Romans


Hélène Lenoir

Son nom d'avant


1998
224 pages
ISBN : 9782707316486
13.15 €
30 exemplaire numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille
* Réédition dans la collection de poche  double  n°16


Quand elle le voit pour la première fois, c’est dans un autobus : son regard impitoyable entrant en elle, juste avant qu’il ne descende ; quelques secondes encore avec la vitre entre eux. Et puis rien.
Les circonstances dans lesquelles ils se revoient par hasard vingt ans plus tard ne leur permettent pas de s’approcher l’un de l’autre et sans doute en resteraient-ils là si cela ne tenait qu’à elle, devenue entre-temps épouse de notable et mère de trois enfants. Mais lui, maintenant, il veut quelque chose.

ISBN
PDF : 9782707326478
ePub : 9782707326461

Prix : 6.49 €

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Jean-Baptiste Harang (Libération, 15 octobre 1998)

L'œuvre à Lenoir
Son nom de jeune fille réveille et révèle chez l’héroïne celle qu’elle aurait pu ou dû être. Quatrième roman d'Hélène Lenoir.
 
« Hélène Lenoir écrit dans sa langue d'avant. Le français. Depuis près de vingt ans, elle vit dans une autre langue, l'allemand, près de Francfort, dans une petite ville où elle enseigne le français à des adultes volontaires. Vingt ans séparent l'héroïne de Son nom d'avant de son nom d'avant, de son nom de jeune fille. Hélène Lenoir écrit dans sa langue de jeune fille, elle la choie, la chérit, la fourbit, la cajole, la sert et s'en sert, lui fait dire tout ce qu'une langue peut dire pour ne jamais s'oublier.
L'héroïne s'appelle Britt, c'est son prénom de toujours, même si le lecteur doit attendre la page 62 pour le découvrir. Avant, ce n'était pas nécessaire, ce n'était peut-être même pas possible, rien n'était décidé pour savoir qui elle est, l'écriture assouplie la cherchait dans les pages, dans le paysage, comme une caméra un peu folle qui ne sait pas sur quelle focale danser, de trop près à en devenir gênante, de trop loin à la perdre de vue. La première partie du livre, virtuose, balaie le décor d'une avenue et, même si la première phrase (“ Elle attend toute seule à l'arrêt d'autobus ”) montre, dès l'abord, celle qui se révélera Britt, la plume s'attarde sur mille détails sans hiérarchie de valeur, sans se décider à faire le point sur une image avant de filer vers l'autre, embrasse toute l'avenue, puis, d'un coup, vient en gros plan sur le fond d'un cendrier de bistrot où s'écrase une cigarette, sur la reproduction “ d'une étiquette ovale beige portant le nom Schmucker sous un médaillon dans lequel on distingue le buste d'un homme très flou, très petit, un quaker, pense-t-elle en le recouvrant de cendre ”, page 15.
La jeune femme prend vite le devant de la scène sans chercher à l'occuper, “ elle a l'air de s'en foutre ”, un homme l'entraîne au café, puis, dans un escalier d'immeuble où il l'invite à tâter de sa virilité. Ils sont dérangés par une habitante et ne se reverront jamais plus. La jeune femme prend l'autobus où un homme “ la regarde durement, cherchant à la pénétrer, à enfoncer en elle le pieu d'un mépris, peut-être d'une haine dont elle se protège avec colère ” , page 33. Ils n'échangent pas un mot, mais ceux-là se reverront à la toute fin du livre. Cette première partie, quand Britt n'avait pas encore de nom d'après, est une manière de chef-d'œuvre.
La deuxième partie, le gros du livre, offre au lecteur tous les registres d'écriture qu'Hélène Lenoir maîtrise avec démonstration depuis son premier livre : monologues intérieurs, dialogues, description distancée, journal intime d'une petite fille (d'une touchante justesse et cruauté), au service d'une satire efficace de la famille chrétienne bourgeoise. Vingt ans plus tard, Britt est mariée, mère de trois enfants, on sait son nom d'après, épouse Casella, bonne de luxe de la famille, mari chef d'entreprise, beau-père impotent et tyranneau, lignée de fils aînés dressés à reprendre la direction des affaires, beau-frère vaguement amant, le tout parfaitement mis en scène et un peu convenu.
À l'occasion des cérémonies de la communion du petit, une ombre passe et se nomme, Johann Samek, c'est l'homme du bus, il est photographe, elle ne le reconnaît pas, il la reconnaît. Il veut seulement savoir “ son nom d'avant ”. On ne dira pas vers quelle sortie s'ouvre cette troisième et dernière partie du livre qui ne se referme sur aucune certitude. Britt Ardell, c'est son nom d'avant, reçoit une secousse violente de ce retour du passé qui réveille la femme qu'elle aurait dû ou pu être et qu'un renoncement à elle-même, une indolence devant la décision, une résignation à n'être que “ la femme de ”, avaient évanouie. La secousse la jette éperdue et perdue face à elle-même, libre et désemparée, l'image enfin vivante d'un très beau portrait de femme sorti d'un flou savamment élaboré dans le bain de révélateur du photographe. »

