jamais menacer. On a peur d’avoir peur. « Elle avait du mal à comprendre pourquoi sa fille n’était pas parmi ses camarades. Ça l’ennuyait qu’elle se retrouve seule au milieu des roseaux. » Sur ce livre peu ordinaire, je n’en dirai point davantage.

Patrick Kéchichian, La Croix, 31 janvier 2013

Yves Ravey fait monter l’angoisse

Transparence et opacité. Yves Ravey ne considère pas ces deux mots comme contradictoires ou devant fatalement s’exclure. Les rapprochant au contraire de curieuse manière, il parvient à installer chez le lecteur un trouble très particulier, qui ne ressemble à nul autre dans le roman contemporain. La parfaite linéarité du récit, au lieu de calmer le malaise, l’augmente dans des proportions fort inquiétantes. Répétons-le : pas de zone d’ombre, guère de non-dits, aucune conscience cachée dans les méandres de l’intrigue… Alors, que se passe-t-il ? Quelle est cette opacité qui s’installe, comme un inquiétant crépuscule, dans l’esprit du lecteur ?
Ce roman d’Yves Ravey, comme les précédents, n’a pas d’axe, de point d’appui, ni même de personnage principal. Mais il a un point de fuite. Résumons. Mme Rebernak a un fils, le narrateur en question, gardien d’une station d’essence, et une fille Clémence, adolescente. Son mari est mort. Le cousin de la famille, Freddy, sorti de prison après quinze ans purgés pour le viol d’une enfant, Sonia, se présente chez Mme Rebernak. Elle n’a nul désir de recevoir le prédateur, car elle est convaincue, au-delà de toute raison, qu’il représente un danger patent pour Clémence. Dietrich, l’éducateur, tente, en vain, de la rassurer. Dans la seconde partie paraît Me Montussaint, dont le fils, Paul, entretient une tendre relation avec Clémence. Relation qui est en train de se rompre.
Inutile d’en dire davantage, et cela pour deux raisons. D’une part parce que la fin fait basculer le roman dans une dimension inattendue et pourtant dûment préparée. Un véritable (et classique) suspense dont le lecteur doit suivre innocemment, avec angoisse également, la progression. Suspense qui donne à l’histoire une sorte de morale – pas explicite, ni sommaire. Avec une nette coloration sociale cependant.
L’autre motif qui rend vain le résumé minutieux de l’intrigue est plus profond. Il regarde, non seulement, la manière singulière d’Yves Ravey, mais la finalité de son art. Dans ce livre comme dans les précédents, tout est rigoureusement calculé, décrit : de la géographie des lieux, des attitudes et actions de chaque personnage, aux développements de l’action. Ravey s’en tient à ces données brutes, brutales. Pas de psychologie, ni à la surface ni – en apparence – dans les profondeurs. Et cependant, on a le sentiment entêtant qu’une forte contrainte intérieure s’est exercée sur l’auteur, qu’il a été mené, qu’il a obéi, avec un immense scrupule intellectuel et moral, à la dictée de son récit, acceptant, comme une sorte de pénitence, sa nudité – son minimalisme comme on dirait aujourd’hui. « Je suis raconté dans ce que j’écris », avait naguère souligné Ravey dans le seul texte un peu théorique qu’il a consacré à sa conception de la littérature. Tout, dans ce bref roman, prend à ses yeux, mais aussi aux nôtres – d’où la parfaite réussite de l’écrivain – un caractère de nécessité, d’urgence absolue, de non-gratuité.

 




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