Paradoxe


Pierre Bayard

Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ?


2007
Collection  Paradoxe , 198 p.
ISBN : 9782707319821
18.00 €


L'étude des différentes manières de ne pas lire un livre, des situations délicates où l'on se retrouve quand on doit en parler et des moyens à mettre en œuvre pour se sortir d'affaire montre que, contrairement aux idées reçues, il est tout à fait possible d'avoir un échange passionnant à propos d'un livre que l'on n'a pas lu, y compris, et peut-être surtout, avec quelqu'un qui ne l'a pas lu non plus.

ISBN
PDF : 9782707324276
ePub : 9782707324269

Prix : 12.99 €

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Patrick Kéchichian, Le Monde, vendredi 12 janvier 2007

Le lecteur du dernier essai de Pierre Bayard serait mal inspiré de prendre à la lettre l’option qu’il défend et dont le titre, même sous sa forme interrogative, résume brutalement la teneur. Ce titre, il ne faut cependant pas l’entendre comme un énoncé moqueur ou cynique. Provocateur, il constitue un sérieux motif de réflexion, de mise en alerte. Un esprit critique avisé est donc requis – pour ce livre comme pour tous les autres livres vers lesquels notre désir, notre intuition ou notre intérêt nous portent chaque jour. Et, d’ailleurs, considérons comme une indication utile le nom de la collection où l’ouvrage paraît : « Paradoxe ».
La confidence de Pierre Bayard, à la première ligne de son livre, n’est pas anecdotique ou fortuite : il vient d’un milieu « où on lisait peu ». Ne pas être un « héritier », c’est-à-dire se trouver d’abord en situation d’étranger face à la culture livresque, donne à celle-ci la possibilité de se développer, de fleurir singulièrement, d’une manière libre et non académique. C’est donc d’une « expérience » qu’il s’agit. Une expérience dont le but est de se « délivrer de l’image oppressante d’une culture sans faille, transmise et imposée par la famille et les institutions scolaires, image avec laquelle nous essayons en vain toute notre vie de venir coïncider ».
Qu’appelle-t-on lire ? C’est la vraie question qui motive cet essai. Question que Bayard s’est posée face à ses étudiants, dans son travail universitaire – il est aussi psychanalyste, ce qui n’est pas indifférent – et à laquelle il apporte une réponse plurielle, et parfois surprenante. Une réponse qui accepte notamment d’affronter cette « honte » spécifique propre aux milieux réputés cultivés : celle d’avoir à émettre une opinion, un jugement, une pensée articulée à propos de livres que l’on n’a pas lus vraiment, ou complètement ; ou au moins de savoir en parler couramment avec ses pairs, en société ou devant des étudiants à partir d’une connaissance partielle.
Ainsi se constituent des flux entiers de discours – qu’ils soient de simple conversation, d’enseignement ou de critique – balisés par des références obligées qui sont autant de signes de reconnaissance. Assemblées, mises en relation, ces références forment une sorte de « bibliothèque virtuelle » dans laquelle l’amateur circule avec aisance, sans arrêt prolongé sur l’un ou l’autre des volumes, se contentant d’une « vue d’ensemble » – le mot est emprunté à Musil, qui met en scène un bibliothécaire se vantant de ne lire aucun des livres dont il a la charge : « ce qui compte dans chaque livre, commente Bayard, étant les livres d’à côté », et « tout discours glissant d’un livre à un autre ». « La culture, souligne-t-il encore, est d’abord une affaire d’orientation. Etre cultivé, ce n’est pas avoir lu tel ou tel livre, c’est savoir se repérer dans leur ensemble, donc savoir qu’ils forment un ensemble et être en mesure de situer chaque élément par rapport aux autres. »

