Théâtre


Eugène Savitzkaya

La Folie originelle


1991
80 pages
ISBN : 9782707313225
9.10 €
25 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


La Folie originelle est la chronique d’un cataclysme qui devra s’abattre, qui s’abat, qui s’est abattu, selon le mode récurrent, sur une ville, la ville formée d’air, de pierres, d’arbres et de gens, d’êtres humains vivant ensemble. Sans cesse, l’air circule. Les pierres se réchauffent puis tiédissent. Les arbres vieillissent. Les gens lavent les vitres de leurs fenêtres que salissent la pluie et la poussière ; ils sortent à l’extérieur et rentrent à l’intérieur. Et la terre, lestée d’un grain de nickel pur tourne sur elle-même et se propulse selon un cycle.

Antoine de Gaudemar (Libération, 21 février 1991)

Le séisme Savitzkaya
Des enfants et des animaux face aux dangers du monde : La Folie originelle met en scène une ville après un tremblement de terre.
 
 La Folie originelle d'Eugène Savitzkaya est le fruit d'une commande faite à l'auteur par la Compagnie Pitoiset à Dijon, et doit faire l'objet d'une série de représentations. C'est donc, si on le veut, une pièce de théâtre. Comme dans pareil cas, des indications scéniques sont données d'entrée de jeu. L'action se déroule “ dans la ville, dans les murs…, par tous les temps et à toute heure ”. Dans le ciel, il faut imaginer des “ objets volants : ballons, papier brûlé, sachets en plastique ”, et des vols de “ mouettes, corneilles, martinets, étourneaux, hirondelles et faucons selon l'heure et la saison ”. Au ras du sol il faut prévoir des théories de “ rats, souris (chauves-souris), putois, fourmis ailées, cloportes, araignées ”. Il faut prévoir encore des odeurs de glycine, de roses mais aussi d'égouts et de “ frichtis ”. Et des bruits de marteau “ sur trente-six enclumes différentes ”, de moteurs, des cris “ russes, espagnols, italiens, turcs et français ”. Dans ce décor aussi onirique que précis, quelques “ créatures ” : Berganza Eva, Celi, Conspuate “ et d'autres ”. L'histoire peut commencer.
“ Cela s'est passé comme ça il y a longtemps, exactement comme cela se passe d'habitude. Exactement comme cela devra se reproduire régulièrement. Les murs se sont fissurés et les maisons se sont écroulées parce que la ville tremblait et la ville tremblait parce que les collines de schiste sur lesquelles elle avait été bâtie étaient soulevées par des vagues et divers soubresauts. Régna un grand désordre parmi les pierres taillées, parmi les arbres et parmi les gens. ” Une ombre parle, qui rappelle ainsi le cataclysme. Des survivants du séisme, Berganza, Celi, Eva, errent dans les décombres et disent la désolation, les morts, la douleur, les souvenirs, L’avant. Ils circulent dans les ruines, ramassent des cheveux, des chaussures, divers lambeaux : “ à chaque pas on marche sur du verre brisé et des choses molles, on glisse, on respire l'haleine des autres, on se salit en touchant les murs, plus rien n’est à sa place. ” Ils parlent, raniment des chimères, ressuscitent des disparus. “ Et les enfants morts revenaient habiter leurs chevaux préférés, leurs camions, leurs bicyclettes, leurs ours, leurs lions, leurs dauphins et dormir dans leurs berceaux. ”
Les rescapés disent aussi les odeurs, les couleurs, la vie qui continue, qui repart de plus belle. L'apaisement, après le tumulte. Eva a recueilli un enfant, un petit éléphant aux oreilles d'or et à la trompe d'argent. “ Jetez des fleurs au petit taureau ”, dit Conspuate, “ donnez du riz à l'aigle, sans compter ”, “ que l'hirondelle reçoive vos baisers les plus doux ” et le chœur reprend en écho. Seul Celi, qui élève à grand mal un “ monstre ” dans sa cave, se sent démuni mais heureux : “ Des bagatelles me procurent un plaisir intense. Le moindre changement, la moindre variation m'enthousiasme. Et cette ville est riche en variations de toutes sortes, surtout depuis que la terre bouge. ” La terre bouge, tremble, tourne, poursuit sa route. Berganza : “ Qu'est-ce qu'il faut faire ? Attendre de mourir ? Ou, chaque jour, parcourir ce jardin dont les limites sont extrêmement précises, goûter l'eau, sentir le vent, se préoccuper de la réserve de charbon ou de bois, des mites qui détruisent les vêtements et des vers qui creusent les poutres, des lézardes qui transpercent les murs ?... ” Et Berganza désigne, énumère tous ceux qui ont décidé de continuer, de “ souhaiter ” mais aussi de trahir et de tuer.
Les livres d'Eugène Savitzkaya sont difficiles à raconter. On les lit dans une fièvre poétique étrange, on ne sait pas où ils se déroulent, qui sont les gens, en général jeunes, qui les habitent. Ils sont d'une simplicité biblique, on ne comprend pas toujours ce qui s'y passe, mais il y est souvent question d'enfants, d'animaux, de plantes, de pierres, et des dangers du monde. La Folie originelle ressemble à une tragédie antique, dépouillée, les personnages sont des voix héroïques, élégiaques, le livre est comme une tentative polyphonique de décrire la détresse à l'état pur. La douce pourriture du monde. 

