Romans


Claude Simon

Le Tramway


2001
144 pages
ISBN : 9782707317322
99 exemplaires numérotés sur Velin des papeteries de Vizille
* Réédition dans la collection de poche double


Un tramway relie une ville de province à la plage voisine, distante d’une quinzaine de kilomètres. Aux heures matinales, il fait accessoirement office de ramassage scolaire. Ses allées et venues d’un terminus à l’autre entre les ondulations des vignes ponctuent le cours des vies, avec leurs menus ou cruels événements. Les lieux où se déroule l’action sont principalement le bord de mer, une maison de campagne, la ville qui peu à peu se modernise, un court de tennis. Dans sa fragilité, la vie s’acharne par ailleurs à poursuivre son cours à travers les dédales des couloirs et des pavillons d’un hôpital, et d’infimes coïncidences amènent parfois les deux trajets à se confondre.

ISBN
PDF : 9782707325938
ePub : 9782707325921

Prix : 5.99 €

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Fabrice Gabriel (Les Inrockuptibles, 27 mars 2001)

« Claude Simon a onze ans. Il porte l’uniforme du collège Stanislas, à Paris, et prend la pose comme un petit monsieur. La chevelure abondante, les mains derrière le dos, il fixe un point hors champ et son regard clair, d’une rondeur douce, semble tendu vers un ailleurs calme, un avenir incertain.
La photo n’est pas précisément datée, mais elle a dû être prise en 1924.
C’est cette année-là que meurt la mère. Le père, l’enfant ne l’a pas connu : il est mort au champ d’honneur, dès les premiers mois de la Grande Guerre. Regardons le portrait de plus près : Claude Simon porte en effet un uniforme, mais c’est plutôt celui d’un prisonnier. Il a vingt-sept ans, le temps a-t-il passé ? Le même regard clair, le crâne déjà plus ras, et la guerre pour seul ailleurs, cette fois. C’est une photo d’adulte et d’Allemagne, avec pour toute légende un numéro de stalag – 28982. Une date, 1940, et comme une force roide dans l’expression du visage, presque un défi à l’objectif. Claude Simon a aujourd’hui quatre-vingt huit ans, et c’est encore la même photo. Nous sommes en 2001, le temps n’a pas passé : l’homme est chauve et droit, il a pour uniforme un blouson de cuir sur un pull confortable, de la raideur et des rides. Ses décorations littéraires pourraient être des prix scolaires, des médailles militaires. Nouveau Roman, colloques et conférences, discours de Stockholm et canonisation universitaire. C’est l’éternel bon élève, le Nobel qui sourit peu, le grand écrivain qu’on ne lit pas. Voilà pour les clichés : l’enfant orphelin, le soldat capturé, le romancier couronné en 1985 par une Académie suédoise. On pourrait ajouter : le témoin de la guerre d’Espagne, le signataire du Manifeste des 121, le viticulteur de Salses.
Tous ces visages sont si indissociablement liés, si terriblement figés qu’on éprouve comme une lassitude à répéter, une fois encore, qu’il y a autre chose derrière le portrait du grand homme statufié. De la vie, simplement, et la force sensuelle d’une écriture d’abord physique : matière et mouvement, auxquels il n’est pas si difficile de se laisser aller.
Le Tramway devrait y inviter : c’est un livre du souvenir, qui s’achève sur le mot “ mémoire ” après des détours multiples par l’enfance passée et l’hôpital du présent. C’est un livre de mort, si l’on veut, mais aussi un roman du départ, dont les rails obéissent au titre pour figurer l’ellipse d’une vie. L’auteur y retourne à la ville de ses premières années, Perpignan, dont le tramway sert de métaphore à un voyage singulier. Reliant la cité à la plage, la machine se met en branle dès les premières pages et suggère bien vite les allers-retours de la phrase entre les images d’autrefois et la chambre d’aujourd’hui, où veille un vieil homme malade qui se remet d’une opération et se sent plus que jamais en “ transit ”…
On ne peut alors s’empêcher de penser à ce qu’écrivaient Deleuze et Guattari au début de Qu’est-ce que la philosophie ? : “ Il y a des cas où la vieillesse donne, non pas une éternelle jeunesse, mais une souveraine liberté, une nécessité pure où l’on jouit d’un moment de grâce entre la vie et la mort, et où toutes les pièces de la machine se combinent pour envoyer dans l’avenir un trait qui traverse les âges : Le Titien, Turner, Monet. ” Ne nous pressons pas trop d’y ajouter le nom de Claude Simon : il est sans doute le plus grand peintre vivant de la littérature d’aujourd’hui. »

Pierre Lepape (Le Monde, 30 mars 2001)