Fécondité de l’oubli
Pour appuyer son argumentation, Pierre Bayard invoque lui-même beaucoup d’auteurs – de Musil et Valéry (qui avait salué l’œuvre de Proust en avouant l’avoir « à peine » lu) à David Lodge et Umberto Eco, tous cités librement, jusqu’à prolonger leurs intuitions dans des directions qu’ils n’avaient pas forcément eux-mêmes explorées… D’ailleurs, avec Montaigne, l’auteur défend l’idée de la fécondité de l’oubli et de toute « cette connaissance fragile et temporaire » qui accompagne un certain exercice de la lecture : « Que les livres ne soient pas seulement liés à la connaissance mais aussi à la perte de mémoire, voire d’identité, est un élément qui doit demeurer présent à toute réflexion sur la lecture. » Avec Oscar Wilde, il aborde plus directement la question de la critique qu’il s’agirait de « protéger contre l’emprise de l’œuvre », cet « objet hallucinatoire fugace », « œuvre fantôme apte à attirer toutes les projections »… On touche évidemment là aux limites de l’exercice et du paradoxe.
Le but de Bayard n’est donc pas du tout de dénoncer une imposture, mais de défendre et promouvoir une pratique volage, indisciplinée, de la lecture. Pratique donnée à tort, selon lui, pour honteuse et inavouable. A la fin de son essai, toujours à propos de Wilde qui parle de la critique comme « la seule forme admissible d’autobiographie », il avance la notion, séduisante, de « livre intérieur ». C’est ce livre qui serait la finalité légitime de l’« amoncellement hétéroclite de fragments de textes, remaniés par notre imaginaire… » Un peu à l’image d’un processus analytique qui vise à « assurer notre cohérence intérieure ».
On pourra objecter à cela qu’un livre est, pour chacun de ses lecteurs, le porteur d’une altérité, et qu’il s’agit moins de s’approprier une parole que de l’accueillir, moins de « devenir soi-même créateur » que d’élever l’acte de lire (et d’enseigner, de critiquer) au rang d’une vocation, presque d’un art. Mais au-delà de cette réserve, le livre de Pierre Bayard nous invite, avec pertinence, à lutter contre l’une des versions sournoises de ce que Jean Paulhan nommait la « terreur dans les lettres ».

Jean-Baptiste Marongiu, Libération, jeudi 18 janvier 2007

N’était le point d’interrogation, et si l’on ne connaissait pas l’auteur en ses œuvres, la désinvolture du titre renverrait à un manuel, mi-bravache mi-utilitaire. Du genre : comment épater ses professeurs, élèves, maîtresses… ou briller devant ses supérieurs, subordonnés, ennemis, amis, etc., en devisant avec aisance sur des ouvrages qu’on n’a pas lus, avec le moindre effort et le maximum de résultats. Or, Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? ne se veut en rien le dernier livre à lire (voire à ne pas lire) pour ne plus lire et vivre heureux, la non-lecture n’étant évidemment pas l’idéal de cet honnête lecteur, par goût et par profession, qu’est Pierre Bayard. Mais il y a un peu de cela, quand même, puisque Bayard, quoique professeur de littérature à l’université Paris-VIII, psychanalyste et auteur d’ouvrages de théorie littéraire, est d’un naturel plutôt joueur. Si le texte est à la fois, disons, sa matière première et son outil de travail, son malin plaisir consiste moins dans l’exhumation de ce qui a libéré l’écriture que dans l’étalage des possibles qu’elle a contrariés. Loin de le dévaloriser, cette démarche vise à rappeler le caractère inépuisable du texte, qu’aucune lecture (ou non-lecture) ne saurait entamer – mais, au contraire, enrichir, à condition que le lecteur ne soit pas paralysé devant lui, et sache se détacher à temps des œuvres et de leurs auteurs.
On a beau être boulimique de la chose écrite, on n’en est pas moins destiné, fondamentalement, à rester des non-lecteurs, vu le nombre infini d’ouvrages que l’on ne parviendra jamais à lire. Autant le savoir et organiser notre foncière non-lecture. Sachons que cela est possible, d’abord, si on a lu suffisamment de livres, qu’en somme on a déjà constitué le fonds de notre bibliothèque personnelle ; ensuite, autre paradoxe, si on a oublié jusqu’à l’existence de certains des textes qui nous ont façonnés en tant que lecteur et qui continuent à nous orienter avec familiarité dans la bibliothèque collective. S’appuyant sur son expérience personnelle (il n’a jamais ouvert Ulysse de Joyce et il ne se prive pas d’exprimer son opinion), Pierre Bayard se veut didactique, et montre les différentes manières de ne pas lire un ouvrage et d’en parler néanmoins, qu’il s’agisse des livres que l’on ne connaît pas, que l’on a parcourus, dont on a entendu parler ou que l’on a oubliés. A considérer les exemples qu’il cite, on s’aperçoit que plus on accorde de la valeur à l’écriture, moins on en attribue à la lecture. Aussi Valéry, par ailleurs graphomane avéré, militait-il contre la connaissance des œuvres de ses collègues, petits ou grands, comme s’il craignait d’en être contaminé. Cette idée de la lecture – perte et non pas gain – obsédait également Montaigne, puisqu’il ne retenait proprement rien de ce qu’il venait de lire, se condamnant à une relecture inlassable, débouchant inlassablement, tout autant que les précédentes, dans le néant. Gageons que, pour Bayard, rien n’est plus perdu pourtant, puisque souvent, dans ce jeu comme en amour, qui perd gagne.
Oscar Wilde, grand lecteur par ailleurs, pensait que le meilleur service à rendre à un ouvrage qu’on est chargé de critiquer est de ne pas le lire. Pour ne pas être influencé, comme il l’a écrit de manière fort spirituelle. Surtout pour une raison bien plus fondamentale : pour mettre au service d’une création une autre création, en s’interdisant ainsi de rabaisser la première avec un exercice moins ambitieux. Ce paradoxe wildien éclaire la démarche de Pierre Bayard. D’un côté, il est des textes qui, plus ils sont puissants, originaux, essentiels, plus ils seront perdus pour leur lecteur, et cela quelle qu’en soit la qualité de la lecture. Et c’est bien ainsi, parce que c’est la seule raison pour qu’on y revienne. De l’autre, il y a les lecteurs qui ne seront en rien épuisés par un texte quelconque, ni par un ensemble de textes – à condition, évidemment, qu’ils considèrent que lire est aussi créateur qu’écrire. Ce que prouve l’infinie variété de lectures qu’autorise n’importe quel texte, pour le meilleur et pour le pire. Parler d’un livre que l’on n’a pas lu nous place en somme dans la position de l’auteur, qui, lui non plus, ne le connaissait pas avant de l’avoir écrit. Mais se couper de l’inédit pourrait vite plonger dans la redite le non-lecteur.

