Romans


Julia Deck

Monument national


2022
208 pages
ISBN : 9782707347626
17.00 €
29 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


Au château, il y a le père, vieux lion du cinéma français et gloire nationale. Il y a la jeune épouse, ex-Miss Provence-Alpes-Côte d’Azur, entièrement dévouée à sa famille et à la paix dans le monde. Il y a les jumeaux, la demi-sœur. Quant à l’argent, il a été prudemment mis à l’abri sur des comptes offshore.
Au château, il y a aussi l’intendante, la nurse, le coach, la cuisinière, le jardinier, le chauffeur. Méfions-nous d'eux. Surtout si l’arrêt mondial du trafic aérien nous tient dangereusement éloignés de nos comptes offshore. 

ISBN
PDF : 9782707349019
ePub : 9782707349002

Prix : 8.99 €

En savoir plus

Renaud Pasquier, La Croix, 6 janvier 2022

Crises et faux-semblants

Autour d’une gloire vieillissante du cinéma français, Julia Deck met en scène une galerie de personnages hauts en couleur qui tentent d’ajuster leurs rêves à la réalité.

Le « monument national », c’est Serge Langlois, équivalent fictif d’un Delon ou d’un Belmondo, gloire vieillie du cinéma français autour duquel gravitent, en son château, les nombreux personnages du roman. Choisir pour titre ce cliché emphatique est bien dans la manière ironique et pince-sans-rire de Julia Deck, bien connue depuis Viviane Elisabeth Fauville, son premier roman paru en 2012, et l’on se délecte à nouveau, dans ce cinquième livre, de son art de peindre l’époque, élégamment mais impitoyablement, en touches légères et cruelles
On retrouve aussi son goût du genre « policier farfelu », des secrets enfouis et des complots obscurs, habilement noués dans deux lignes narratives principales qui convergent vite : celle de la chute annoncée de la Maison Langlois ; celle de la trajectoire intrigante d’une mystérieuse caissière de Super U, « Cendrine », dont on sait d’emblée qu’elle tait son vrai nom. Ajoutons que la jeune narratrice, fille adoptive de Langlois, paraît de moins en moins fiable au gré du roman.
Autour de Langlois, la famille, les employés et autres satellites constituent une faune hétéroclite, où le choc entre les intérêts des uns et les ambitions des autres nourrit un récit foisonnant. On croise ainsi Ambre, la jeune épouse ex-Miss Provence, avide de popularité numérique, Abdul le beau coach sportif venu de banlieue, Madame Eva l’intendante guindée, Ralph le chauffeur taiseux, Aminata, l’affriolante collègue de Cendrine, et bien d’autres figures singulières, avec une apparition brève mais réjouissante du couple Macron. Si, avec un tel casting, Deck puise à plaisir dans la veine boulevardière, son écriture sobre et malicieuse met en scène un spectacle qui évoque moins une franchouillardise à la Christian Clavier que les farces grimaçantes et sophistiquées des frères Coen.
Surtout, au-delà de la virtuosité narrative, Monument national esquisse une réflexion sur les fantasmes et les rêves qui nous animent. Chaque personnage s’efforce de façonner une image de soi-même et du monde et de l’ajuster, tant bien que mal, à la réalité : l’une « instagramme » sa vie, l’autre rêve d’être star de la chanson, celle-ci invente des êtres imaginaires, celle-là une identité nouvelle, etc. Ainsi l’évocation récurrente des Gilets jaunes ou celle du confinement ne sont pas de simples toiles de fond pour « faire contemporain » : elles indiquent l’horizon collectif, socio-politique de cette tension entre les désirs et leur accomplissement, dans un roman qui est plus qu’un divertissement haut de gamme.

