Romans


Yves Ravey

Taormine


2022
144 pages
ISBN : 9782707347701
16.00 €
30 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries Schleipen.


Un couple au bord de la séparation s’offre un séjour en Sicile pour se réconcilier.
A quelques kilomètres de l’aéroport, sur un chemin de terre, leur voiture de location percute un objet non identifié. Le lendemain, ils décident de chercher un garage à Taormine pour réparer discrètement les dégâts.
Une très mauvaise idée.

ISBN
PDF : 9782707347732
ePub : 9782707347725

Prix : 10.99 €

En savoir plus

Jérôme Garcin, L’Obs, 25 août 2022

La Possibilité d’une île

On peut faire confiance à l’excellent et discret Yves Ravey pour réussir un roman sur des vacances ratées. Et, comme à son habitude, susciter un malaise dont le lecteur est bien aise. D’ailleurs, à la fin, qui n’est pas une fin, on en redemande. Cet écrivain, qui broie du noir, mais excelle dans l’écriture blanche, est vraiment addictif. Ici, tout commence à l’aéroport de Catane-Fontanarossa, en Sicile. Y débarque un couple en crise, au bord de la séparation. Melvil, cadre au chômage, mais parano en activité, et Luisa Hammett (oui, comme Dashiell) comptent profiter de ce séjour dans un hôtel de Taormine pour donner re repos et du soleil à leur différend. La route est directe pour les y conduire dans une voiture de location, lorsque Melvil, le narrateur compendieux, bifurque soudain sur un chemin de terre avec l’idée d’aller voir la mer. Première mauvaise idée. La voiture zigzague dans un no man’s land, longe un campement de migrants, se perd dans la nuit qui tombe et finit par heurter violemment on ne sait qui, on ne sait quoi. L’aile avant droit doit être très cabossée. Pour autant, le couple ne prend pas la peine de descendre pour voir ce qui a causé le choc ni vérifié l’état de la carrosserie. Plus tard, Melvil confiera qu’il se croyait suivi et n’a pas voulu couper le moteur. Mais au lieu de reprendre l’autoroute pour Taormine, il fait un nouveau détour et s’arrête, deuxième mauvaise idée, dans un village sans âme qi vive. Quand, enfin, le voiture de location se gare au parking de l’hôtel Via del Mare, Melvil n’a qu’une obsession, troisième mauvaise idée : faire réparer l’aile abîmée et disparaître au plus vite la trace, la preuve de l’accident, qui pourrait être celui dont le journal local fait sa une. Le corps d’un enfant échappé d’un campement nomade a en effet été retrouvé mort devant la plage d’Acireale. Au garage, on se frotte les mains et demande à Melvil de payer en liquide de quoi soulager sa conscience et maquiller la voiture défigurée. Plus les heures passent, plus il doit débourser. Pour l’affoler, on lui dit que la police rôde, qu’elle est sur la piste d’un couple de touristes, qu’il faut fuir au plus vite… Où est la vérité, où est le fantasme ? Est-ce un drame ou un cauchemar ? On ne le saura pas. Ce polar sans coupable ni victime s’ouvre comme un roman de Simenon et se termine à la manière de Kafka. L’auteur de « Sans état d’âme » y déploie sa méthode habituelle, fondée sur le monologue laconique, voire maladif, ne s’intéresse ni à la psychologie des personnages ni à la spécificité des paysages, multiplie les ellipses et les angles morts, fait naître en peu de pages un suspense d’entre chien et loup dans une atmosphère de plus en plus oppressante. C’est diabolique, c’est impénétrable, c’est du Ravey.


Valérie Marin La Meslée, Le Point, 8 septembre 2022

Yves Ravey écorne la carte postale

« L’atmosphère n’était pas lumineuse, pas franchement. Pour un premier jour de vacances, c’était même assez décevant. » Un roman d’Yves Ravey, c’est d’abord un ton pince-sans-rire. Un art de susciter le sourire, voire le fou rire, au milieu de la plus triviale – en apparence – des situations. Taormine en est une nouvelle preuve, un petit bijou d’humour très noir, un glaçon dans la chaleur méditerranéenne. Le narrateur, confiant, part en vacances avec son épouse en Sicile, alors que leur couple bat de l’aile. Quittant l’aéroport, et pour faire plaisir à sa femme qui meurt d’impatience de voir la mer, Melvil, conduisant leur voiture de location, tente une bifurcation pour atteindre au plus vite une plage indiquée au bout d’un chemin de terre traversant une zone de travaux. Près d’un campement. Déjà, une légère anxiété s’installe devant ce panorama désolant. Une pause-café sera bienvenue, même si le barman… « a posé, sans un mot, mais ça m’était égal, les deux consommations sur le comptoir », Ah, les incises de Ravey… Le personnage du mari, à la quatrième page, a déjà réuni les caractéristiques du parano. Quant à Luisa, elle a la pique insidieuse toujours prête, demandant à son époux, sous la pluie battante, « si le mois d’avril était la bonne saison pour visiter ls Sicile ». On pourrait continuer à se régaler des petites choses par lesquelles le romancier avance en peignant, impitoyable et tendre à la fois, la nature humaine, mais ce serait oublier que Ravey, si minutieux soit-il, convoque toujours d’une manière ou d’une autre l’état du monde. Son comique rentré est pénétré des plus graves questions. Taormine en est une démonstration concentrée.
Parce que, dans cette première nuit sicilienne mal engagée, la voiture percute « une forme ». Melvil n’écoute pas Luisa qui voudrait sortir voir ce qu’il en est. Ils fuient. La carrosserie abîmée devra pourtant être réparée, mais le narrateur ne va pas laisser gâcher ses vacances « par cette idiote histoire d’obstacle sur un chemin emprunté par erreur ». Sauf que la presse leur apprend qu’un enfant, échappé d’un campement, est retrouvé mort, cette nuit-là, sur les lieux mêmes où… Et la police enquête… La mécanique du polar s’emballe, comme toujours dans l’œuvre singulière et si reconnaissable d’Yves Ravey, né en 1953 à Besançon, où il vit. Depuis trente ans, l’auteur de Trois jours chez ma tante et d’Adultère, pour n’en citer que deux, est publié aux Editions de Minuit. Il faut en recommander un troisième, qui paraît dans la collection de poche « Double » ; celui, bouleversant, qu’il est parvenu à écrire sur la mort de son père, Le Drap. À lire, absolument. Aussi.


