Romans


Christian Oster

Les Rendez-vous


2003
160 pages
ISBN : 9782707318367
12.15 €
48 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


Audrey, la femme de Simon, avait disparu. Par amitié, je l'ai attendue avec lui. Il est vrai que j'en avais assez d'attendre Clémence, qui, ignorant que je lui fixais des rendez-vous, puisque je ne l'en prévenais pas, ne me laissait aucune chance de la revoir.

ISBN
PDF : 9782707332363
ePub : 9782707332356

Prix : 8.49 €

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Isabelle Martin (Le Temps, 13 septembre 2003)

Christian Oster vous donne rendez-vous au Jardin des Plantes
Mystères de l’amour : on fixe une rencontre à une femme, et c’est une autre que vous tombe dans les bras ! Un nouveau chassé-croisé romanesque plein de légèreté et d’humour.
 
«“ Maintenant qu’elle n’était plus dans ma vie, je pouvais tranquillement me consacrer à elle ” : voilà une de ces phrases paradoxales dont on dira qu’elle est caractéristique de Christian Oster, Prix Médicis 1999 pour Mon grand appartement. Pour mieux se consacrer à Clémence, avec qui il a rompu il y a trois mois, le narrateur de ce dixième roman lui fixe des rendez-vous auxquels elle ne vient pas, pour la bonne raison qu’il ne l’en informe pas – ce qui lui paraît le plus sûr moyen de ne pas être déçu. Au bout de trois mois d’attente stérile mais apaisante, il convie un soir son ami d’enfance Simon, qui travaille à la ménagerie du Jardin des Plantes, à le(s) rejoindre. C’est pour apprendre que la femme de Simon, Audrey, l’a quitté il y a trois jours.
Désormais, c’est décidé, il attendra avec Simon le retour d’Audrey. Plutôt que d’espérer la venue improbable d’une femme dont il sait qu’elle ne viendra pas, pourquoi ne pas adopter l’attitude nouvelle qui consiste à “ attendre une femme ayant quelque chance d’arriver là où on la guettait ”, même s’il s’agit de celle d’un autre ? D’autant que si une femme partie revient, pourquoi une autre ne ferait-elle pas de même ? Cette première étape d’un chassé-croisé qui réserve de jolies surprises aux amateurs d’aventures minuscules fait retrouver en Christian Oster un théoricien du chaos amoureux pour qui un battement de cœur peut avoir des répercussions inouïes. Comme dans Le Pont d’Arcueil (1994), Mon grand appartement, Une femme de ménage (2001) ou Dans le train (2002), c’est à nouveau d’une histoire de femme et de foyer perdus et retrouvés qu’il s’agit. Elle est menée avec virtuosité par un maître ès variantes et permutations infimes, qui déplace ses personnages juste ce qu’il faut pour que la situation change radicalement à l’intérieur du même cadre.
Tout se noue et se dénoue au Jardin des Plantes, où Simon est chargé de nourrir les fauves. Le narrateur y est souvent venu en compagnie de Clémence, qui fait une fugitive réapparition finale devant le volière. Chez Simon, le narrateur croise Folie et de Surbanipal, les deux petites panthères nées quelques mois plus tôt, ainsi qu’Aube, la baby-sitter chargée de garder les deux garçons du couple, une blonde aux seins voyants choisie par Audrey et avec laquelle Simon confesse avoir “ couché juste une fois ”. Au travail ou au café, le narrateur se met à attendre la femme de Simon, et à commencer d’oublier Clémence. Jusqu’au jour où il reçoit un appel téléphonique d’Audrey qui demande à le voir. Ce qui permet au lecteur, incidemment, d’apprendre enfin son prénom : Francis.
On ne va pas raconter la suite, pour laisser entier le plaisir de découvrir cette histoire d’amour très tendre, à la drôlerie légère mais constante dans la façon qu’a Oster d’exposer les tergiversations intérieures de Francis, ses craintes et ses espoirs. Il faut souligner le parfait naturel de ce récit, qui saisit dans les rets souples de l’imparfait du subjonctif, dès la première page, le réel le plus ordinaire : l’attente dans un café ou la préparation d’un repas. Cela même si l’on se heurte aussi à plus inattendu, comme une panthère dans un salon ! De façon séduisante, la ponctuation subtile souligne, dans les phrases les plus longues, chaque nuance de la pensée ou du sentiment. Lesquels sont bien sûr indissociables chez Francis, pour le plus grand plaisir du lecteur de ces Rendez-vous. »