Jean-Claude Lebrun (L'Humanité, 28 août 1998)

Hélène Lenoir invente un nouveau chemin de l'intime
Une réclusion sans barreaux
Hélène Lenoir publie, depuis 1994, des livres dans lesquels le banal se drape d'étrangeté. Du quotidien s'y reconnaît, à la fois proche et mis à distance, en une nouvelle façon d'explorer les voies de l'intime. Avec
Son nom d'avant, elle nous propose l'un des livres qui, parmi ceux déjà lus dans l'offre une nouvelle fois pléthorique de la rentrée, se distinguent nettement du lot. Par la vision acérée, d'une prenante beauté, d'un milieu mortifère et d'un ego nié. Une façon neuve de dire un monde à travers l'intime.
 
« Au bout de quatre romans, il n'est plus guère possible d'en douter : Hélène Lenoir fait partie du petit nombre des écrivains qui savent porter leur regard derrière l'apparente normalité du quotidien, pour y débusquer des histoires refoulées et des malaises enfouis à longueur d'existence, par des figures en lesquelles chacun peut retrouver une part de soi. Avec une minutie chirurgicale – acuité et vivacité du regard, précision et promptitude du geste –, son écriture met à nu, débride et démêle, afin de circonscrire les points d'inflammation où viennent se concentrer les humeurs douloureuses de l'âme. Une limpidité extrême, quand il s'agit justement de dire l'opacité en nous-mêmes. Avec, au terme de l'opération, une sensation de total remuement.
Cela commence par un long panoramique, au long d'une rue d'une ville de province. Il y a là notamment une place Stanislas et des réclames pour une bière du pays. Dans une sorte de lenteur affectée, l'objectif s'est d'abord attardé sur une jeune silhouette en imperméable, vue de dos, à un arrêt d'autobus. Ce n'est que beaucoup plus tard, presque à la fin du récit, qu'on en saisira la raison : chez Hélène Lenoir, la gratuité du détail n'existe pas. La scène s*est poursuivie par l'apparition d'un motocycliste passant devant la jeune personne, puis s'arrêtant et revenant dans sa direction. Le plan continue jusqu'à la terrasse d'un café. On voit l'homme d'âge mûr et la demoiselle face à face à une table, dans une transaction d'apparence compliquée. On les distingue ensuite l'un contre l'autre dans l'obscurité d'une cage d'escalier. L'épisode depuis le début semble avoir été suivi par un opérateur qui en a filmé de loin les gestes sans pouvoir en capter les paroles. Comme laissant au spectateur le soin de les deviner. Mais aussi nimbant cette suite de menus événements d'un halo d'étrangeté. Dans cet exorde à la singulière beauté plastique, où glisse quelque part l'ombre du Nouveau Roman, Hélène Lenoir donne immédiatement toute la mesure de son talent : fluidité, jeu sur les plans et les temps, le net et le flou, arrêts sur image, détails typiques du quotidien enregistrés comme en passant, retours obsessionnels, d'apparence énigmatique, sur des objets ou des noms présents à la ronde... Elle nous projette alors sans crier gare, vingt ans plus tard, dans une villa de maître, au cœur d'une famille de la haute bourgeoisie locale. Un patriarche impotent gardé là – ce serait pour lui déroger que de finir à l'hôpital – exerce depuis son fauteuil une sourde tyrannie. Mais, ce jour-là, il lui faut faire bonne figure : l'un des quatre enfants de la maisonnée fait sa communion solennelle. La parenté proche est évidemment attendue. Cependant, la fête tourne court : aux amabilités forcées et aux sourires doucereux ont bien vite succédé les aigreurs et les rancœurs accumulées par les