« Depuis soixante ans et une vingtaine de livres, Claude Simon écrit et réécrit sa mémoire. Chaque roman, depuis Le Tricheur – achevé en 1941, mais publié seulement quatre ans plus tard aux Éditions du Sagittaire –, dessine des chemins à travers lesquels l’écrivain produit de la mémoire et invente un monde. On serait tenté de parler d’entreprise autobiographique, si ce terme n’impliquait pas l’idée d’une vie qui serait une sorte de réservoir dans lequel l’écrivain n’aurait qu’à puiser pour élaborer ses récits. Ici, tout au contraire, c’est l’acte d’écrire – de reprendre, de raturer, de monter, de construire, d’ordonner – qui réveille, oriente, excite, actualise la mémoire et lui ouvre un champ aussi vaste que celui qu’explora Proust.
Écriture de la mémoire, et donc aussi écriture de l’oubli, de la perte, de la disparition ; écriture du temps et donc de la dégradation. Jamais peut-être ces deux termes n’avaient été aussi explicitement juxtaposés que dans Le Tramway. Sans doute parce que la présence de la mort est ici ce qui cristallise et lie les différentes scènes. C’est le spectre de la mort qui sert de guide dans le dédale des souvenirs actualisés.
Au centre du livre, il y a l’image d’une chambre d’hôpital où le narrateur, encombré de tuyaux qui pallient ses fonctions vitales défaillantes, renaît tant bien que mal, dans la fièvre, l’épuisement, à la vie consciente après un grave accident de santé. Peu à peu, comme dans une aube, les choses et les êtres sortent de la confusion et du brouillard qui les enveloppaient, tout en conservant un halo d’irréalité, une incertitude pleine de douceur et de légèreté. Ce qu’on appelle le réel peut avoir parfois la même consistance que les rêve ou que les souvenirs. Ce retour incertain à la lumière après une nuit dont on ne peut rien écrire, c’est le thème de Lazare qui court tout au long du livre. On lui accolera cette citation de Joseph Conrad que Claude Simon place en exergue du Tramway : “ …Pour lui le sens de l’épisode ne se trouve pas à l’intérieur, comme d’une noix, mais à l’extérieur, et enveloppe le conte qui l’a suscité, comme une lumière suscite une vapeur… 
Pas de psychologie chez Claude Simon : c’est l’écriture, et elle seule, qui prend en charge cette fragile renaissance au monde dans la proximité de la mort. »

Claire Devarrieux (Libération, 29 mars 2001)

« Claude Simon a fait remarquer un jour qu’en grec, transport se dit metaphora. De quelle métaphore à votre avis est-il porteur, ce tramway de son enfance qui circule entre le centre-ville et la mer ? Il relie “ deux pôles d’attraction populaire ”, le cinéma et la partie de la plage que la bonne société ne fréquente pas. Là, on disait des pauvres qu’“ il s’en noyait un ou deux ” le dimanche, “ un peu comme on eût parlé de petits chiens ”. Le tramway lève sur son passage une foule d’observations, il ait l’aller et retour dans le temps, d’un épisode à l’autre. Il circule d’abord dans l’espace, comme un rayon lumineux, braqué par exemple sur les cingleries architecturales de la bourgeoisie, relayées et mises à mal plus tard par les aberrations de l’aménagement urbain. Il conduit aux anecdotes des mœurs familiales et provinciales, pas si austères…
Entre le monde du tramway et celui de l’hôpital, quelques correspondances. La lumière grise rappelle telle attraction de la foire, autrefois. Ailleurs, l’hallucinant rassemblement des “ hommes-troncs ” rescapés de la Grande Guerre, sur la Promenade de la plus célèbre de la ville, entraîne l’image de la maladie maternelle. La jeune femme, celle qu’on a rencontrée dans d’autres livres, qui aime le chocolat chaud et la langouste, toutes choses qu’on lit dans Le Tramway et qu’on sait depuis Histoire, se métamorphose. L’enfant, quand il avait pu attraper “ le tramway de quatre heures ”, voyait, dans le jardin, l’ombre gagner “ cette chaise longue, ou plutôt cette liseuse, où était couchée non pas maman mais l’espèce de momie à tête d’épervier ”. Le voisin de chambre (portait exaspéré, très frappant, d’un pénible vieillard), a un nez que le narrateur remarque tout de suite, “ (comme si le souvenir des hommes-troncs et de ma mère associait à la souffrance et à la mort l’image de ces nez osseux en bec d’aigle dont l’amaigrissement causé par la maladie et par l’âge finissait par en faire, au détriment de tous les autres, le principal élément d’un visage) ”. Plus loin, au moment des pudiques “ ablutions du milieu du corps ”, le lecteur ne manquera pas de repenser aux hommes-troncs. La véritable correspondance, entre le tramway de Perpignan, la ville jamais nommée, et les tuyaux bleus de l’alimentation en oxygène, est dans le regard, celui de l’écrivain, celui du collégien, le même, comme si l’enfant se souvenait du vieux monsieur qu’il allait être. »

Marie-Laure Delorme (Journal du Dimanche, 1er avril 2001)

« L’auteur de La Route des Flandres (Éditions de Minuit, 1960) et de L’Acacia (Éditions de Minuit, 1989) écrit au cœur de la subjectivité et de l’irrationalité de la conscience. Dans une succession de moment aux correspondances souterraines. Il tend un miroir brisé à notre réalité. Il faut voir nos mémoires épuisées refléter cette vie où tout fut séparation. Sauf, peut-être, la cabine d’un tramway. Son écriture est semblable à un fleuve remonté à contre-courant. Qui emporte, dérange, fatigue, embarque. Elle noue dans une somptuosité singulière – et cela devrait être le sens de toute écriture actuelle – classicisme et modernité. Le style de Claude Simon est ainsi une rencontre sans cesse renouvelée.
Le Tramway est l’une des œuvres les plus évidentes de Claude Simon. Elle est ponctuée par des images en forme de tableaux. Des morceaux de scènes. Le conducteur du tramway qui ne cesse de rallumer son bout de mégot, le retour des barques de pêche dont les filets sont pleins de poissons, un garçon qui traverse de nuit les jardins en préservant du vent la flamme de sa bougie. Car la vie est là. Il faut simplement la rallumer, la ramener, la préserver. Elle ne ressemble pas à sa mère, allongée sur une liseuse, ressassant son passé dans des habits sombres. La vie est ridicule et fragile. Semblable, dans une fresque peinte, à un personnage que l’on ne remarquerait même pas. Elle est ce geste nécessaire et dérisoire qui restera, à notre plus grand étonnement, gravé dans nos mémoires comme un diamant retrouvé. »

 




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