Jean-Louis Ezine (Le Nouvel Observateur, 18 septembre 2003)

Au rendez-vous d’Oster
Dans son dixième roman, Les Rendez-vous, Christian Oster mêle scènes de ménage et querelles de ménagerie
 
« S'il est un lieu où souffle l'esprit, c'est bien le Jardin des Plantes, sa colline inspirée, ses charmilles, sa fosse aux ours. Combien d’écrivains sont venus se perdre et rêver dans ce labyrinthe, où Bernardin de Saint-Pierre semble poursuivre l'utopie du monde idéal ? Chacune des allées, c'est une page qu'on tourne. Ce n'est plus un jardin, c'est une anthologie. Léon-Paul Fargue, Georges Perec, Jacques Réda et notre pénultième prix Nobel français, Claude Simon, en ont fait le plus grand cas. Alexandre Vialatte venait y chercher un apaisement aux grandes tragédies humaines : rien n'exprime mieux la vanité des choses terrestres qu'un peu de soleil sur trois chaises vides, perdues dans l'impassible nature où blatère sous une hypothèse de palmier une antique chamelle.
À l'occasion de son livre, Les Rendez-vous, Christian Oster vient de rejoindre cette illustre et vagabonde compagnie où les vivants se mêlent aux fantômes. Le Jardin des Plantes offre plus qu'un cadre de circonstance à la prose paisible et nette de ce romancier méditatif, d'une patience d'explorateur, digne héritier des foules subjuguées qui se donnaient le torticolis sous la girafe du pacha d'Égypte, la première star de l'endroit, dont l'effigie signe encore chez l'antiquaire les fers à repasser et les coupe-cigares du règne de Charles X. Christian Oster a une préférence indiscutable pour les tigres, les autruches et les tapirs laineux. Il n'est donc pas venu chercher dans cette ménagerie du spectaculaire, moins encore du grandiose, mais plutôt “ l'intermittente agitation des bêtes dans le déclin du jour ”, qui installe son intrigue, laquelle ne concerne que les désordres humains, dans le décor d'une fable pleine d'ironie.
Christian Oster, son œuvre en témoignes est l'écrivain dès comédies domestiques. Problèmes d'appartement, de baby-sitter, de femme de ménage, de concierge, voire de pique-nique. Ses héros sont souvent des hommes quittés. Ainsi le narrateur de ce nouveau récit, Francis, qui, trois mois après que Clémence l'a plaqué, lui donne des rendez-vous imaginaires dans des cafés où il s'entraîne à l'attendre, sans aucun espoir bien entendu. C'est alors que l'idée lui vient, en quelque sorte pour se délasser, de tenir compagnie à son ami Simon que sa femme Audrey vient justement de laisser tomber. Le voilà qui, par pure fraternité compassionnelle, attend désormais le retour hypothétique d'une étrangère, pour se distraire de l'ennui d'attendre en vain la légitime qui ne reviendra plus. Simon travaille au Jardin des Plantes, où il occupe un logement de fonction au milieu des tigres. Il apparaît bien vite que le volage Simon n'a nul besoin des consolations du narrateur, et celui-ci se retrouve bientôt dans la plus surréaliste des situations : attendre une femme qui n'est pas la sienne, entre deux enfants dont il n’est pas le père, dans un appartement que la nuit et les rumeurs animales transforment en jungle de tous les dangers. Sur ce motif de l'attente, l'écrivain a élaboré un scénario à suspense, une façon de parabole hitchcockienne où il s'est souvenu qu'il s'était commis jadis, avec un bonheur certain, dans le roman noir. Qui croit attendre fait en réalité une victime... très attendue, mais chut ! On ne va quand même pas éventer l'une des plus jolies mystifications de cette rentrée. »

Jean-Claude Lebrun (L'Humanité, 25 septembre 2003)