Monique Pétillon (Le Monde, 22 février 1991)

Les monstres de Savitzkaya
 
 En douze livres, publiés depuis quinze ans, Eugène Savitzkaya a imposé un univers insolite où des personnages à l'identité mouvante sont en affinité avec les éléments. C'est un monde fantasmatique où sont intimement intriqués minéraux, végétaux, animaux, êtres humains, et aussi l'ogre des contes. (…) La nomenclature lyrique de sensations exacerbées, souvent ambivalentes, fait osciller les textes de Savitzkaya entre horreur et douceur. L'attention se porte sur la peau, les rotules, les cheveux, les “ étranges et symptomatiques soubresauts (du) corps ”, mais aussi sur la poussière, les fruits, le vent. Il y a des plaisirs et des dégoûts, ressentis surtout par un odorat “ prodigieusement ” affiné. On pense à Rimbaud, aux “ Poètes de sept ans ” pour ce mélange de ferveur et de répugnance.
La Folie originelle : cette courte pièce de théâtre qui est plutôt une cantate à plusieurs voix est le résultat d'une commande. Quatre personnages ou “ créatures ” ont des noms, des traits, d'autres restent anonymes et sans “ qualité ” (“ Quelqu'un dont le visage n’est pas éclairé ”). Des indications liminaires suggèrent la présence d'oiseaux, d'objets, mais aussi de bruits et d'odeurs (“ glycine, roses, égouts, métallurgie, robiniers, frichtis ”) Les voix parlent d'un cataclysme, d'un tremblement de terre qui s'est abattu sur une ville, “ la ville formée d'air, de pierres, d'arbres et de gens ”. Des litanies distillent les saveurs et les peurs, convoquent un fabuleux bestiaire.
“ Qu’il soit dit. Qu'il soit écrit. Qu'il soit démenti. Et cela dans la même seconde.
L'herbe, la mousse, L’avoine, la nuit silencieuse, le visage si fragile dans ta pensée, le parfum des lilas en accord avec la glycine, la grande verrière, L’imposte, la chaise sur laquelle tu es assis, ton sexe, ta peau, ton âge, ton humeur, la colère de ta mère, les tuiles accrochées à la charpente et la charpente elle-même, la surface immobile du puits.
Que les monstres grandissent et fassent éclater les murs de leurs étables.
Aime les monstres que tu as nourris
. ” 

 




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