Etienne de Montety, Le Figaro, 15 septembre 2022

Une balade entre Charybde et Scylla

Un roman d’Yves Ravey commence toujours par la présentation de gens sans histoire : Melvil et Luisa arrivent en Sicile pour les vacances. Après une année éprouvante, le couple veut se retrouver. Ils ont loué une voiture pour rejoindre leur hôtel à Taormine, mais pourquoi diable décider d’aller voir la mer plutôt que de s’y rendre directement ? Il est tard, un orage éclate, le détour tourne au cauchemar : dans un chemin en travaux, leur voiture heurte un objet inconnu et, pour éviter tout problème avec le loueur, Melvil et Luisa se mettent à la recherche d’un garage qui redressera la carrosserie enfoncée.
On aura compris ce qui fait la marque de ce romancier déjà à la tête d’une quinzaine de romans : une histoire simple qui se détraque. Il y a bien des péripéties dans Taormine, bien des protagonistes pittoresques ou inquiétants, mais le critique ne se risquera pas à trop raconter ni à expliquer le rôle de chacun dans ce roman. Il convient de ne pas gâcher les effets du magnifique mécanisme d’horlogerie mis en place par l’auteur.
Ce qui est passionnant, c’est la manière dont ce mécanisme va se gripper – un geste, une parole, et un charmant voyage de printemps sombre. Les personnages ont beau faire, se débattre énergiquement, maladroitement, Melvil et Luisa, citoyens sans histoires, peuvent bien feindre et dissimuler, rien n’y fait. D’autant qu’on ne sait pas si tous ceux que le couple rencontre ou croise sont placés là pour dépanner ou pour enfoncer…
C’est une loi sur cette terre sicilienne baignée de culture antique : le plus intelligent des hommes ne l’emporte jamais sur la fatalité qui condamne l’humanité à la catastrophe. Taormine, c’est-à-dire l’hôtel où les attend un séjour de dépliant, est le nom d’un rêve inatteignable, l’aspiration à la quiétude, le retour naïf au monde d’avant la faute.
Yves Ravey écrit des romans courts, tirés au cordeau, et comme à son habitude, raconte sur un ton désinvolte et aimable un fait divers terrible. Peu de dialogues, mais une narration faite par Melvil, qui, l’air de rien, nous fait le récit très circonstancié de sa mésaventure. Chaque détail a son importance.
On craint à chaque page de tomber sur celui qui va tout faire dérailler. Le moindre objet anodin peut devenir pièce à conviction, élément à charge. Le lecteur est le spectateur d’un film noir et blanc tiré d’un roman qui emprunte au policier pour les atmosphères, quoique le ton sarcastique de l’auteur y apporte une légèreté bienvenue. C’est implacable, consternant, et seul le ton flegmatique de Melvil apporte peut-être une note d’humanité ordinaire à cette balade entre Charybde et Scylla : il est amoureux, idéaliste, retors, inconséquent. Il est notre voisin. L’enfer est tout près de chez vous.


Marine Landrot, Télérama, 21 septembre 2022

Un vieux couple commet un méfait. Embarqué dans leur fuite, le lecteur hésite entre horreur et tendresse

Melvil et Luisa sont aussi sympathiques qu’odieux. Cette ambivalence les soude, c’est peut-être le secret de leur amour. Le vieux couple a connu des crises, un orage vient même de passer, devine-t-on à l’odeur de terre mouillée de l’écriture, au début du roman. Phrases descriptives jusqu’à la moelle, dont sourd une entêtante ironie. Quoi de mieux qu’un voyage pour reléguer les tensions conjugales au fond des poches, avec un mouchoir par-dessus ? Ces deux-là veulent y croire, et les voilà en Sicile, destination Taormine, à bord d’une voiture de location à la pointe de la technologie, étouffement des rancœurs garanti. Yves Ravey conduit avec assurance, il connaît la route. Son attention aux détails matériels, ses coups d’œil sur les manies fugaces de ses personnages révèlent une extrême concentration. Le lecteur est en confiance, même – et surtout – au bord du gouffre.
L’accident arrive dans les premières pages. Un carambolage à la David Lynch, irréel, mais confirmé par des indices pesants. Pas de blessés apparents, mais la conscience des personnages est sévèrement touchée. Ils ont pris la fuite, drapés dans une indigne et fausse inadvertance. Les deux autruches ont probablement laissé un mort dans le fossé, l’empreinte sur la carrosserie en témoigne. Raison de plus pour papillonner dans la déraison. Yves Ravey égrène les secondes suspendues de leur errance atroce, avec une science démoniaque de l’ambiguïté feutrée. L’élan de tendresse qu’il suscite pour ce duo ne faiblit pas, malgré l’horreur grandissante de leur comportement. L’auteur joue sur notre culpabilité de trouver des circonstances atténuantes à ces touristes haïssables. Il est même probable que le livre suscite des virées italiennes sur leurs traces, par un phénomène d’emprise consentante. Une manipulation de maître, qui ébranle les certitudes et bouscule la perception des autres comme de soi-même.

 




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