Paradoxe


Peter Szendy

Tubes. La Philosophie dans le juke-box


2008
Collection Paradoxe , 96 p.
ISBN : 9782707320421
14.00 €


C'est Boris Vian qui semble avoir inventé l'usage argotique du mot tube, pour désigner une chanson à succès. C’est-à-dire, le plus souvent, une chanson quelconque, qui ressemble à toutes les autres et qui chante volontiers sa banalité même.
Or, ces mélodies, ces airs comme ça nous hantent, prolifèrent en nous comme des vers d’oreille. Jusqu’à devenir parfois la bande-son de notre vie, commémorant tel moment passé, tel vécu singulier.
Comment penser cette conjonction paradoxale, propre sans doute aux tubes, entre le plus banal et le plus singulier ? Comment le cliché musical qui circule jusqu’à l’usure peut-il être porteur de l’unique, d’un affect à nul autre pareil ?
À ces questions, ce sont d’une part les tubes eux-mêmes qui répondent, si on sait leur prêter l’oreille : les histoires que racontent nombre d’entre eux (Je suis venu te dire que je m’en vais ou Parole, parole, parole, parmi tant d’autres qui habitent ces pages) parlent indirectement de leur propre pouvoir, des obsessions qu’ils suscitent.
Mais, d’autre part, les tubes demandent aussi à être pensés, à être élevés à la dignité d’objets philosophiques. Aussi est-ce en lisant Kierkegaard, Kant, Marx, Freud ou Benjamin que l’on tente ici d’interpréter leurs rapports avec l’argent, ainsi que l’épreuve de la reprise dont ils nous font faire l’expérience.
Enfin, pour les voir à l’œuvre dans leur manière unique d’articuler la psyché et le marché, il fallait se rendre au cinéma. De Fritz Lang à Alain Resnais, en passant par l’incontournable Hitchcock, les tubes apparaissent comme cette production inouïe du capitalisme avancé : un hymne intime à l’échange.

ISBN
PDF : 9782707327758
ePub : 9782707327741

Prix : 9.99 €

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Aliocha Wald Lasowski, Le Magazine littéraire, octobre 2008

Voilà un tube entendu par hasard, à la radio ou au café, une chanson qui rythme nos pas. Existe-t-il une logique du tube et de son succès ? Le philosophe et musicologue Peter Szendy livre son étonnement face à la démangeaison musicale, banalité d'un « ver d"oreille », interchangeable comme la marchandise dont Marx et Benjamin ont analysé la fantasmagorie fétichiste : le tube, « cette rengaine qui traîne sans qualités ». Qui flâne donc, ici, sinon l’air lui-même ? demande Szendy. Paroles, paroles (1971), chanté d’abord en italien, puis repris par Dalida et Alain Delon, met en scène son désir d’être le pur chant, qui en finit avec les mots, « seulement des mots ». La chanson déploie ses jeux de séduction pour faire revenir ce tourment qui habite ceux qu’elle assaille en leur promettant à leur insu un incessant retour, quand jaillissent, comme la première fois, come la prima volta, l’envolée du refrain et le sublime de la répétition.
Nouvelle métaphysique des tubes : tout se répète et recommence. C’est à travers l’obsession mélodique, sa répétition circulaire, que Szendy dévoile « la mise en scène dans laquelle le tube se montre en quête de lui-même ». Le musicologue s’appuie sur La Reprise, essai de psychologie expérimentale de Kierkegaard, dont le nom du narrateur, Constantin Constantius, est déjà une répétition ; il analyse On connaît la chanson d’Alain Resnais (1997), où les personnages sont comme ventriloqués par les tubes ; il revient sur The Haunting Melody, expérience « mélopsychanalytique » de Theodor Reik, fidèle disciple de Freud,qui montre comment un air de Mendelssohn, Auf Flügeln des Gesanges (Sur les ailes du chant), nous hante comme un fantôme et provoque l’engouement, au double sens du mot (des bouchons dans la psyché, ou des élans d’enthousiasme).
A suivre leurs péripéties fredonnantes, les tubes apparaissent comme une singulière force d’irruption réitérée, circulant du chanté au parlé, d’une scène à l’autre. Dans l’aller-retour du refrain, tant de chansons parlent d’elles-mêmes, comme l’écrit Gainsbourg : « je suis venu te dire que je m’en vais ». Tel est le paradoxe qu’épingle Szendy : l’accès à soi le plus singulier passe par le quelconque, s’ouvre dans l’expérience du banal, entrebâillé à la faveur d’une chansonnette. Les tubes, « inventions capitales du capitalisme avancé », ne cessent de monnayer l’unique dans le cliché, l’incomparable dans l’interchangeable, la psyché dans le marché. Mélancolie des airs les plus simples, qui nous font pleurer une fois encore - rimpiangere, dit Fellini – sur la part perdue de nous-mêmes.