 


 
Lire l'entretien de Johan Faerber avec Julia Deck dans Diacritik du 5 janvier 2022


 

Lire l'article de Norbert Czarny "La chute de la maison Langlois", En attendant Nadeau, 12 janvier 2022


 

lire l'article de Christine Marcandier et Dominique Bry, "Julia Deck et la société du spectacle", Diacritik, 17 janvier 2022


 
Fabienne Pascaud, Télérama, 19 janvier 2022


Le « monument national » du titre, ce n’est pas le magnifique château tout près de Rambouillet où vit la riche famille Langlois, mais Serge Langlois lui-même. Ce vénérable acteur français, de la trempe de ses copains Delon et Belmondo, auquel le Festival de Cannes s’apprête justement à rendre hommage, comme le couple Macron. Le décalage ironique est d’emblée donné de cette délicieuse, rocambolesque et acerbe farce, où la réalité se joue de la fiction avec des accents de polar et de comédie de boulevard adroitement et cyniquement mêlés. Un peu à la manière du défunt dramaturge Robert Thomas, mais en plus sophistiquée. De Sacha Guitry, aussi, avec ses couples improbables et sa kyrielle de « domestiques » sarcastiques et désobéissants : de l’intendante obsédée de fait divers au chauffeur séducteur, du magnifique coach noir (ex-danseur de hip-hop) à l’inquiétante nurse et son fils hyperactif. Rapports de classe très théâtraux, hérités de Molière, aussi, ou de Marivaux. Comme chez ce dernier, les histoires d’argent règnent dans Monument national, où l’intrigue est contée à la première personne par une jeune surdouée de 7 ans, Joséphine. Elle a été adoptée par les Langlois, et on va peu à peu comprendre certains de ses troubles... Pas pires que ceux qui règnent en l’aristocratique demeure où Serge a épousé en troisièmes noces une ex-Miss Provence toquée de réseaux sociaux, et de trente ans plus jeune. Alors que gronde au dehors la révolte des Gilets jaunes, et que la famille Langlois est ostracisée par les « vrais » aristocrates aux alentours, l’empire financier de l’illustre cabot s’effondre. Mais notre star nationale de préparer jusqu’au bout des coups de théâtre.
Nous voilà donc chez les parvenus de la région parisienne, après un précédent roman chez les bourgeois moyens d’une zone avoisinante (Propriété privée, 2019). Jubilant et paradoxal diptyque sur nos « banlieues » où derrière l’intrigue sociale corrosive finement écrite, Julia Deck épingle nos fantasmes, mesquineries et préjugés. Retrouvant à travers un humour féroce mais joyeux la légèreté gracieuse des grands maîtres de nos pitoyables comédies humaines.


 

Pierre-Édouard Peillon, Le Monde, 21 janvier 2022

Comédie sociale dans le château d’une vieille gloire

Monument national, c’est un titre qui en impose, qui semble évoquer l’immuable et le vénérable. Mais on peut compter sur la malice de Julia Deck pour que vole en éclats ce bloc écrasant. A l’heure où se profile une campagne présidentielle déjà bien engagée sur la pente des débats concernant l’identité nationale, le cinquième roman de l’écrivaine s’amuse à traiter l’identité comme une notion pour le moins hasardeuse.
L’intrigue fait converger toutes les crises de notre époque – politique, sociale, sanitaire, financière – vers le château où Serge Langlois, vieux lion du cinéma français, coule une retraire paisible en compagnie de sa jeune épuise, ancienne Miss Provence-Alpes-Côte d’Azur, leurs enfant et leurs domestiques. Ce pourrait être les ingrédients d’une banale comédie de boulevard, ou d’un Downton Abbey en charentaises ; c’est, au contraire, un miroir brisé que l’écrivaine tend à notre temps. Plus d’un personnage change de nom en cours de route : ici les archétypes se réinventent au gré de leur envie ou des rapports de domination.
La comédie selon Julia Deck est viscéralement anarchique. Le récit feint la retenue dans un premier temps. Il s’agit de créer, après une alternance dans les chapitres, la rencontre entre les habitants d’une demeure cossue et de quelques personnages venus de Seine-Saint-Denis. Deux registres d’images se confrontent : les peoples trop visibles et les populations invisibilisées. Bourgeois et prolos sont dans un château, il y a forcément quelqu’un qui finit à l’eau…



Ecouter l'entretien d'Olivia Gesbert avec Julia Deck à La grande table sur France Culture, 24 janvier 2022



Mohammed Aïssaoui, Le Figaro, 3 février 2022

Gloire et héritages

Une comédie sur un vieux lion du cinéma entouré de sa famille nombreuse et de sa cour.