Lire l'article de Stéphane Lojkine, "La bibliothèque comme dispositif. La non-lecture selon P. Bayard", Acta Fabula, Mars-Avril 2007 (volume 8, numéro 2).

Lire l'article de Franc Schuerewegen, "Comment parler de Proust quand on a lu ses livres ? Enquête dans la bibliothèque de Pierre Bayard", Acta Fabula, Mars-Avril 2007 (volume 8, numéro 2).

Lire l'article de Dominique Vaugeois, "Où l'on apprend que le compte-rendu d'un livre (de P. Bayard) est plus important que le livre lui-même", Acta Fabula, Mars-Avril 2007 (volume 8, numéro 2).

Alan Riding, The New York Times, 24 février 2007

Read It? No, but You Can Skim a Few Pages and Fake It

PARIS, Feb. 23 — It may well be that too many books are published, but by good fortune, not all must be read. In practice, primed by publishers, critics, teachers, authors and word-of-mouth, a form of natural selection limits essential reading to those classics and best sellers that become part of civilized intellectual and social discourse.

Of course, many people don't get through these books, either, and too embarrassed to admit it, they worry constantly about being exposed as philistines.

Now Pierre Bayard, a Paris University literature professor, has come to their rescue with a survivor"s guide to life in the chattering classes. And it is evidently much in need. "How to Talk About Books You Haven’t Read?” has become a best seller here, with translation rights snapped up across Europe and under negotiation in Britain and the United States.

“I am surprised because I hadn’t imagined how guilty nonreaders feel,” Mr. Bayard, 52, said in an interview. “With this book, they can shake off their guilt without psychoanalysis, so it’s much cheaper.”

Mr. Bayard reassures them that there is no obligation to read, and confesses to lecturing students on books that he has either not read or has merely skimmed. And he recalls passionate exchanges with people who also have not read the book under discussion.

He further cites writers like Montaigne, who could not remember what he read, and Paul Valéry, who found ways of praising authors whose books he had never opened. Mr. Bayard finds characters in novels by Graham Greene, David Lodge and others who cheerfully question the need to read at all. And he refuses to be intimidated by Proust or Joyce.