uns et les autres. Au milieu de toute cette bile on découvre la maîtresse de maison, tancée de haut par son époux, qui est aussi le chef du clan, serrée de très près par un beau-frère égrillard et grincheusement requise par l'aïeul, sous le regard “ de rage, de haine, de mépris ” de son plus jeune fils. Le tableau est virulent et ne laisse aucun doute sur le rôle de “ potiche sans désir, sans mémoire ” dévolu à cette femme. Des nervosités, des malaises, de soudaines poussées de cris irréfrénés dénotent en elle, aux yeux de tous, une déplorable fragilité qui pourrait bien être lue comme le signe d'une folie naissante. Impitoyablement, Hélène Lenoir établit le relevé clinique de ce cercle à la tranquille monstruosité, qui enjoint à l'épouse de perpétuer la descendance masculine de la maison – il y a là beaucoup d'argent et de pouvoir – et, pour le reste, de se taire en affichant une attitude “ soumise, admirative, confiante ”. Rarement l'on aura exploré avec une telle scrupuleuse précision le lent étouffement domestique d'une femme. Ni sa dépossession corporelle : doigts secs du vieillard agrippant son bras, mains fouilleuses du beau-frère, assauts sans tendresse du mari jusqu'à la naissance du premier héritier mâle, indifférence et mépris des enfants. Ce morne enfer familial, commandé par le souci d'augmenter et de pérenniser la fortune acquise, pourrait bien n'être que la figure romanesque d'un plus vaste ensemble, dans lequel pareillement l'humain se trouve nié. Sans se présenter jamais comme prépondérante, la piste de lecture est en tout cas laissée ouverte. Quelques semaines après la “ fête ”, la femme reçoit par la poste deux clichés d'un photographe, avec lequel son mari négocie une action de mécénat. Manière pour lui d'associer à des avantages fiscaux une images rénovée de son entreprise. La ligne critique, chez Hélène Lenoir, ne se relâche pas un seul instant. Sur les images déjà anciennes on peut apercevoir, debout de dos, un personnage d'allure jeune, vêtu d'un imperméable... Quelque chose, dans les “ années de brouillard ” jusque-là vécues par la femme, se troue alors. Un regard brièvement aperçu à l'époque, à la descente d'un bus, refait surface dans sa mémoire. Comme si, en tournant la tête ainsi que l'y invitent ces photos, une ancienne croisée des chemins, une échappatoire à l'enfer bourgeois depuis deux décennies enduré se laissaient maintenant deviner. Et comme si, sous le nom marital, pouvait réapparaître un nom d'avant foulé aux pieds jusqu'à l'amnésie, avec une autre possible histoire devant soi. À la condition toutefois de pouvoir enfin éprouver et dire les choses à la première personne. De n'être plus cet objet livré au désir des autres : possessif et avilissant, comme celui de l'inconnu à moto, il y a vingt ans de cela; exigeant et étouffant, comme celui de la famille aujourd'hui. Avec entre les deux des différences finalement minimes : les formes mises, les cadres proposés. Hélène Lenoir invente ici un nouveau chemin de l'intime, qui repousse loin en arrière le vieux psychologisme. Ouvrant une multitude de portes dans une extraordinaire économie de la parole. Et haussant tout cela à la beauté unique d'une œuvre qui devrait compter en cette rentrée littéraire. »

Bertrand Leclair (Les Inrockuptibles, 2 septembre 1998)


Le code de la famille
La vie de couple est une guerre de tranchées impitoyable qui réclame sa victime. Hélène Lenoir fait de cet affrontement le laboratoire de son écriture, d'une extrême lucidité.
 