L'humoriste impassible
 
« Dix romans déjà, depuis 1989. Mais voilà belle lurette que Christian Oster a imposé son drôle de regard sur les choses. Et sa façon irrésistiblement contournée de les dire. Ce qui étonne toujours autant, c'est son inépuisable dextérité à tourner et retourner les mots, et à les enrober d'humour. Avec quelques compères des Éditions de Minuit, Christian Oster forme en effet la plus belle bande de rigolards impassibles de notre littérature. N'ignorant certainement pas l'émotion, ni les grands transports du cour et du corps, mais s'arrangeant à chaque fois pour les tenir à distance et faire sourire, dans une manière de pratique nouvelle de l'art de la litote. Les tenants de la tradition peuvent bien exhaler leur nostalgie, il n'empêche qu'il se trouve aujourd'hui des écrivains pour donner à celle-là un nouveau souffle inattendu. Tels ces autres qui ont entrepris de revisiter les méandres de la “ fine amor ”, cette folle passion jamais dite. Il y a là des façons inédites, non conventionnelles, de faire fructifier l'héritage classique.
Ainsi qu'à l'ordinaire, Christian Oster nous immerge donc dans une histoire banale, habitée de personnages sans relief, quoique passablement tortueux. Le principal d'entre eux, qui tient le rôle du narrateur et travaille, sans plus de précision, dans “ le tertiaire ”, a été délaissé par une dénommée Clémence, partie voir ailleurs, il y a trois mois de cela. C'est peu dire qu'il ne s'en remet pas. Alors il échafaude une stratégie : il lui fixe rendez-vous chaque jour, à la même heure, dans le même café. Et chaque jour, invariablement, il l'attend en vain... C'est l'ouverture burlesque de ce délirant roman : “ Trois mois après qu'on eut cessé de se voir, avec Clémence, je lui donnais encore des rendez-vous. Mais je ne l'en informais pas, ça me paraissait plus sûr. Avertie d'un lieu, d'une date et d'une heure, elle ne serait probablement pas venue, et j'en eusse davantage souffert... ” Une imparable logique de l'absurde, qu'on retrouvera tout du long, impassiblement égale à elle-même. Car les héros de Christian Oster relèvent de cette singulière complexion, qui les pousse à se prémunir du pire en jouant la carte d'un échec obligatoirement annoncé. Ainsi encore Simon, ami d'enfance du narrateur, qui s'occupe des tigres à la ménagerie du Jardin des Plantes (“ c'est un métier qui ne m'aurait pas convenu, personnellement, surtout à cause des tigres ”) et doit déplorer le départ tout récent d'Audrey : il invite Francis, le narrateur, le prénom est seulement lâché à la page 48, à venir s'installer chez lui, au-dessus de la fauverie. Ce qui ressemble fort, si l'on reste dans le champ animalier, à une histoire de loup que le berger ferait entrer délibérément dans sa bergerie. Car lui sait déjà pourquoi, et surtout pour qui, Audrey a décidé de le quitter. L'innocent Francis l'apprendra de la bouche de celle-ci. Puisqu'ils vont bientôt se rencontrer. Même s'il aura d'abord quelque peine à réaliser : “ Je ne réagissais pas trop. Je collectais des informations. J'avais un projet de synthèse. Plus tard. ” Toujours cette posture de retrait et cet humour à froid comme pour se donner le temps, différer encore ce qui viendra fatalement à se produire. Dans cet art délicat, Christian Oster est passé maître.
Plus tard, on peut voir Audrey et Francis s'essayant à différentes postures dans la cabine d'une péniche, sur la Seine. Si notre narrateur a désormais compris de quoi il retournait, il lui faut toujours observer ce léger décalage – principe de précaution ? – entre certains gestes précis et l'attitude qu'il choisit d'adopter. Quelque chose comme Buster Keaton soudain pressé dans les bras de Marilyn Monroe. Drôle et beau à la fois. L'intensité de l'amour assortie des commentaires du personnage. Telles des notes en marge, jetées en pleine action. Et continûment ces autres acrobaties, verbales cette fois : paradoxes, apparentes digressions qui viennent en fait renforcer le profil de logicien absurde du narrateur. Un exercice de haute école burlesque, qui tire également son effet d'un usage ostensiblement classique, pour ne pas dire pédant, de la langue. Avec ces imparfaits du subjonctif, qui tombent comme à Gravelotte, à la fois exigés par une observance rigoureuse de la concordance des temps et décalés dans le contexte. Ou ces figures d'une rhétorique soutenue, fréquentes dans de grandes proses épiques ou lyriques, mais appliquées ici à des événements de médiocre portée. Un pur régal. Si Christian Oster a des lettres, il possède aussi sur le bout des doigts son Grevisse et son Aristote, les deux discrets piliers de ses romans. Et l'on doit avouer un plaisir, qui jamais ne se dément, à voir à chaque fois, de si singulière façon, déployés ces atours de la langue. Oui, décidément, l'on aime les rendez-vous avec les livres de Christian Oster, ces drôles de noces du burlesque et de la litote. »

 




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