Théâtre


Yves Ravey

Dieu est un steward de bonne composition


2005
80 pages
ISBN : 9782707318961
6.60 €


Le dancing Chez Malaga est en émoi. Alfredo, le fils de la patronne est de retour après seize ans passés à l'étranger.
Mais Alfredo ne revient pas dans la seule intention de revoir ses proches. Il doit récupérer un document de la plus haute importance.

* Cette pièce a été créée le 18 janvier 2005, à Paris, au Théâtre du Rond-Point, dans une mise scène de Jean-Michel Ribes, avec Michel Aumont, Claude Brasseur et Judith Magre.

‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑

« Il ne faut rien dire. Je n'ai jamais rien dit.
J'ai toujours considéré que tout se faisait en silence.
Le dancing chez Malaga est en émoi. Alfredo, le fils de la patronne, steward sur un bateau de luxe, la Ville de Palerme, est de retour après seize ans passés à l'étranger... Tous ces gens baignent dans un drôle de commerce et la mère mourante n'est pas la plus innocente. Trois personnages cruels jusqu'au burlesque se déchirent et s'aiment avec la passion des  retrouvailles et des habitudes ranimées. Dans cet hôtel-dancing qui tombe en ruine, tout le monde est en danger, et peut-être le monde entier. Yves Ravey se glisse entre Kafka et Bunuel pour dénoncer avec sa langue subversive les violences de l'immigration. J'ai demandé à trois grands acteurs d'interpréter ce grand texte. »
Jean-Michel Ribes

ISBN
PDF : 9782707326331
ePub : 9782707326324

Prix : 4.99 €

En savoir plus

Fabienne Darge, Le Monde, vendredi 25 février 2005

Dans un hôtel-dancing, les retrouvailles troublées d'une famille en exil

C'est à un bien étrange spectacle que nous convie Jean-Michel Ribes en son Théâtre du Rond-Point, à Paris. Un spectacle aux apparences trompeuses, déroutant, dont on pressent vite qu’il sera bien autre chose qu’une de ces comédies de société gentiment grinçantes comme aime à les monter le directeur du Rond-Point.
Tout pourtant, au départ, laisse entendre que l’on est bien en terrain connu : trois - grands – comédiens, Michel Aumont, Claude Brasseur et Judith Magre, se donnent la réplique, et tout semble indiquer qu’ils mettent leur brillant et leur brio au service d’une de ces classiques affaires de famille avec retrouvailles problématiques et psychologiques, etc.
Mais ce serait compter sans l’auteur, Yves Ravey, qui a déjà publié, depuis une douzaine d’années, plusieurs romans et pièces de théâtre – mises en scène par Joël Jouanneau notamment – aux Éditions de Minuit.
Et cet auteur-là, qui par ailleurs enseigne les lettres et les arts plastiques au collège Stendhal de Besançon (Doubs), a un regard bien particulier sur la réalité, qui fait de lui un digne descendant de Franz Kafka : les lignes du réel, chez lui, sont toujours à la fois extrêmement précises et décalées, inscrites dans une dimension fantomatique et trouble.
Et le lecteur, ou le spectateur, est insidieusement « pris au piège », pour reprendre le titre de son dernier roman, paru au début de l’année (Le Monde des livres du 7 janvier). Sans très bien comprendre comment, ni pourquoi, tant le sens des mystérieuses fables d’Yves Ravey toujours échappe. Pris au piège de cette familière, très familière étrangeté. Dérangeante parce que familière, justement.
Un hôtel-dancing un peu déglingué, « Chez Malaga ». Décor baroco-fantastique (Patrick Dutertre) avec têtes de mouton empaillées, bric-à-brac d’église, arbres, escaliers. Parfum carpato-balkanique. Alfredo (Claude Brasseur), le fils de la patronne, revient après trente ans d’absence. Alfredo est steward sur le Ville-de-Palerme, un paquebot de luxe qui promène de riches voyageurs sur le lac de Lugano. Alfredo n’est pas seul : il arrive avec « une poule », comme l’appelle Potelsnik (Michel Aumont), l’homme à tout faire de la mère. La « poule », répondant au nom de Salza, et la mère, grabataire et gardée par un molosse, n’apparaîtront pas directement dans la pièce.
On verra en revanche Walserina (Judith Magre), la sœur d’Alfredo, professeur de philologie romane à l’université. Et rien, donc, ne se passera comme on pourrait l’entendre, avec explications et grand déballage. Et pourtant, il y a bien ici, comme le dit Walserina, « quelque chose de malsain qui ne se montre pas ».
Mais qu’est-il, ce « quelque chose de malsain » ? Ces réfugiés venus d’on ne sait où qui, toutes les nuits, atterrissent sur le terrain d’aviation voisin, et avec lesquels Potelsnik semble se livrer à d’étranges commerces – et notamment ces femmes, qu’il appelle des « antilopes » ?
Ces souvenirs, que Walserina voudrait à tout prix rappeler à Alfredo, ceux du temps où eux aussi fuyaient on ne sait quelle terreur ? Les souvenirs, encore, de Potelsnik, lui aussi échoué ici après on ne sait quelle vie en fuite ? Ces relations pas claires entre Potelsnik et Walserina ? Potelsnik lui-même, qui prétend avoir été philosophe, autrefois, dans son pays, et qui dit : « La philosophie, c’est penser, et puis se taire ». Ou encore ces étranges relations entre la mère et le fils, qui se solderont par un dénouement dramatique ?
« Nous sommes obligés de faire avec les ombres de la nuit », dit Yves Ravey dans un texte de présentation de sa pièce…
Jean-Michel Ribes met en scène ce Steward… avec sa manière et son savoir-faire habituels, qui ne sont peut-être pas, malgré son indéniable talent de directeur d’acteurs, tout à fait l’idéal pour une écriture aussi singulière que celle d’Yves Ravey, pour laquelle il aurait fallu, sans doute, trouver l’exact équivalent stylistique.
Dieu est un steward de bonne composition n’en demeure pas moins un spectacle intéressant – un de ceux, rares aujourd’hui, qui bousculent les habitudes et les certitudes sur la façon dont le théâtre et la vie se regardent mutuellement.
Ce que dessine Yves Ravey avec ses lignes de fuite, ce sont des figures de l’effroi, qui s’incrustent dans la conscience de manière très particulière et profonde. Qui nous hantent, en un mot.

 




Toutes les parutions de l'année en cours
 

Les parutions classées par année