Having demonstrated that non-readers are in good company, Mr. Bayard then offers tips on how to cover up ignorance of a “must-read” book.

Meeting a book’s author can be particularly tricky. Here, Mr. Bayard said there was no need to display knowledge of the book, since the author already has his own ideas about it. Rather, he said, the answer is “to speak well of it without entering into details.” Indeed, all the author needs to hear is that “one has loved what he has written.”

Domestic life is another potentially hazardous zone. People often want their spouses and partners to share their love of a particular book. And when this happens, Mr. Bayard said, they can both inhabit a “secret universe.” But if only one has read the book, silent empathy may offer the best way out.

Students, he noted from experience, are skilled at opining about books they have not read, building on elements he may have provided in a lecture. This approach can also work in the more exposed arena of social gatherings: the book’s cover, reviews and other public reaction to it, gossip about the author and even the current conversation can all provide food for sounding informed.

One alternative, he said, is to try to change the subject. Another is to admit not knowing a particular book while suggesting knowledge of the so-called “collective library” into which the book fits.

But Mr. Bayard’s most daring suggestion is that nonreaders should talk about themselves, using the pretext of the book without dwelling on its contents. In this way, he said, they are forced to tap their imagination and, in effect, invent their own book.

“To be able to talk with finesse about something one does not know is worth more than the universe of books,” he writes.

That Mr. Bayard enjoys the role of iconoclast is evident in the titles of some of his earlier books, including “How to Improve Failed Literary Works,” in which he examines “failed” books by Proust, Marguerite Duras and others, and “Inquiry Into Hamlet,” in which he sets out to prove that Claudius did not murder his brother and Hamlet’s father, the King of Denmark.

With his new book, he is also a tad subversive because “How to Talk About Books You Haven’t Read?” is not really what it appears to be. “It is told by a fictional personality who boasts about not reading and is obviously not me,” he explained. “This is not a book written by a nonreader.”

But he chose this device, he said, because he wanted to help people conquer their fear of culture by challenging the way that literature is presented to students and the public in France.

“We are taught one way of reading,” he said. “Students are told to read the book, then to fill out a form detailing everything they have read. It’s a linear approach that serves to enshrine books. People now come up to me to describe the cultural wounds they suffered at school. 'You have to read all of Proust.’ They were traumatized.”

“They see culture as a huge wall, as a terrifying specter of ‘knowledge,’ ” he went on. “But we intellectuals, who are avid readers, know there are many ways of reading a book. You can skim it, you can start and not finish it, you can look at the index. You learn to live with a book.”

So, yes, he conceded, his true aim is to make people read more — but with more freedom. “I want people to learn to live with books,” he said. “I want to help people organize their own paths through culture. Also those outside the written word, those who are so attached to the image that it’s difficult to bring them back.”

Then why, he was asked, did he write a book that seems to justify nonreading?

“I like to write funny books,” he said. “I try to use humor to deal with complex subjects.”

Umberto Eco, L'Espresso, 26 juillet 2007

Su di un libro non letto

Conoscere di un libro la relazione con altri libri significa spesso saperne di più che non avendolo letto. Commenta


Ricordo (ma, come vedremo, non è detto che ricordi bene), un bellissimo articolo di Giorgio Manganelli, nel quale egli spiegava come un fine lettore possa sapere che un libro non si deve leggere anche prima di averlo aperto. Non stava parlando di quella virtù che si richiede spesso al lettore di professione (o all'amatore di gusto), di poter decidere da un incipit, da due pagine aperte a caso, dall'indice, spesso dalla bibliografia, se un libro valga o meno la pena di essere letto. Questo, direi, è solo mestiere. No, Manganelli parlava di una specie d'illuminazione, di cui evidentemente e paradossalmente si arrogava il dono.

