Romans


Eugène Savitzkaya

En vie


1995
128 pages
ISBN : 9782707314987
18.00 €
50 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


Il y a un jardin au milieu d'une ville. Au milieu du jardin est bâtie une maison. Il y a du bruit et des odeurs : la maison est habitée. Les habitants de la maison vaquent à leurs occupations. Les tâches sont nombreuses et très variées. Il faut réparer les vêtements et la maison elle-même qui, comme la plupart des maisons, menace de tomber en ruine. Il faut préparer les repas et manger. Il faut balayer et nettoyer. Sitôt nés, les enfants grandissent. Lorsqu'elle est pleine, on sort la poubelle. Après la nuit vient le jour. Au jour succède la nuit. Après l'automne vient l'hiver. Les vêtements s'usent. Les cheveux vieillissent et redeviennent très fins et très doux. On cuit des légumes verts dans l'eau bouillante. Le sel est à sa place.

ISBN
PDF : 9782707331236
ePub : 9782707331229

Prix : 12.99 €

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Patrick Grainville (Le Figaro, 16 février 1995)

Le fantastique au quotidien
 
«“ Commençons par ne parler de rien, nous finirons par tout dire. ” Tel est le programme vagabond d'Eugène Savitzka qui compose ici une manière traité de la vie immédiate et du bonheur. Il raconte l'histoire d'une maison, d'un jardin, d'un couple, d'une famille. Histoire des jours, des objets, des outils, des nourritures, des travaux quotidiens. Histoire du temps qui nous mange doucement dont il faut sans cesse évacuer le déchet. On pense un peu à Jean Jacques Rousseau jardinant aux Charmettes auprès de Mme de Warens. Parfois c'est plutôt zen, quand la sagesse consiste à accepter le moindre contour des heures.
La vie quotidienne n'en reste pas moins un combat contre l'usure, les fissures, les ruines. L'instinct de vie ne cesse d'épousseter tout ce qu'il perd en route. Cette radiographie de nos gestes cache sa philosophie et sa métaphysique. Eugène Savitzkaya nous suggère qu'en bout de course les carottes seront cuites ! Mais c'est la loi du monde. Peu à peu, un couple se dessine. Lui, c'est l'homme qui siffle, il a la réputation de jeter l'argent par la fenêtre. Sa compagne, sa fiancée est “ celle qui connaît la place de chaque chose ”. Ils sont entourés d'enfants : Marin, Louise, Carine. On devine pourquoi ils ont atterri là. Le narrateur est sans doute écrivain. Entre ses mille boulots domestiques, il se retire dans son bureau pour écrire. Jamais sûr de son coup. Il est venu à la campagne pour oublier, attendre des événements extraordinaires. Cette attente peut paraître contradictoire tant ce bouquin distille le culte du moment, L’art d'aimer chaque chose minuscule. Attendre l'écriture, le livre futur ?... Attendre que cesse l'attente. S'épanouit le désir de se soumettre au temps, de coïncider avec les maillons de son écoulement. Mais dans le même moment se livre un combat épique de fourmi qui résiste... Notre homme scie, sarcle épluche, nettoie, tronçonne des bûches pour chauffer la famille. Il adore repasser, “ il blasonne ” dans un silence majestueux. “ Il polit une feuille d’or ”. Il fait la vaisselle, bercé par “ cliquetis, chocs et chuintements presque toujours mélodieux ”.
Écoutez la vie entre ces lignes, son brouhaha léger, sa rumeur de souris ! L'homme nettoie les vitres d'une véranda dans le soleil du soir. Car le réel sordide recèle des trésors de beauté concrète. Il suffit de pisser du haut d'un balcon au clair de lune. On fait vibrer une harpe d'or, jambes écartées “ dans une radieuse pose tantrique ”. Manger du poisson, puis du poulet, c'est absorber l'âme de l'eau, c'est mâcher ce hachis de vermine tellurique qui rend si blanche la chair des poules.
La maison a ses rats, son duvet de poussière, ses cloportes... Elle est une oasis d'odeurs. “ L’odeur du bois mouillé est une odeur de taudis, de navire naufragé et de maison en ruine. ”
Souvent le récit quotidien dévie, bascule dans l'hallucination légère, L’enchantement d’un conte. Le fantastique se glisse dans la banalité... L'éloge de la cuiller déclenche des variations multiples sur notre oralité puérile.
Ailleurs, la couleur des vêtements portés par le couple et les enfants engendre un chatoiement de nuances qui fait songer aux arabesques d'Aragon dans Le Paysan de Paris. Car ce texte est plein de virtuosité. Depuis trente ans notre littérature tâcheronne et puritaine a tendance à condamner la trouvaille de style. La palme va à la litote fantôme, au régime sec, au minimalisme ironique ou à l'amidon monastique. Eugène Savitzkaya, tout en se confinant dans les limites de sa maison, de ses recoins rustiques, ne s'interdit aucun méandre, aucune luxuriance.
C'est l'homme des saveurs, des couleurs, des dérapages émerveillés. Mais l'invention n'est jamais bavarde ou gratuite, elle capte dans le tissu des choses, les moirures de la vie et de la mort si bien que cette chronique d'un retirement s'ouvre sur l'univers entier, le ciel, le vent, la terre, le carnaval, L’alchimie des matières. En Vie oui... écoutez, contemplez la vie, ce grignotement universel qui marie sérénité, sensualité et destruction lente et sûre. »