Eric Loret, Libération, jeudi 23 octobre 2008

Dans la famille philosophie, je demande le rockeur. Il n'est plus si rare depuis que Richard Pinhas a fait chanter Deleuze et que la «ritournelle» valse sur toutes les scènes alternatives. Mais Peter Szendy, 42 ans, maître de conférences à Nanterre, ne se sert justement pas de Deleuze pour interroger les Stones ou Daft Punk. Il n"est pas estampillé «fresh» ni «pop» philosophie. Et il nargue même le dernier chic théorique en cocuant Gainsbourg et Pink Floyd avec Eddy Mitchell et (ouiiii c’est bon) Dalida, qu’il mêle allègrement à Liszt ou Berg.
Depuis Ecoute en 2001, la plupart des essais de Szendy font «l’archéologie de nos écoutes musicales», voire de «nos oreilles». La philosophie de l’art avait beaucoup interrogé le regard. Il était temps de désensabler à leur tour les portugaises de cette métaphore papillaire généralisée du «goût» qui hante l’esthétique et de voir comment chaque oreille en contient une autre. Après Sur Ecoute, une «esthétique de l’espionnage» où, de Monteverdi à Derrida ou Brian De Palma, se creuse tel un terrier secret une «taupologie de l’ouïe», voici Tubes, qui interroge la rengaine, la scie ou, comme disent les Anglais et les Allemands, le «ver d’oreille». Par exemple, quand on a la Danse des canards qui siphonne le cerveau et que le seul moyen de l’en chasser est de la remplacer par une boucle pire, genre Chapi Chapo de François de Roubaix ou Can’t Get You out of My Head par Kylie Minogue mauvaise pioche eu égard au titre.
On n’apprendra pas dans Tubes comment en composer un ni comment y échapper. En revanche, on verra pourquoi et comment les moments les plus intimes de notre vie (premier baiser, vacances de l’amour…) peuvent pour nous s’incarner de façon singulière dans des chansons non seulement ennuyeuses à périr, mais paradoxalement communes à tous les abrutis de notre espèce. Ou de l’entubage comme communion dans le cliché. Pour cela, il faudra d’abord avoir envisagé les «fantasmagories fétichistes» des tubes, «leurs scènes autodésirantes, leur quête de l’unique à travers la reprise, leur va-et-vient et leur singulière manière d’articuler la psyché et le marché», ou ce qui constitue leur valeur d’échange. Avant de siffloter Je suis venu te dire que je m’en vais, Peter Szendy a bien voulu expliciter la place de Tubes dans sa bibliographie.
Votre sujet de prédilection, plus que la musique, est l’écoute.
Oui. Dans un premier temps, avec Ecoute - Une histoire de nos oreilles, j’ai essayé de substituer un modèle ternaire de l’écoute au modèle binaire qui voudrait la réduire à un sujet auditeur face à l’objet se donnant à entendre. J’ai voulu montrer que l’écoute ne se passait pas dans un face-à-face à deux, mais à trois. Car l’écoute s’adresse toujours à quelqu’un. Mais, dès lors qu’on ouvre cette ligne droite qui relie le sujet à l’objet en lui faisant faire un angle vers l’autre, cette ouverture est potentiellement infinie. Le troisième point, le destinataire de mon écoute, peut en effet être un ou plusieurs, ça peut être vous, un autre en moi… Et si je prête l’oreille pour retenir, c’est-à-dire pour prélever et mémoriser, voire pour indexer ce que j’écoute sous forme de fragments ou de moments favoris, c’est toujours depuis cette structure d’adresse. C’est pour l’autre que je marque, que je remarque et que je m’approprie ce qui se donne à entendre.