'Come parlare di un libro senza averlo mai letto' (Excelsior, 16,50 euro) di Pierre Bayard (psicanalista e docente universitario di letteratura) non tratta di come si debba sapere se non leggere un libro, ma di come si possa tranquillamente parlare di un libro non letto, persino da professore a studente, e anche se si tratta di un libro di straordinaria importanza. Il suo calcolo è scientifico, le buone biblioteche raccolgono alcuni milioni di volumi, anche a leggerne uno al giorno ne leggeremmo solo 365 in un anno, 3600 in dieci anni, e tra i dieci e gli ottant'anni ne avremmo letti appena 25.200. Un'inezia. D'altra parte chiunque abbia avuto una buona educazione liceale sa benissimo di poter ascoltare un discorso, poniamo, su Bandello, Guicciardini, Boiardo, numerosissime tragedie di Alfieri e persino 'Le confessioni di un italiano' avendone soltanto appreso a scuola il titolo e la collocazione critica, ma senza averne mai letto una riga.

È la collocazione critica il punto cruciale per Bayard. Egli afferma senza vergogna di non aver mai letto lo 'Ulysses' di Joyce, ma di poterne parlare alludendo al fatto che è una ripresa della 'Odissea' (che egli peraltro ammette di non aver mai letto per intero), che si basa sul monologo interiore, che si svolge a Dublino in un giorno solo, eccetera. Così che scrive: "quindi mi capita di frequente, nei miei corsi, senza batter ciglio, di far spesso riferimento a Joyce". Conoscere di un libro la relazione con altri libri significa spesso saperne più che non avendolo letto.

Bayard mostra come, quando ci si pone a leggere certi libri trascurati da tempo, ci si accorge che se ne conosce benissimo il contenuto perché nel frattempo se ne erano letti altri che ne parlavano, li citavano, o si muovevano nello stesso ordine d'idee. E (così come fa alcune divertentissime analisi di vari testi letterari in cui si tratta di libri mai letti, da Musil a Graham Greene, da Valéry ad Anatole France e a David Lodge) mi fa l'onore di dedicare un intero capitolo al mio 'Il nome della rosa', dove Guglielmo da Baskerville dimostra di conoscere benissimo il contenuto del secondo libro della 'Poetica' di Aristotele, che pure egli sta prendendo in mano per la prima volta, semplicemente perché lo deduce da altre pagine aristoteliche. Vedremo poi alla fine di questa Bustina che non cito questa citazione per mera vanità.

La parte più intrigante di questo pamphlet, meno paradossale di quel che sembri, è che noi dimentichiamo una percentuale altissima anche dei libri che abbiamo letto davvero, anzi di essi ci componiamo una sorta di immagine virtuale fatta non tanto di quello che essi dicevano, bensì di ciò che ci hanno fatto passar per la mente. Pertanto se qualcuno, che non ha letto un certo libro, ce ne cita dei passi o delle situazioni inesistenti, noi siamo prontissimi a credere che il libro ne parlasse.

È che (e qui viene fuori lo psicanalista più che il docente di letteratura) Bayard non tanto è interessato a che la gente legga i libri altrui, quanto piuttosto al fatto che ogni lettura (o non-lettura, o lettura imperfetta) debba avere un aspetto creativo, e che (a dirla con parole semplici) in un libro il lettore debba metterci anzitutto del suo. Tanto da auspicare una scuola dove, siccome parlare di libri non letti è un modo per conoscere se stessi, gli studenti 'inventino' i libri che non dovranno leggere.

Salvo che Bayard, per mostrare come, quando si parla di un libro non letto, anche chi l'ha letto non si accorge delle citazioni sbagliate, verso la fine del suo discorso confessa di aver introdotto tre notizie false nel riassunto de 'Il nome della rosa', de 'Il terzo uomo' di Greene e di 'Scambi' di Lodge. La faccenda divertente è che io leggendo mi sono subito accorto dell'errore su Greene, ho avuto un dubbio a proposito di Lodge ma non mi ero accorto dell'errore a proposito del mio libro. Il che vuol dire che probabilmente ho letto male il libro di Bayard oppure (e sia lui che i miei lettori sarebbero autorizzati a sospettarlo) che l'ho appena sfogliato. Ma la cosa più interessante è che Bayard non si è reso conto che, denunciando i suoi tre (voluti) errori, egli assume implicitamente che dei libri ci sia una lettura più giusta delle altre -tanto che, dei libri che analizza per sostenere la sua tesi della non-lettura, dà una lettura molto minuziosa. La contraddizione è così evidente da dar adito al dubbio che Bayard non abbia letto il libro che ha scritto.


