Théâtre


Bernard-Marie Koltès

Quai Ouest

suivi de Un hangar, à l'Ouest


1985
128 pages
ISBN : 9782707321961
11.00 €
2011. Nouvelle édition augmentée


« Un homme voudrait mourir. Il prévoit de se jeter dans le fleuve, dans un endroit désert, et, parce qu'il craint de flotter, il dit : “ Je mettrai deux lourdes pierres dans les poches de ma veste ; ainsi, mon corps collera au fond comme un pneu dégonflé de camion, personne n'y verra rien. ”
Il se fait conduire (dans sa Jaguar, qu'il ne sait pas conduire lui-même), sur l'autre rive du fleuve, dans un quartier abandonné, près d'un hangar abandonné, dans une nuit plus noire qu'une nuit ordinaire, et il dit à celle qui l'a conduit : “ Voilà, c'est ici, vous pouvez rentrer chez vous. ”
Il traverse le hangar, avance sur la jetée, met deux pierres dans les poches de sa veste, se jette à l'eau en disant : “ Et voilà ” ; et, avec de l'eau sale et des coquillages plein la bouche, il disparaît au fond du fleuve comme le pneu dégonflé d'un camion.
Quelqu'un, qu'il ne connaît pas, plonge derrière lui et le repêche. Trempé, grelottant, il se fâche et dit : “ Qui vous a autorisé à me repêcher ? ” Puis, en regardant autour de lui, il se met à avoir peur : “ Qu'est-ce que vous me voulez ? ” En voulant repartir, il s'aperçoit que sa voiture est toujours là, qu'on a mis le moteur hors d'usage, qu'on a crevé les pneus. Il dit : “ Qu'est-ce que vous me voulez, exactement ? ”»
Bernard-Marie Koltès

* Cette pièce a été créée en 1985 au Publiks Theater d’Amsterdam, dans une mise en scène de Stephan Froux, puis, en France, au théâtre Nanterre-Amandiers, le 24 avril 1986, dans une mise en scène de Patrice Chéreau, avec Maria Casarès, Jean-Marc Thibault, Jean-Paul Roussillon, Catherine Hiégel, Isaach de Bankolé.

‑‑‑‑‑ Extraits d’un entretien avec Alain Prique, Théâtre en Europe, janvier 1986. ‑‑‑‑‑

Il y avait, sur les bords de l'Hudson River, à l'Ouest de Manhattan, un grand hangar, qui appartenait aux anciens docks. Le port de New York avait depuis longtemps été déménagé vers Brooklyn, et ce hangar, parmi d'autres, était inemployé et inutile au trafic portuaire. En 1983, le maire de New York conformément à un plan de sécurité et de moralité, fit entourer ce hangar de grandes palissades de bois, il y eut même des gardes avec des chiens. Un an après, il fut rasé et il n'en reste aujourd'hui qu'une jetée sur pilotis qui s'avance vers la mer. J'ai eu l'envie d'écrire une pièce comme on construit un hangar c'est-à-dire en bâtissant d'abord une structure, qui va des fondations jusqu'au toit, avant de savoir exactement ce qui allait y être entreposé ; un espace large et mobile une forme suffisamment solide pour pouvoir contenir d'autres formes en elle. (…)
Peu d'endroits vous donnent, comme ce hangar disparu, le sentiment de pouvoir abriter n'importe quoi – je veux dire par là : n'importe quel événement impensable ailleurs. Alors, bien sûr, ma première idée fut de s'y faire rencontrer deux personnes qui n'avaient aucune raison de se rencontrer, nulle part et jamais. Ainsi sont nés Koch et Abad.
Il m'arrive parfois, lorsque je suis avec une personne dont rien, je dis bien : rien – sauf le fait de manger de dormir et de marcher – ne ressemble à telle autre, il m'arrive de me dire : et si je les présentais l'une à L’autre, qu'arriverait-il ? Dans la vie bien sûr, il n'arriverait rien ; les chiens s'accommodent bien des humains sans être quotidiennement stupéfaits des différences. Il faut des circonstances, des événements, ou des lieux bien précis pour les obliger à se regarder et à se parler ; la guerre, la prison en sont, je suppose ; ce hangar en était un ; le plateau de théâtre en est un, certainement. (…)
Les motivations qui me poussaient à écrire cette pièce étaient si nombreuses qu'elles ont fini par constituer la principale difficulté à l'écrire. Imaginez qu'un matin, dans ce hangar, vous assistiez à deux événements simultanés ; d'une part le jour qui se lève, d'une manière si étrange, si antinaturelle, se glissant dans chaque trou de la tôle, laissant des parties dans l'ombre et modifiant cette ombre, bref, comme un rapport amoureux entre la lumière et un objet qui résiste, et vous dites : je veux raconter cela. Et puis en même temps, vous écoutez le dialogue entre un homme d'âge mûr, inquiet nerveux, venu là pour chercher de la came ou autre chose, avec un grand type qui s'amuse à le terroriser et qui. peut-être, finira par le frapper pour de bon, et vous dites : c'est cette rencontre-là que je veux raconter. Et puis très vite, vous comprenez que les deux événements sont indissociables, qu'ils sont un seul événement selon deux points de vue, alors vient le moment où il faut choisir entre les deux, ou plus exactement : quelle est l'histoire qu'on va mettre sur le devant du plateau et quelle autre deviendra le décor. Et ce n’est pas obligatoirement l'aube qui deviendra le décor (…).

ISBN
PDF : 9782707330772
ePub : 9782707330765

Prix : 7.99 €

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