Michel Paquot (La Cité, 9 février 1995)

Eugène est à la maison
Dans En vie, son nouveau livre au titre si juste, Eugène Savitzkaya évoque son existence au fil des saisons dans sa maison juchée sur les hauteurs de Liège. Et nous propose un autre regard sur la vie.
 
« Quelque part ,vers la fin de son livre, L’auteur note que, “ pour échapper à la fièvre de l'existence, il suffit d'attendre qu'elle passe, l'existence ”. En vie, le huitième “ roman ” du Liégeois Eugène Savitzkaya, c'est cela : L’observation du passage des jours et des saisons par un homme retiré dans son antre de travail, une vieille demeure cabossée cernée par un jardin s'élevant le long d'une rue pavée et pentue, en face d'une voie ferrée et en contre-bas de l’autoroute Liège-Bruxelles. Ce reclus sédentaire écrit, c'est son métier. Et quand il n'écrit pas, il se met en disponibilité d'écriture – “ Je me retire dans mon bureau qui n'est séparé que par une porte mince du reste de la maison, je m'assieds – est-ce déjà une erreur préalable ? – je prends une feuille, et advienne que pourra dans le laps de temps que je me suis accordé ”. Et quand il n'est pas dans son bureau, il est ailleurs, dans la maison ou dans le jardin.
Ce vrai-faux roman autobiographique dont les personnages principaux, et quasiment exclusifs, sont la “ fiancée ” et les deux enfants d'Eugène, Louise et Marin, ne pouvait être écrit que par un écrivain riche d'un véritable style et d'une intelligence aiguë de regard. Éplucher les pommes ou préparer le chou-rouge, laver le plancher ou repasser des chemises, recoudre un bouton ou faire la vaisselle, couper du bois ou traiter un poirier mort donner le bain aux enfants ou prendre le repas autour de la table familiale sont autant de faits et gestes qui, sortant de leur automaticité, de leur banalité, voire de leur quotidienneté, acquièrent un statut quasi épique. Ils prennent, par la littérature, une dimension qui les révèle dans ce qu'ils ont de caché, de retenu, d'intériorisé.
L'écriture de Savitzkaya est d'une fluidité, d'une limpidité qui s'inscrit dans un tracé entamé il y a deux ans avec Marin mon cœur. La beauté et l'émotion qui germent de ces phrases racontant le ciel et la terre, les odeurs et les humeurs, les cris et les silences sont les fruits d'un travail sur la langue, sur la phrase et sur le choix du mot juste qui font de ce livre... le plus lisible de son auteur ? C'est à voir car derrière la simplicité première du texte, se dessine une philosophie de vie inscrite résolument à contre-courant. “ Pensez donc, un homme dans la force de l'âge que l'on rencontre à n'importe quelle heure du jour ! ” sourit l'écrivain.
En vie nous propose une vision absolument anticonformiste de l'existence en regard d'une société incapable de sortir de l'alternative travail/chômage, qui a fait du premier non pas un moyen mais une fin en soi, et où se voit accusé de ne “ rien faire ” celui qui n'est pas directement rentable, qui prend le temps de regarder le ciel, qui profite autrement, et pleinement, de la vie. Dans l'existence quasi autarcique qu'il mène sur les hauteurs de sa ville natale – “ On ne peut pas vivre que dans la clarté ” –, Eugène Savitzkaya reste toutefois relié aux bruits et mouvements du monde. “ J'accepte le transistor, les chansons idiotes et j'en supporte la bêtise, note-t-il, Je suis lié à celui qui, dans la nuit, siffle pour appeler son chat et à celui qui crie dans son jardin. ” Je suis attaché aux autres par des liens si confus et si emmêlés que je n'arrive pas à les identifier ” précise encore le poète. “ Chacun ne devrait jamais ignorer qu'il se trouve au milieu du mouvement général. ” Et de conclure son récit par cette belle phrase qui le résume tout entier : “ Il nous faudra bien vivre, mais personne ne nous y oblige ”. »

 




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