RTBF actus, Ousama Bouiss, 5 avril 2024

Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? Les réponses de Pierre Bayard

Qui a-t-il de si honteux à la non-lecture d’une œuvre ? Mais que faire du savoir que nous possédons sur les livres que nous n’avons pas lus ?
Doit-on nécessairement avoir lu un livre pour pouvoir en parler ? Le monde se divise-t-il en deux catégories : ceux qui ont lu et ceux qui n’ont pas lu ? La non-lecture est peut-être affaire plus complexe.
Pierre Bayard nous invite à y réfléchir dans son ouvrage Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? paru en 2007 aux Éditions de Minuit. Suivons son raisonnement pour éviter les mauvaises chutes lors de nos prochaines discussions.

Au-delà de l’opposition lecture versus non-lecture

Commençons par un changement de paradigme : lire ou ne pas lire n’est pas la bonne question. Pierre Bayard nous propose d’envisager quatre types de non-lecture de livres : le livre parcouru, le livre oublié, le livre dont on a entendu parler et le livre inconnu.
Car lire un livre consiste parfois à le parcourir. Un morceau par ci, un autre par là. Un paragraphe sauté. Quelques lignes aperçues. Des moments d’absence mais des pages qui se tournent. On avance sans avoir tout lu, sans avoir compris chaque mot, identifié chaque virgule, saisi chaque silence. Qu’il s’agisse d’un parcours linéaire (où l’on saute des lignes et paragraphes) ou morcelé (où l’on vient picorer ça et là de quoi assouvir notre curiosité), ce premier type de non-lecture permet de "maintenir une distance raisonnable avec le livre […] pour ne pas se perdre dans les détails".
De ces livres parcourus, on ne retient pas tout. Que de livres parcourus ont été oubliés ! Et que de passages, de chapitres dont nous n’avons pas retenu le moindre mot au moment d’en parler ! L’oubli n’est pas seulement un défaut de mémoire, c’est aussi une qualité essentielle pour penser. Comme l’écrivait Jorge Luis Borges dans son récit sur l’hypermnésique Irénée Funes : "Penser c’est oublier des différences, c’est généraliser, abstraire."
Une troisième catégorie de "non-lecture" correspond aux "livres entendus". Discussions entre amis, émissions télévisées, bancs de l’école ou de l’Université… Les occasions où l’on entend parler de livres sont nombreuses. Tous ces discours que les autres portent sur des écrits que nous n’avons jamais lus participent à étendre notre connaissance ; il convient donc de ne point les négliger.
Ce type de non-lecture est essentiel à double titre. D’une part, il rappelle le rôle essentiel des discours sur les livres, donc la part de l’Autre dans la construction de nos connaissances. D’autre part, il constitue un carrefour où transitent la lecture comme la non-lecture. En effet, même d’un livre lu, on entend parler ; et cela peut participer à une relecture intérieure.
Enfin, bien que ces trois types de non-lecture participent à la complexification du rapport à la lecture, il convient de ne pas exclure la possibilité de ne pas avoir lu du tout un livre. Ni parcouru, ni oublié, parfois pas entendu parler : le livre "inconnu" ne nous condamne pourtant pas au silence. On pourrait en dire bien des choses en somme ! À condition d’accepter que, comme l’humain, le livre passe le livre…

Penser la non-lecture pour repenser la culture

Ne pas avoir honte de parler de livres souvent parcourus, certainement oubliés, dont on a seulement entendu parler voire même inconnus : quel beau pari que nous propose Pierre Bayard ! Pourtant, à travers cette théorisation complexe de la « non-lecture », il ne propose pas d’imaginer un autre rapport à la lecture mais préfère rendre compte de son expérience de lecteur. Ainsi, la complexité de sa théorie ne tient pas tant à sa volonté de créer du nouveau qu’à celle de rendre compte de la richesse et la diversité des expériences vécues par les humains.
À l’inverse, l’idée que le rapport à la lecture se diviserait en deux possibles (lecture versus non-lecture) repose sur une simplification de nos expériences ainsi qu’une image idéalisée de la culture. En effet, si parler de la « non-lecture » peut gêner, si le sujet est si tabou, c’est en raison de sa capacité à contredire toute l’image idéale que nous nous faisons de la culture. Comme le résume Bayard :