Ce Monument national est un drôle d’objet, assez rare dans le paysage éditorial français. Est-ce une fantaisie littéraire ou une farce sociale ? Un peu des deux. Julia Deck ne cesse de surprendre depuis son premier roman Viviane Élisabeth Fauville - superbe errance d’une quadra qui vient de tuer sa psychanalyste - jusqu’à son précédent, publié en 2019, Propriété privée - le récit d’un jeune couple, nouveau propriétaire d’un logement dans un écoquartier, dont la vie tourne au cauchemar à l’arrivée des voisins.
Chacun de ses titres épouse un registre différent. Et ce nouveau apporte son lot de surprises. Il mêle des personnages réels et d’autres de fiction. Ainsi le Monument national en question est un certain Serge Langlois, ancienne gloire du cinéma français, qui va fêter ses 70 ans. Il est riche d’une carrière qui lui a apporté célébrité et fortune. Il est marié à Ambre, une femme, de trente ans sa cadette, qui a été Miss Provence-Alpes-Côte d’Azur. Ils ont adopté des jumeaux. Il y a aussi Virginia, sa fille issue d’un mariage précédent, qui a à peu près le même âge qu’Ambre. Les deux sont de vraies rivales… Toute cette famille se retrouve au château de Rambouillet, avec une flopée d’autres personnes : l’intendante, la nurse, le chauffeur, le jardinier. On ne compte plus le personnel, plus ou moins dévoué.
Julia Deck orchestre avec maestria un huis clos dans cette belle demeure où le jardin, la piscine et les garages abritant vingt voitures de collection tiennent leur rôle. Parfois, le récit s’échappe du côté du Blanc-Mesnil et son magasin U, où l’on croise Cendrine et son fils intenable, ainsi qu’Aminata aux jupes de plus en plus courtes, qui en pince pour Abdul et sa petite notoriété dans les clips de rap… Ce va-et-vient Rambouillet-Blanc-Mesnil renforce la couleur tragicomique de la comédie. Une comédie au générique généreux, ce qui donne à la romancière l’occasion de brosser une galerie de portraits plus fous les uns que les autres. On imagine bien une folle pièce de théâtre.
Mordante et caustique
Soit, donc, Serge Langlois, qui a un certain âge au moment où on le rencontre. Son buste occupe le salon. On le dirait né d’un croisement entre Belmondo – Delon est cité – et Johnny. Surtout quand interviendront les affaires d’héritage – cette partie est géniale. En même temps, la réalité a montré qu’elle avait plus de talent que la fiction. La romancière n’a pas hésité à aller au bout de son idée avec ce roman qui mêle le vrai et le faux. Elle inscrit son récit durant le confinement et avec les « gilets jaunes ». Elle convie à la fête Brigitte et Emmanuel Macron. Bref, elle s’amuse. Le lecteur aussi. Julia Deck manie l’ironie et la dérision, non sans tendresse. Mais elle est mordante, caustique.
Sans doute le personnage le plus émouvant est-il Joséphine, la narratrice, cette fille de sept ans et demi, venue d’Asie centrale, adoptée par Ambre et Serge. A-t-elle un frère jumeau ? C’est possible : elle dit toujours « nous » quand elle parle. Elle porte le roman avec une étonnante maturité, un regard et un sens de l’humour qui emportent tout. Jubilatoire.

 

 

 




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