« Atypique et méconnue, Hélène Lenoir poursuit au quatrième livre la construction d'une œuvre dont on voit bien, désormais, qu'elle s'installe dans une durée qui excède les rituels saisonniers du milieu littéraire. C'est une œuvre tout à la fois simple et difficile, simple par sa limpidité d'écriture et difficile par le choix ardu auquel elle se tient d'une littérature qui n'aurait pas renoncé à l'analyse psychologique sans céder pour autant à l'emploi d'aucun de ces clichés romanesques à l'aide desquels tant de romanciers convenus bâtissent leurs personnages comme autant de jolis châteaux de sable que la prochaine rentrée littéraire balaiera en poussières d'oubli. C'est qu'à rebours de la grande confusion actuelle entre romanesque et psychologie, Hélène Lenoir est sans doute le seul écrivain français à s'être forgé une langue suffisamment précise, souple et ample pour s'inscrire dans le prolongement de Nathalie Sarraute : la seule à reprendre à son compte cette volonté têtue de s'arracher à l'ère du soupçon sans renoncer à l'analyse, à l'exploration lucide des arcanes du langage.
Modeste en apparence, elle a l'ambition folle de s'enfoncer un peu plus loin encore dans cette vaste terra incognita, à laisser venir sur la page la langue du trouble intérieur jusque dans ses brisures et ses méandres, s'autorisant les coupures en milieu de phrases pour mieux faire jaillir l'implacable continuité des mouvements de pensée. Car le discours intérieur n'est jamais linéaire, il tourbillonne en fulgurances trop rapides pour que la conscience s'en saisisse, et c'est ce tourbillon souvent paranoïaque qu'Hélène Lenoir tente d'atteindre. Il y faut du souffle et savoir multiplier les chambres d'échos pour y piéger le sens au long de phrases suffisamment maîtrisées pour s'étirer sans faiblir, parfois, sur plusieurs pages.
Optant toujours pour des sujets ténus, à peine existants, qu'elle met en place et observe comme le scientifique braque son microscope sur un prélèvement où chercher les lois qui régissent l'ensemble d'un organisme, elle parvient ainsi à montrer comment les bouleversements les plus infimes en apparence peuvent provoquer une rupture définitive à l'insu même de celui qui en est l'objet.
L’argument de Son nom d'avant peut d'ailleurs se résumer en trois lignes, au risque de sembler caricatural : un photographe retrouve par hasard une femme qu'il avait aperçue vingt ans plus tôt dans un autobus, à l'issue d'une scène de rue dont elle était l'actrice involontaire et impudique ; elle est devenue entre-temps mère de trois enfants et femme d'un industriel qui a pris la succession de son père comme celui-ci l'avait fait avant lui et comme leur fils aîné est appelé à le faire. Prise dans les rets du discours familial qui lui assigne la place de domestique au foyer, elle aussi a reconnu l'homme dont le regard impitoyable, presque méprisant qu'il lui avait lancé vingt ans plus tôt, la hante de nouveau, comme s'il avait le pouvoir de l'arracher à la tempête de mots dans laquelle elle se débat comme l'avait fait avant elle sa belle-mère, au nom d'un improbable bonheur familial et au prix d'un renoncement à toute vie intérieure.
Elle lutte désespérément contre la fatalité des discours verdis d'amertume qui se répètent ainsi de femme en femme, échos figés des discours de maris obtus et cyniques. De génération en génération, la vie familiale se révèle une guerre de tranchées impitoyable, jusqu'à ce que s'ensuive la mort symbolique de l'un des deux époux ; les enfants y deviennent bientôt des armes autant que des otages, et les mots, le vitriol qu'on se jette au visage pour modeler sur l'autre le masque qu'on attend qu'il revête aux yeux de tous, aussi hideux deviendrait-il dans l'intimité. C'est ainsi qu'au plus ténu de la fiction, au plus banal du quotidien larvaire de notables de province qu'elle décrit, Hélène Lenoir atteint avec une violence extrême à la dimension tragique, universelle, de la séparation, où chacun tente de survivre dans ses mots. Et c'est très beau. »

