Romans


Eugène Savitzkaya

Au pays des poules aux oeufs d'or


2020
192 pages
ISBN : 9782707346001
17.00 €
20 exemplaires sur Vergé des papeteries de Vizille


Il était une fois un pays grand comme un continent que parcouraient deux voyageurs, un couple étrange formé d’une renarde et d’un héron, partis sur les traces d’une femme captive et à la recherche de la fée qui libéra les enfants du joug familial, des matrones et des maquereaux. Or, en ce pays lointain, les poules avaient disparu et les coqs s’étaient faits moines.

ISBN
PDF : 9782707346025
ePub : 9782707346018

Prix : 11.99 €

En savoir plus

Fabrice Gabriel, Le Monde, 19 juin 2020


Frédérique Fanchette, Libération, 8-9 février 2020

Les corneilles sont des commères indélicates. Tandis que les morts autour d’elles refont le monde, elles conversent sur le cycle de la vie et les chaînes alimentaires : «L’épinoche si avide de lombrics est mangée par la perche, le sandre ou le brochet. Et ces poissons voraces sont infiniment appréciés par la loutre, l’ours et le héron. Le héron est broyé par les dents du renard et ses plumes et ses os se retrouvent dans ses excréments que ne dédaignent pas les limaces ni les jolis hérissons.» Or, dans ce cimetière de la désertique région de Staraya Buda où les trépassés n’ont pas renoncé à la parole, deux voyageurs ont fait halte, un héron et une renarde justement. Ce sont les héros de ce roman, dont l’atmosphère est celle d’un conte russe, mais pas seulement. S’aimant d’amour tendre, ils cheminent, on ne sait pas où ils vont dans cette immense contrée, mais ils marchent vers l’est, on ne sait pas plus d’où ils viennent. Ils ont un dessein, semble-t-il : libérer une femme séquestrée par un despote, et qui de sa haute fenêtre donne à manger aux oiseaux des insectes nés de son corsage. Il y aura un autre captif à libérer : un esturgeon mâle retenu dans un vivier secret. Et beaucoup d’affranchis, des enfants retournés à l’état de nature et des femmes en fuite.
Soufflé à la citrouille
Une catastrophe a eu lieu : dès le début du livre, on assiste à une Genèse burlesque où un dieu autocrate aux oreilles trop sensibles décide de supprimer une source majeure de bruit, celle des poulaillers. Dans le pays des poules aux œufs d’or toutes les pondeuses ont alors disparu du jour au lendemain. Mais sans œufs, que faire ? Le conteur s’y connaît en cuisine : «Il était à peine concevable […] qu’on y fabriquât de la pâtisserie sans le moindre jaune d’œuf et qu’on n’y trouvât ni meringue ni mayonnaise et que la recette du soufflé à la citrouille s’y soit perdue depuis longtemps, que la mousse de saumon ou d’esturgeon n’y soit plus qu’un vague souvenir dans la tête des vieilles gens.» Le héron et la renarde ont parfois forme plus humaine qu’animale, cela varie. Et ils voyagent tout au long du roman, par télègue (une charrette basse à quatre roues très utilisée dans l’ancienne Russie), en train ou en bateau, sur une «mer» qui a tout du lac Baïkal, ou à pied. Elle porte un pantalon rouge, lui est en blanc avec un chapeau blanc à ruban noir et leurs silhouettes longilignes frappent l’imaginaire de ceux qui les ont vus. Ils sont passés par ici, ils repasseront peut-être par là, ils sont un picto, une ombre chinoise projetée sur un portail d’Odessa, des personnages d’une lanterne magique qui tourne d’un mouvement constant comme le périple immuable d’une péniche. Et pendant ce temps-là, le livre voyage aussi entre les genres littéraires, de conte russe il devient fable politique ou comptine enfantine.
«Couilles majestueuses»
Nos héros avec leurs rêves devant eux sont libres, comme ces enfants qui ont fui ces adultes ivrognes et ivrognesses, aliénés par un système aux mains de tyrans où l’on malaxe les crânes des nouveau-nés pour mieux en faire des majeurs abrutis. En quel temps est-on ? Après un parcours en télègue, conduite par le très tchékhovien petit père Grigoriévitch, on fait une incursion dans le monde contemporain. On croise des filles sauvages, ennemies des despotes et de leurs sbires, «qui entraient dans les riches cathédrales pendant les offices et chantaient à tue-tête, appelant la fin du tyran dont les couilles majestueuses sont parties en eau de boudin, avant de disparaître par les coupoles en éteignant tous les luminaires». Verdict dans le monde réel : deux ans d’emprisonnement en camp de travail pour vandalisme et incitation à la haine religieuse.
«Observe-les, lecteur volontaire», dans ce voyage l’auteur n’oublie pas celui qui lit ses lignes, lui promet qu’on en reparlera plus tard, le tient en haleine. Parfois, son récit, où l’on croise un pope peintre d’icônes dont le rêve final va avaler tous les personnages croisés, fait penser aux guides pour les pèlerins du Moyen Age, pleins de merveilles et de prodiges. On y sent aussi les échos d’une langue soviétique, faite d’hyperboles et de lendemains radieux. Mais Savitzkaya ne serait pas Savitzkaya s’il n’y avait pas des tombereaux de cruauté. Des femmes dépiautées de leur tendre peau, comme des proies de trappeurs, courent les rues, des menaces d’empalement pleuvent. Il n’empêche, l’avenir est à nous, semblent dire le héron et la renarde, personnages hautement poétiques qui rappellent le merveilleux hérisson perdu dans le brouillard du cinéaste d’animation russe Youri Norstein.



Lire l'article de Johan Faerber dans Diacritik, 3 mars 2020


Lire l'article d'Hugo Pradelle "Un conte puissant", En attendant Nadeau, 27 mars 2020


 

 




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