" Ainsi conviendrait-il, pour parvenir à parler sans honte de livres non lus, de nous délivrer de l’image oppressante d’une culture sans faille, transmise et imposée par la famille et les institutions scolaires, image avec laquelle nous essayons en vain toute notre vie de venir coïncider. "
Reconnaître la place prégnante de la non-lecture dans nos expériences de lecture nécessite donc de se libérer de la volonté de paraître cultivé. L’émancipation d’une forme de domination culturelle implique une redéfinition de l’expression " être cultivé " (et, plus globalement, de la notion de culture et d’intelligence).

Penser la culture, pensée complexe et réflexivité

Pour Bayard, la culture (au sens de "culture individuelle") " est d’abord une affaire "d’orientation". Ainsi, "être cultivé, ce n’est pas avoir lu tel ou tel livre, c’est savoir se repérer dans leur ensemble, donc savoir qu’ils forment un ensemble et être en mesure de situer chaque élément par rapport aux autres."
Ainsi, Bayard fonde sa définition de la culture sur une "théorie de la double orientation" : la culture individuelle se mesure à la capacité d’un individu à situer un livre parmi un ensemble d’autres livres ainsi qu’à se situer au sein de chaque livre. Aussi, cette notion d’"orientation" est essentielle car elle permet d’envisager la lecture comme un acte à la fois de pensée complexe et de profonde réflexivité.

En effet, la pensée complexe est indispensable pour comprendre l’idée que le livre passe le livre. Tout écrit se positionne par rapport à un ensemble d’autres écrits. Les livres dialoguent entre eux, forment un Tout dans lequel ils se situent et qu’ils portent en eux. Il convient donc de penser chaque livre par une approche hologrammatique : chaque livre appartient à ce Tout et le comporte. Pour qualifier ce "Tout", Bayard propose le concept de "bibliothèque collective" qui serait cet ensemble de tous les livres qui permet de situer chaque livre.
Dans cette bibliothèque collective, la compréhension de chaque livre repose sur la compréhension des livres qui lui sont voisins. Dès lors, penser la complexité du livre revient à sortir de son contenu pour se pencher davantage sur sa situation. Or, il n’est pas toujours nécessaire d’avoir lu tout un livre pour le situer. De plus, face à l’immensité du nombre de livres existants, le seul moyen d’offrir à chaque livre sa juste place dans la bibliothèque collective consiste à ne pas tous les lire mais à s’en faire une bonne idée en en saisissant l’essentiel.
Toutefois, si ce premier travail d’orientation est utile pour comprendre, il ne constitue pas la fin en soi de la lecture. Un deuxième exercice d’orientation est nécessaire pour situer le livre en soi. Que dit ce livre de moi ? Quel espace de dialogue intérieur ouvre-t-il ? Cette immense bibliothèque collective est faite de quelques livres qui nous ont construits, ont façonné notre rapport au monde et aux autres : Bayard parle de "bibliothèque intérieure". Par ce terme, il désigne cet "ensemble de livre […] sur lequel toute personnalité se construit".
Cette bibliothèque intérieure s’enrichit de livres lus, inconnus, parcourus, oubliés ou entendus. À chaque nouveau livre, un dialogue intérieur se noue : où le positionner dans la bibliothèque collective ? Où le positionner dans ma bibliothèque intérieure ? La lecture comporte donc une forte dimension identitaire : se laisser définir son rapport à la lecture c’est se laisser définir le rapport à son identité.
Plus le rapport à la lecture est émancipé de la domination sociale, plus le rapport à l’identité gagne en émancipation. Le livre passe le livre car il comporte à la fois tous les autres (bibliothèque collective) et tous ceux qui le lisent (bibliothèque intérieure).