Pierre Lepape (Le Monde, 18 septembre 1998)

Nouvelles des profondeurs
 
« (…) L'intrigue de Son nom d'avant ferait un bien mauvais scénario de cinéma ou un scénario de mauvais cinéma. Scène d'ouverture, très cinéma français des années 30 : une jeune fille attend l'autobus. Autour d'elle, les mouvements habituels de la ville qui s'éveille, l'ordinaire du matin, la lumière de l'aube, la fleuriste, les bistrots, l'armurier, le camion-benne des éboueurs, une petite vieille avec son chat. Un homme s'approche de la jeune fille et lui parle. Sans doute lui fait-il une proposition, car après avoir hésité, elle le suit. D'abord au café puis dans le couloir d'un immeuble où elle commence à subir ses caresses de plus en plus précises et insistantes. Leurs ébats sont interrompus par la vieille au chat. La jeune fille s'échappe, attrape son bus. Dans le bus, un homme la regarde, avec insistance, avec reproche, comme s'il avait tout vu, tout compris. Cela dure quelques secondes, puis l'homme descend. Fin de la séquence.
Vingt ans plus tard, nous sommes dans un autre film, genre saga familiale chez les grands bourgeois. La vie de château, le mari industriel et tyran domestique, son père, le vieux chef du clan, dont le déclin suscite de sordides querelles de succession, une ribambelle d'enfants dorés et elle, la jeune fille d'autrefois devenue l'épouse à tout faire, la Bovary blême et dépressive de ce petit enfer douillet, amante furtive et sans amour de son beau-frère, soumise, langoureuse, totalement effondrée de l'intérieur; achetée, honteuse de l'être et certaine de n'avoir jamais la force d'échapper à sa honte. Jusqu'à ce qu'un jour, par hasard, l'homme de l'autobus réapparaisse et parvienne à la secouer de sa torpeur. Pour la première fois, la jeune femme va prendre sa vie en main et décider de quelque chose.
Son nom d'avant est le roman de cette naissance. Une naissance à soi qui se paie évidemment d'une grande part de mort. Pour retrouver son nom d'avant, pour renouer avec la jeune fille pauvre et désemparée qu'elle a été, pour retrouver la fragile identité perdue, Britt, l'héroïne, doit tuer tout le reste, se dénuder de vingt années de son existence. Elle ne peut naître qu'en disparaissant. Pire encore, elle doit revivre sa propre mort, accepter de retrouver le regard de l'homme de l'autobus, revivre ce moment où elle est morte de honte. La naissance n'est pas une aube glorieuse, une promesse d'avenir, c'est le fruit d'un douloureux et secret travail du deuil, un obscur retour en amère, vers on ne sait quoi de nu et d'angoissant.
Hélène Lenoir est l'une de nos meilleures romancières d'aujourd'hui. À la fois forte et subtile. Ses trois premiers romans (La Brisure, 1994, Bourrasque, 1995 et Elle va partir, 1996) montraient l'étendue de son registre, l'originalité de sa recherche romanesque, son pouvoir d'analyse et d'émotion. Dans Son nom d'avant ces qualités littéraires se conjuguent avec une parfaite simplicité de l'expression. Comme si le choix des mots, le rythme de la phrase, l'aller et retour des dialogues avaient trouvé sans peine leur juste place, leur dessin exact. Le roman présente une surface parfaitement calme, faite de lignes soigneusement ordonnées, presque froides. Et cette expression paisible, prosaïque nous tire, comme par mégarde, vers les gouffres de l'angoisse, de l'irrésolution, de la perte de soi et de la plus extrême violence des sentiments. Comme si nous pouvions être bouleversés sans avoir été touchés. Le sentiment sans la vulgarité du sentiment : Flaubert aurait adoré. »

Michèle Gazier (Télérama, 16 septembre 1998)

Un bus nommé désir
Hélène Lenoir. Ni coups de théâtre ni fioritures, mais la juste distance au service d'une écriture précise.
 
