Critique 


Revue Critique

Critique n° 752-753 : Du style !


2010
192 p.
ISBN : 9782707321121
15.00 €

S'abonner

Version numérique

Présentation

Tournez les yeux. Dans ce geste, cette silhouette, ce décor, cette parole : partout s'inventent (ou pourraient s'inventer) des styles. Manières de vivre, façons de faire individuelles ou partagées, elles nous attirent et donnent son énergie à notre propre élan d'être. Nul domaine de notre existence qui ne puisse être stylisé. Cela vaut bien sûr pour l"invention de formes artistiques et pour les conduites esthétiques ; mais cela est vrai aussi de la démarche, des parures, des objets quotidiens, des rituels, des postures physiques ou des attitudes mentales. Nous façonnons en permanence nos existences, nos modes d’attention, nos sensibilités et nos visions du monde.

Tout semble nous encourager aujourd’hui à ce souci du style, tout nous invite donc à le penser.  Des réflexions sur l’ornement aux philosophies du souci de soi , des styles cognitifs  aux sociologies des tendances, de la réévaluation de l’idée de manière au tournant stylistique du capitalisme contemporain, notre temps est celui d’une  anthropologie du style . 

Ce numéro spécial de Critique, dirigé par Marielle Macé, est né d’une conviction : ce tournant anthropologique du style auquel nous assistons, nous le vivons aussi. Il s’agit ici d’en prendre la mesure et de cerner les enjeux des nouvelles pratiques du style, qu’elles soient littéraires, musicales, gestuelles, psychiques ou économiques, religieuses, politiques. Pour mieux les comprendre. Peut-être aussi pour prendre une décision sur le style et, par conséquent, sur nous-mêmes.

Sommaire

Marielle Macé : Avant-propos. Extension du domaine du style

Pierre Pachet : Un homme à la recherche du style

Marielle Macé : Être un style
            Judith Schlanger, L’Humeur indocile
            
Patrick Mauriès, Nietzsche à Nice
           
François Noudelmann, Le Toucher des philosophes
           
Jean-Chritophe Bailly, Le Versant animal

Yves Citton : Le style comme filtre. Économie de l’attention et goûts philosophiques
            Richard A. Lanham, The Economics of Attention
           
Gilles Deleuze, Cours sur le cinéma 1981-1985

Laurent Jenny : Une difficulté dans la pensée du style
            Philippe Jousset, Anthropologie du style

Arnaud Bernadet : Du style. Anthropologie d’un lieu commun
            Eric Bordas,  Style 

Jean-Marie Schaeffer : Esthétique et styles cognitifs. Le cas de la poésie

Bernard Vouilloux : Pavane pour une infante défunte - la langue littéraire
            Gilles Philippe et Julien Piat (dir.), La Langue littéraire

Anne Herschberg Pierrot : Du style en critique
            Jean-Pierre Richard, Roland Barthes, dernier paysage
            Nausée de Céline
           Chemins de Michon   

Barbara Carnevali : Le maniérisme snob
            Frédéric Rouvillois, Histoire du snobisme
            William M. Thackeray, Le Livre des Snobs

Alexandre de Vitry : La manière chrétienne, un outing permanent ?
            Christoph Theobald, Le Christianisme comme style

Philippe Jousset : La forme. Enjeux poétique, politique et philosophique
            Jacques Bouveresse, La Connaissance de l’écrivain

Martin Kaltenecker : Conflits d’écoute
           Peter Szendy, Écoute
           
Rémy Campos et Nicolas Donin (éd.), L’Analyse musicale, une pratique et son histoire

Patrizia Lombardo : La signature au cinéma

 François Vanoosthuyse : Littérature et kinésie
            Guillemette Bolens, Le Style des gestes

 Clotilde Thouret : Le sens du corps. Autour de Richard Shusterman
            Richard Shusterman, Sous l’interprétation

 Martine Lacas : L’historien de l’art au miroir du style
            Bertrand Prévost, La Peinture en actes

Nicolas Weill, Le Monde, lundi 1er mars 2010

Esthétique, pour une ère ultralibérale

Rien n'est plus efficace que les dossiers consacrés régulièrement par Critique à l'état des lieux d'une question dont l'importance ne fait souvent qu'affleurer dans l'actualité. On se souvient par exemple d' Ethique et esthétique de la corrida  (août-septembre 2007) ou, plus récemment, en juin-juillet 2008, de l'ensemble sur les  Pirates . Certains dossiers se sont révélés précurseurs. Ce fut le cas du provoquant numéro spécial de 1996 sur le plagiat et les plagiaires. Alors, Internet ne faisait que commencer à généraliser la méthode des  emprunts  par la pratique du copié-collé, démultipliant certes les scandales littéraires, mais décomplexant aussi l'idée de pillage dans les générations d'écrivains à venir. Au point d'ébranler singulièrement la pertinence des concepts d'œuvre originale et d'auteur unique.
Parfois difficile, ce recueil de contributions sur le  style , placé sous la houlette de Marielle Macé, spécialiste de littérature au CNRS, poursuit cette réflexion. La méthode consiste, là encore, à suivre la migration de notions nées de la critique littéraire dans d'autres domaines ou disciplines (par exemple, du plagiat au clonage). Tous les participants s'accordent plus ou moins sur un constat : aujourd'hui, la référence au style a débordé les limites de la rhétorique et de la théorie esthétique pour envahir la mode, la publicité ou même la politique. Pour beaucoup, il s'agit là d'un signe d'époque. Le phénomène marque d'abord l'épuisement des modèles proposés par le structuralisme. Désormais, l'individuel s'affirme au dépend du collectif. Pour certains, d'ailleurs, cette évolution des usages sociaux du style est à prendre en mauvaise part.
Ainsi pour Yves Citton ou Arnaud Bernardet ce dernier recense l'ouvrage important d'Eric Bordas : Style. Un mot et des discours (Kimé, 2008) –, une telle omniprésence des références au  style  serait typique d'un capitalisme marchand qui prospérerait désormais en cherchant à capter par des moyens les plus diversifiés l'attention du citoyen-consommateur. Le culte de la singularité à tout prix serait donc la marque de fabrique d'un homme de l'ère néolibérale adoptant l'individualisme irréductible comme valeur, alors que reculent les  règles socialement contraignantes et économiquement contraignantes d'un Etat-providence en crise . La popularité du style en serait la conséquence, et la fameuse remarque de Buffon qui veut que le style soit l'homme n'aurait jamais été aussi vraie qu'au temps de notre capitalisme tardif.
Bien sûr, tous les contributeurs n'en restent pas à cette vision désabusée. Certains voient même dans le style le  fait total  par excellence, dans la mesure où, justement, il est à l'intersection de l'universel et du particulier. Dans la foulée de l'ouvrage inachevé du philosophe Maurice Merleau-Ponty, La Prose du monde (Gallimard, 1992), d'autres s'efforcent de montrer que le style n'est pas affaire que de création artistique mais qu'on le trouve dans des phénomènes comme la perception, le corps et le  geste . Du reste, même dans l'esthétique, la tendance nouvelle à réintégrer dans l'œuvre les conditions matérielles de sa production (livre, disque, écran) et de sa réception par le public et les critiques modifie l'idée qui s'attache au style. Il se démocratise tout autant qu'il prolifère. La composition musicale intègre l'écoute que lui accordent les divers publics qu'elle rencontre ; le style cinématographique naît du terreau de la cinéphilie. Bref, le style n'est plus seulement l'homme, mais l'affaire de tout le monde.

 

Précédents numéros





Toutes les parutions de l'année en cours
 

Les parutions classées par année