L’adresse comme rapport à soi par l’autre, c’est ce que vous interrogez aussi dans «Tubes».
Ce qu’on appelle un «sujet» est au fond un rapport à soi - en termes savants on dirait une ipséité. Mais du rapport à soi, je dirais qu’il y en a avant le sujet humain, conscient, parlant. Disons qu’il y a du soi partout et que, ponctuellement, il se saisit. Or, le tube, c’est une forme très singulière du rapport à soi, si on la compare à d’autres. Un texte aussi se boucle sur lui-même, par exemple lorsqu’il se lit avant même qu’un lecteur ne le lise, comme je l’ai suggéré à propos du Moby Dick de Melville, dans les Prophéties du texte-Léviathan. Mais, dans le cas des tubes, ils parlent généralement d’eux-mêmes de façon plus immédiate encore, en décrivant ce qu’ils font quand ils le font. Pensez à la chanson de Gainsbourg Je suis venu te dire que je m’en vais. Le tube dit «je» : «Je viens t’obséder, te hanter, après je te quitte puis je reviens…» On pourrait trouver de multiples exemples. Si le tube dit «je», c’est donc qu’il est un rapport à soi. Et c’est bien la raison pour laquelle il nous permet aussi d’accéder à nous-mêmes. Mais à nous-mêmes en tant qu’un soi déjà autre, passé. D’où la nostalgie des tubes, d’ailleurs. C’est-à-dire que le rapport à soi que le tube nous promet passe par une altérité, celle de ce tout-autre qu’est la «chose». Or, la «chose», c’est le plus grand mystère de la philosophie, de Kant à Heidegger ou à Lacan. Sans oublier Marx, puisque, dans le cas du tube, la chose, c’est aussi et surtout la marchandise.
Comment le tube nous permet-il donc cet accès à soi ?
J’avais rêvé de faire un relevé systématique de tous les tubes qui s’adressent directement à leurs auditeurs, qui disent «you», «toi». Le tube s’adresse à son auditeur et le happe dans un devenir du tube lui-même. Un bon exemple, ce serait la chanson de Mina reprise par Dalida et Alain Delon, Paroles, paroles. Le «gars», comme disait Boris Vian, y incarne le texte, le parlé. Et il s’adresse au chanté, à la «môme». Mais cette scène de ménage entre le parlé et le chanté, c’est-à-dire entre le tube et lui-même, c’est aussi l’histoire de la chanson comme histoire de tout le monde. Le parlé s’adresse à tous, à chaque «toi» en même temps qu’au chanté, si bien que le «toi» est happé dans le tube et il se met à y tourner en rond. «Ecoute-moi»,«une parole encore» : le tube, en se parlant, est cette course-poursuite de soi. Et nous, en tant que nous sommes visés par son «I want you», son «only you», nous sommes absorbés, incorporés dans cette forme du «narcissisme de l’autre chose», pour reprendre la belle expression de mon ami Gil Anidjar.
Plus généralement, on a l’impression que votre théorie de l’adresse fait écho à celle de Wittgenstein sur l’expression, le geste, comme seul commentaire possible d’une phrase musicale.