« Acte I : scène de rue, le matin. Une toute jeune fille, “ on lui donnerait à peine vingt ans ”, attend le bus. La fleuriste envahit le trottoir de ses pots et de ses bouquets, un homme passe à moto, repère la jeune fille, l'interpelle, l'invite à prendre un café, la drague. Vaguement consentante, elle commence par le suivre puis s'échappe : l'autobus est arrivé, elle monte dedans. Là, un autre homme la dévore du regard. Il l'a vue, flanquée du motard. Il a été frappé par sa mollesse à le fuir. Il est jaloux de l'aventure brève qu'il devine. Il ne l'oubliera jamais. Rideau.
Acte II : la même, vingt ans après. Dans une maison bourgeoise, alors que la famille se prépare à la fête, elle est excédée, épuisée et tente d'échapper aux assauts de son beau-frère, dont on devine qu'il est ou fut son amant. Non loin, son jeune fils, un petit garçon tranquille, a assisté à la scène. Il se tait. La femme est à bout de nerfs. Sa vie l'accable. Elle est la servante d'un seigneur qui régente tout : entreprise, famille, vies d'autrui. Elle craque.
Acte III : par hasard, elle croise à nouveau le regard et le chemin de l'homme du bus, qui, depuis ce lointain matin, n'a cessé de penser à elle sans jamais chercher à la retrouver. Il n'en fallait pas davantage pour que, telle la Belle au bois dormant sous le baiser du prince, elle se réveille du long et noir sommeil de sa vie conjugale. Sous la femme soumise et mariée au chef d'un clan de province survivait donc la jeune fille légère d'hier. Celle qui portait un autre nom, Son nom d'avant...
Hélène Lenoir, qui signe là son quatrième ouvrage, est un auteur de grand talent. Comme Flaubert, dont elle a hérité la rigueur langagière, l'exigence et le goût de l'épure ; comme Nathalie Sarraute, avec laquelle elle partage ce don d'observation, cette manière précise de coller au réel et de le transcender, elle ne s'embarrasse pas du lourd appareillage du roman romanesque. Chez elle, pas de coups de théâtre, de grands éclats, de gesticulations. Pas d'envolées lyriques, d'effets de style, de fioritures, de surcharge. Rien que le muscle fin d'une écriture qui dit avec exactitude et précision ce qu'elle veut dire sans jamais outrepasser son rôle extérieur de narratrice. Car la force, la violence de ce récit tient tout entière dans la juste distance que la romancière établit entre elle et son personnage. Elle la suit, l'observe, la cadre, l'accompagne, comme le ferait une caméra. Sans jamais prétendre en savoir plus que ce que l'on peut voir en étant un simple observateur.
Mais il y a des manières différentes de regarder, de filmer. Vision panoramique du premier chapitre qui balaie le décor et les personnages ; plans serrés des assauts sexuels ; plans larges et moyens du triste quotidien ; caméra-stylo des moments plus intimes. La conversation téléphonique entre l'homme du bus et la femme, qui se parlent pour la première fois, vingt ans après leur première et silencieuse rencontre, est une merveille de simplicité et d'émotion.
Rien ne retenait madame Bovary, qui se suicidait à la fin du roman de Flaubert. Un siècle et demi plus tard, en redécouvrant, derrière l'écran opaque de son nom d'épouse, “ le nom qu'elle portait avant ”, l'héroïne d'Hélène Lenoir sort de sa léthargie et puise dans cette identité la force d'exister. »

Marie-Laure Delorme (Le Journal du Dimanche, 6 septembre 1998)

Hélène Lenoir et son style battement de cœur
 
« Son nom d'avantest une magnifique réflexion sur l'engloutissement de l'âme par le passage du temps. Que dire de Britt, le personnage principal ? Mariée, elle est moins aimée. Mère, elle est moins entourée. Riche, elle est moins libre. Les années écoulées ont fait de son existence une montagne de sable prête à s'écrouler au moindre coup de vent. Alors, c'est dans ce qu'elle a été qu'elle va découvrir ce qu'elle veut être (…). Comme on rebrousse chemin dans l'espoir de retrouver un objet perdu, Britt part en quête d'elle-même. Au bout, il y a l'espoir d'offrir sa vérité à l'homme aimé. »

 




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