Critique 


Revue Critique

Critique n° 793-794 : Edward W. Said


2013
128 p.
ISBN : 9782707322999
12.00 €

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  Qui était Edward Said ? La question peut sembler incongrue en cette année de commémorations liées au dixième anniversaire de sa disparition. Palestinien, chrétien, il a grandi entre Jérusalem et Le Caire. L’exil de sa famille le fixe aux États-Unis. Universitaire, spécialiste de Joseph Conrad, son domaine est la littérature comparée. C’est avec la publication d’Orientalism, en 1978, que son travail bascule et que change sa stature. Le discret professeur de Columbia est désormais commenté dans le monde entier, tenu pour l’initiateur des « études postcoloniales » et considéré comme la voix intellectuelle de la Palestine.
Orientalism a été rapidement traduit en français sans que la France s’ouvre beaucoup à ce penseur cosmopolite. Le reste de l’oeuvre reste largement à découvrir. Des éditeurs s’y emploient et c’est d’abord de ces traductions longtemps attendues que nous rendons compte. Les surprises n’y manquent pas. Car l’écriture politique n’a représenté qu’un moment de la trajectoire de Said. On découvrira ici d’autres facettes d’une oeuvre souvent réduite à un seul livre : de l’analyse des médias à la critique musicale en passant par une réflexion sur le « style tardif ».
C’est un nouveau portrait d’Edward Said, libéré des surinterprétations louangeuses ou réprobatrices, qu’esquisse ce numéro – pour mieux revenir aux questions qu’il a su poser.   

Sommaire  

« Edward W. Said (Jérusalem, 1935-New-York, 2003) »  

Présentation  

Marielle MacÉ : Late style. Terminer sans en finir
Edward. W. Said, Du style tardif. Musique et littérature à contre-courant  

Guillaume Bridet : Universalité de l’exil ?
Edward. W. Said, Réflexions sur l’exil et autres essais 

Esteban Buch : La musique classique tempère l’exil
Edward. W. Said, Music at the Limits            
Musical Elaborations  

Ève De Dampierre-Noiray : L’obsession du transversalisme
Edward. W. Said, Dans l’ombre de l’Occident et autres propos           

Power, Politics and Culture. Interviews with Edward W. Said  

Thomas Brisson : Naissance d'un intellectuel
Edward. W. Said, L’Islam dans les médias. Comment les médias et les experts façonnent notre regard sur le reste du monde 

Olivier Roy : Et si l’Orient disparaissait ?  

Cinq questions à Souleymane Bachir Diagne    

*    

Vincent Debaene : Un anthropologue et sa boîte noire. L'essai d'ego-histoire de George Stocking
George W. Stocking, Glimpses into My Own Black Box  

Jean-François Puff : Cécile Mainardi, le temps volé de la poésie
Cécile Mainardi, Rose activité mortelle  

Sophie Djigo : Le Goût des plaisirs et l'éthique de la dépendance
Patrick Pharo, Philosophie pratique de la drogue                     
Plaisirs et dépendances dans les sociétés marchandes
  

Thierry Hoquet : Marcela Iacub sur DSK. L'épreuve du cochon
Marcela Iacub, Belle et Bête

Nicolas Weill, Le Monde, 10 juin 2013

Edward Said, un humaniste à New York

Il y a dix ans disparaissait le critique littéraire, pianiste et militant palestinien Edward Said. Professeur de la célèbre université Columbia, à New York, il était, comme son collègue l'historien du judaïsme Yosef Hayim Yerushalmi (Critique n° 763, 2011), une figure typique d' « outsider intégré », de « marginal dans le jeu », comme sait merveilleusement en produire le monde académique anglo-américain. Palestinien protestant, né en 1935 à Jérusalem, arrivé aux États-Unis en 1950, il incarnait la cause de la Palestine en intellectuel public.

Mais, surtout, son travail représente, pour les humanités en général, une véritable ligne de partage des eaux. Son livre de 1978, L'Orientalisme (Seuil, 1980), provoqua une véritable révolution mentale. Même si elle est devenue banale, la démarche dont il était à l'initiative consistait à dénoncer un « Orient », pure construction, selon lui, des islamologues européens de Renan à Louis Massignon, en passant par T.E. Lawrence. Cet ouvrage, ainsi que ceux qu'il consacra aux déformations médiatiques dans la perception du monde arabo-islamique, imposa les études post-coloniales dans l'espace universitaire. Désormais, on relit l'histoire aussi du point de vue des colonisés et des victimes de l'impérialisme occidental.  

Une personnalité ardente  

Edward Said fut une personnalité ardente. Il pouvait jeter des pierres à la frontière israélo-libanaise et s'emporter contre les dérives de son propre camp (ainsi était-il écœuré par le négationnisme qui se répandait dans le monde arabe). L'éloge et la redécouverte d'un engagement et d'une œuvre, dont de larges pans demeurent encore non traduits en français, auraient suffi à rendre ce numéro de Critique riche. S'y ajoutent la mesure et la réévaluation du bouleversement provoqué par les livres d'Edward Said. Comme le fait remarquer Thomas Brisson (Paris-VIII), sa renommée prouva d'abord que le curseur intellectuel de la vie de l'esprit s'était déplacé de Paris à New York.  

Critique des prétentions occidentales à l'universalisme, Edward Said n'en était pas moins en quête d'un autre humanisme, affranchi de la volonté de puissance. Mais, pour l'orientaliste Olivier Roy, le « saidisme »de ses héritiers, désormais dominant dans les études islamiques, a parfois manqué la réalité de l'espace musulman. Surtout, dès lors que le conflit entre Israël et les Palestiniens a perdu de sa centralité et que les exigences démocratiques des divers « printemps arabes » ont fait disparaître « le présupposé majeur de l'orientalisme : l'exceptionnalisme musulman ».  

Inspirée par la philosophie du Michel Foucault de Surveiller et punir et – on le dit moins en France – par le philosophe allemand Adorno, théoricien pessimiste de la crise de la raison, l'œuvre d'Edward Said comporte bien des facettes, que les auteurs de ce numéro savent nous dévoiler. Ainsi, nous dit Marielle Macé, Edward Said, spécialiste d'un autre exilé, le romancier britannique d'origine polonaise Joseph Conrad, s'intéressa au « style tardif » des musiciens et des poètes : les derniers quatuors de Beethoven à la limite de la dissonance, le « retour » au XVIIIe siècle d'un Stravinsky ou du Richard Strauss de Cappriccio (1942), le Baudelaire apocalyptique des Fusées (1851) ou le cinéaste communiste Pasolini des Écrits corsaires (1976), néo-réactionnaire avant la lettre. Le musicologue Esteban Buch passe enfin au crible la production d'Edward Said – critique musical de l'hebdomadaire de gauche The Nation. Il débusque avec malice, chez ce révolté de l'esprit et de la politique, malgré tout, un certain classicisme.

 

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