Je dirais que la musique exprime des corps. Elle les pousse au-dehors, vers l’extérieur, comme une plante. Il faudrait entendre ce verbe, «exprimer», un peu au sens physiologique d’exsuder. La musique exprime des corps, donc aussi des mimiques, des rires, un battement de pied, un flux cardiaque. Il s’y produit des inventions de corps qui ont des durées de vie très étranges, hétérogènes. C’est ce que je développe dans Membres fantômes. La main d’un pianiste a parfois littéralement plus de cinq doigts. Mais elle ne vit que la durée d’une phrase, d’un phrasé. Il y a des corps aussi auxquels la musique donne naissance et qui ont une durée bien plus grande, comme les instruments de musique, lesquels configurent à leur tour les corps humains. La musique invente sans cesse des corps à corps extraordinaires et court-circuite les lois de l’évolution ou les inscrit au contraire dans des circuits plus long, qui font apparaître la temporalité de l’humain comme une belle exception - qu’elle est -, comme un cas singulier parmi beaucoup d’autres rythmes corporels possibles.
Quel type de corps le tube exprime-t-il ?
Le tube est lui-même un corps, en tant que rapport à soi. C’est ce que montre admirablement Resnais dans On connaît la chanson, film sur la ventriloquie ou la hantise. J’ouvre la bouche et ce n’est pas moi qui parle, c’est Johnny qui parle en moi. Ou c’est John Travolta dans Saturday Night Fever qui gesticule en moi, qui bouge mon bras. Mais le tube, en tant que corps tubulaire, est aussi la cristallisation, la prise de corps de cet autre avec lequel on a un rapport si intime et si aliéné : la marchandise. Le corps tubulaire est un corps à la fois figé, comme l’objet-marchandise qui s’échange dans son identité abstraite, et aussi éminemment plastique, qui se déforme, se reforme et possède la capacité d’absorber tant d’autres corps. Les nôtres.
Corps et marchandise, on pense aux fétiches de Freud et de Marx…
C’est Walter Benjamin qui le premier a fait se croiser vraiment Freud et Marx. Dans un fragment posthume intitulé «Le capitalisme comme religion», il suggère que la théorie freudienne est profondément capitaliste : il y a des «investissements», le refoulement produit dans l’inconscient des «intérêts»… Je pars de là pour décrire comment le tube, structure d’accès à soi, noue le marché et la psyché avec une force sans pareille. Le tube, cela va sans dire, c’est le marché. Le tube s’échange contre de l’argent, donc, mais les tubes s’échangent aussi entre eux. Et ils le disent eux-mêmes, c’est toujours la «same old story (same old song)» de B.B. King. Enfin, ils s’échangent contre nos affects, qu’ils accueillent infiniment. Ces affects ainsi investis nous reviennent capitalisés avec des intérêts. Et l’intérêt, dans le tube, c’est la nostalgie. Même les tubes les plus joyeux finissent par rapporter ce bénéfice de nostalgie en se liant à un moment, une époque, un été. En devenant la «bande son de la vie». Mais ce n’est pas seulement qu’ils accompagnent la vie, c’est aussi que, dans ce retour de profit nostalgique, on pense notre vie à partir de sa perte, comme quelque chose qui se clôt tubulairement sur soi. Car le bénéfice de nostalgie implique la perte : c’est consommé, je ne suis déjà plus là quand je pense ma vie comme étant devenue une forme, quand je me projette dans le tube pour revoir en retour défiler tel moment de mon existence. Avec cette appropriation de l’inappropriable - la vie, on en revient au narcissisme de l’autre chose : faire l’épreuve, dans son corps, dans le rapport à soi, de l’impossibilité d’être vraiment soi. En italien, «tube» se dit «tormentone». Grand tourment.