Penser la non-lecture, se penser soi

Il nous reste des livres ce que nous en disons. Ainsi, "le livre disparaît derrière le langage". Qu’il s’agisse des discours intérieurs ou des discours tenus aux autres, le livre finit par constituer un objet sur lequel nous projetons nos souvenirs, nos fantasmes, nos idéaux, nos déterminismes inconscients. À cet égard, comme Bayard, on peut qualifier tout livre de "livre-écran" :

"Dès le temps de la lecture, et même sans l’attendre, nous commençons, en nous puis avec les autres, à nous parler des livres, et c’est à ces discours et opinions que nous avons ensuite affaire, reléguant loin de nous les livres réels, devenus à jamais hypothétiques."

Mais… À quoi bon lire, alors ?
Cette question vient vite à l’esprit de la personne qui envisage le livre comme une fin. Or, et c’est tout l’objet de la théorie de la non-lecture développée par Bayard, le livre n’est qu’un moyen. Cet objet a vite fait de dépasser sa condition matérielle pour se laisser perdre dans les méandres de nos imaginaires.
Il ne s’agit pas de tomber dans un scepticisme radical en affirmant qu’aucun livre n’a de vérité en soi. Au contraire, la bibliothèque collective nous rappelle que les livres dialoguent entre eux, se ressemblent ou diffèrent. Tout ne dépend pas de l’individu et de sa seule bibliothèque intérieure.
Toutefois, si cette vue d’ensemble est nécessaire, elle n’est pas la finalité. Comme on l’a vu avec la bibliothèque intérieure et le livre-écran, les livres nous aident à nous construire, à trouver notre propre vérité, à devenir nous-mêmes.
Au-delà de cette construction personnelle, les livres sont des moyens pour discuter, échanger, partager des moments d’imagination collective. En effet, par nos discussions, écrites ou orales, physiques ou virtuelles, nous réécrivons les livres, les réinventons sans cesse. Ainsi, de cette bibliothèque collective, nous tirons une autre bibliothèque : la "bibliothèque virtuelle" qui est un espace de dialogue et de création.
Parce que l’oubli est inévitable, que l’objet matériel du livre n’est qu’un moyen, faisons de nos discussions sur les livres des moments d’invention, d’émulation et non de jugement ou de contrôle de connaissances. Résister à la question "tu l’as lu ce livre ?" en se remémorant cet éminent propos de Bayard (p.138) :
"Les lecteurs comme les non-lecteurs sont pris, qu’ils le veuillent ou non, dans un processus interminable d’invention des livres, et que la véritable question n’est pas, dès lors, de savoir comment y échapper, mais comment en accroître le dynamisme et la portée".

Pour une poétique de la discussion

Évidemment, briser le tabou ne signifie pas assumer le vice mais revenir à l’essentiel. Il ne s’agit pas d’affirmer que l’on peut tout dire sans trop se soucier de la vérité. Il s’agit d’affirmer que le souci de la vérité ne doit pas nuire au plaisir de l’imagination. Il ne s’agit pas d’affirmer qu’on peut prêter à autrui des idées qu’il n’a jamais porté. Il s’agit d’affirmer que l’on peut se construire ses propres idées sur la base de celles dont on imagine qu’elles ont été émises par un autre.
L’erreur serait d’en conclure que l’on peut conjuguer arrogance aveugle et cynisme. L’arrogance aveugle qui ment, ne reconnaît pas son ignorance, est incapable de se prêter au plaisir de rêver ou de converser ensemble. Le cynisme qui prête à autrui ce qu’il n’a jamais dit, tourne le dos à la vérité (ou, pire, ne s’en soucie guère). Le cynisme est l’ennemi de la complexité, il use de nos fragilités pour asseoir ses vices. Tout ce qu’il touche se transforme en pierre.

Parcourir des livres, voyager dans notre bibliothèque collective, s’émouvoir de nos livres intérieurs, tout cela doit demeurer intact. En effet, la réflexion proposée par Pierre Bayard doit nous inviter au plaisir d’imaginer ensemble, de discuter simplement, de rêver notre monde sans le besoin de tout connaître. Le droit à l’ignorance va de pair avec le devoir d’humilité. Ce dernier doit ouvrir les portes d’une vie plus poétique, plus simple, sans trop d’arrogance ni jugements inutiles. Et que le cynisme ne vienne jamais s’y mêler…

 

 

 

 

Du même auteur

Poche « Double »

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Voir aussi

Pour une nouvelle littérature comparée, in Pour Éric Chevillard, (Minuit, 2014)



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