Jean-Baptiste Marongiu, Les Inrockuptibles, 11 novembre 2008

Tubes à essai

Quoi de plus naturel pour le philosophe de considérer comme sa « chose » la musique, la plus conceptuelle des productions humaines. Il est moins courant qu'il cherche à penser ce qui se joue de philosophique dans le juke-box, en se laissant envahir par la rengaine obsédante des tubes. On voit bien la machine, même si on n"en trouve plus qu’au musée : un truc américain à passer et repasser les 45t dans les bars et aux terrasses (surtout l’été), dont les plus joués devenaient, au cours des Trente Glorieuses, des tubes. Et pourquoi tubes ? C’est le nom que leur a donné, en 1957, Boris Vian, au lieu de l’expression populaire « saucissons », qu’il ne goûtait évidemment pas. Sa chanson Le Tube, interprétée par Henri Salvador, parlait justement de ces succès de l’industrie musicale, entêtants sans que l’on sache bien pourquoi.
Peter Szendy veut nous l’apprendre avec Tubes. Né en 1966, philosophe et musicologue, maître de conférences à l’université de Nanterre, conseiller à la Cité de la musique, auteur de livrets d’opéra (pour Aperghis), Szendy continue, depuis Ecoute. Une histoire de nos oreilles (Minuit, 2001), à explorer cette combinatoire de corps disparates qui fait que la musique est corps du musicien, de l’instrument, du chanteur - quand il se fait lui-même instrument – et, enfin et surtout, corps de celui qui tend son oreille : l’auditeur. Les tubes parlent d’Amour, d’un amour. Leur pouvoir réside dans la conjonction entre le cliché et l’unique. La répétition y est comme la garante de la différence : c’est déjà arrivé, cela reviendra et, à nouveau, ce sera unique, comme la première fois.
C’est d’ailleurs l’irruption de l’inédit dans la rencontre du singulier et du banal que confère aux tubes la dignité philosophique dont parle Szendy à la suite de Walter Benjamin, et qu’il explore, convoquant au passage Marx, Freud, Kierkegaard, mais aussi Alain Resnais, Fritz Lang, Alfred Hitchcock… Surtout, il ausculte ce que nous disent d’eux-mêmes les tubes, des archétypes comme Parole, parole, parole de Mina, Je suis venu te dire que je m’en vais de Gainsbourg, Imagine de John Lennon (qu’il déteste), Satisfaction de Mick Jagger et des Stones. Et tant d’autres, qui ont colonisé notre ouïe comme des virus ou des « vers d’oreille », selon l’expression allemande.
Le marché du tube, économique et psychique, est désormais mondialisé. Cela comporte une production exponentielle de « vers d’oreilles ». Faut-il alors penser le tube lui-même comme l’argent, à la manière du bon vieux Marx : un fétiche, un contenant vide qui n’a de valeur que dans l’échange ? Peter Szendy le pense, soulignant le caractère fantomatique du tube et de l’argent, signes et vecteurs de la circulation générale de marchandises et d’affects dans laquelle nos existences sont prises. Renvoyant à une absence, le tube capitalise du temps vécu, qu’il investit essentiellement dans l’auto-commémoration. Aussi la mélancolie est-elle sa marque de fabrique, de même qu’elle est inhérente à toute « bande-son de la vie », accompagnant une rencontre amoureuse à une époque, une saison, un moment… révolus. Enfin, c’est par l’évocation d’une perte, de notre perte, que le tube signifie notre présence et nous promet une autre chance. Que du baume pour nos oreilles.

Jean Birnbaum, Le Monde, 14 novembre 2008

Un air comme ça

Ce sont des ritournelles à la fois envahissantes et élémentaires, qui vous surprennent n'importe où, au café, dans la rue, et qui ne cessent plus de vous hanter : certains spécialistes du marketing contemporain désignent le phénomène d"une curieuse expression : le « ver d’oreille ». Jadis, dans une chanson écrite pour Henri Salvador, Boris Vian l’appelait plus simplement : « Un air comme ça. »
A ces rengaines envahissantes, Peter Szendy a voulu restituer une dignité philosophique. Il signe un bel essai consacré à la vie des Tubes, ces airs à succès qui en disent long sur notre société comme sur nos destins individuels. Pour cela, il étudie des morceaux célèbres (Dalida, Gainsbourg, Mick Jagger ou les Pink Floyd) et des films où les tubes font leur cinéma (notamment On connaît la chanson, d’Alain Resnais). Mêlant expérience musicale et flânerie philosophique, il convoque quelques références : Kant et sa Critique de la faculté de juger, un « essai de psychologie expérimentale » signé Kierkegaard, les textes de Marx sur le fétichisme marchand ou encore l’élaboration freudienne du « lapsus ».
Ainsi Peter Szendy prétend-il dévoiler le paradoxe de ces hymnes intimes : si ils possèdent nos esprits, c’est qu’ils articulent le singulier et l’universel, la psyché et le marché, l’inouï du quotidien et le triomphe de l’équivalence générale. Telle serait donc la vérité de ces « bandes-son » qui tournent en boucle : elles disent la vérité de notre  époque, l’intensité symbolique de nos désirs et la globalisation économique du cliché. « Elles reviennent alors, ces mélodies revenantes, elle reviennent en nous, malgré nous, pour nous parler de nous. Elles nous font même accéder à nous », conclut Szendy.


 

 

 




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