Romans


Marguerite Duras

Les Yeux bleus cheveux noirs


1986
160 pages
ISBN : 9782707310675
10.05 €


Une jeune femme au corps long et souple, un homme élégant, grand lui aussi. Ils se rencontrent ce soir-là dans un café de la station balnéaire. Il est désespéré, à cause de quelqu’un qu’il a vu par hasard le jour même, qui était celui qu’il attendait depuis toujours et qu’il voulait revoir coûte que coûte : un jeune étranger aux yeux bleus cheveux noirs. “ Quelle coïncidence ”, dit-elle.
Il demande à la jeune femme de venir dormir à son côté, dans la chambre nue qu’il habite face à la mer ; il la paiera. Elle accepte. S’ouvre alors une aventure intense et déchirante qui va les conduire l’un et l’autre au bord de la folie et de la mort.

------- Lettre à la presse ------

C’est l’histoire d’un amour, le plus grand et plus terrifiant qu’il m’a été donné d’écrire. Je le sais. On le sait pour soi.
Il s’agit d’un amour qui n’est pas nommé dans les romans et qui n’est pas nommé non plus par ceux qui le vivent. D’un sentiment qui en quelque sorte n’aurait pas encore son vocabulaire, ses mœurs, ses rites. Il s’agit d’un amour perdu. Perdu comme perdition.
Lisez le livre. Dans tous les cas même dans celui d’une détestation de principe, lisez-le. Nous n’avons plus rien à perdre ni moi de vous, ni vous de moi. Lisez tout. Lisez toutes les distances que je vous indique, celles des couloirs scéniques qui entourent l’histoire et la calment et vous en libèrent le temps de les parcourir. Continuez à lire et tout à coup l’histoire elle-même vous l’aurez traversée, ses rires, son agonie, ses déserts.
Sincèrement vôtre
Duras

ISBN
PDF : 9782707323637
ePub : 9782707323620

Prix : 6.99 €

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Marianne Alphant (Libération, 14 novembre 1986)

« Entrer dans le mythe implique d’autres risques, oblige l’écriture à cette “ inconvenance fondamentale ” que Duras montrait dans L’Amant. Et à ses suites : faire monter Christine Villemin sur la scène du sublime, avouer qu’elle a torturé, interviewer Mitterrand, faire précéder Les Yeux bleus cheveux noirs d’une lettre où l’écrivain joue son va-tout : “ C’est I’histoire d’un amour, le plus grand et le plus terrifiant qu’il m’ait été donné d’écrire. Je le sais. On le sait pour soi. ” Cet amour n’a pas de nom. Il est sans mots, “ perdu comme perdition ” “ Lisez le livre. Dans tous les cas, même dans celui d’une détestation de principe. Nous n’avons plus rien à perdre, ni vous de moi, ni moi de vous. ” Signé Duras. Duras telle qu’en elle-même, despotique, démunie. En pull à col roulé comme sur la scène, minuscule, Piaf dans sa robe d’orpheline.
On attendait L’Amant, on la bissait. Non. Elle efface tout et recommence. Le véritable amant n’est pas le premier, le Chinois. C’est celui qui a “ les yeux bleus cheveux noirs ”, et “ le teint blanc des amants. ” Il n’aime pas les femmes. “ Depuis toujours c’était sans doute lui qu’elle voulait aimer, un faux amant, un homme qui n’aime pas. ” Le style est indirect, la distance maximum. Au centre de l’histoire, un “ lieu funèbre ”, une scène de théâtre, une chambre où l’amour est impossible. Couchés, immobiles et nus, un homme et une femme, yeux bleus cheveux noirs l’une et l’autre comme “ le jeune étranger ” qu’ils aiment tous les deux, qu’ils ont perdu et pleurent d’avoir perdu. En même temps que la femme pleure de désirer l’homme et l’homme d’être empêché de la désirer. Ou plutôt il est dit qu’ils pleurent, eux-mêmes ne font rien, exposés, sacrés, désignés au culte. L’histoire est dite, lue par des acteurs qui tournent sur la scène autour du couple vêtus de blanc. Qui s’arrêtent parfois, recommencent, ou que d’autres remplacent. Dans la salle, le public.
Au début de L’Amant, Duras choisissait son image : “ la petite ” Française d’lndochine, à chapeau de feutre et chaussures lamé or, figure de l’inconvenance, “ c’est entre toutes celle qui me plaît de moi-même, celle où je me reconnais et je m’enchante. ” Dans Les Yeux bleus cheveux noirs, Duras se choisit en Duras ; elle est la main qui écrit, elle est l’acteur qui règle le ton, les lumières, les déplacements des autres acteurs, I’immobilité des héros et le silence de la salle, elle est aussi la femme couchée dont on dit qu’elle dort ou pleure, qu’elle est écrivain, et qui s’expose nue, le visage couvert d’un morceau de soie noire. Elle est tout elle est partout, elle reprend tous ses thèmes jusqu’à l’outrance, joue l’excès d’elle-même. Le grand hôtel, l’amour entrevu par la fenêtre et sa perte, les larmes, la folie, le désespoir, l’impossible, la jouissance mortelle, le bruit de la mer, les chaussures de tennis, les amants, leurs cris leurs larmes, continuellement leurs larmes.
Le public doit se taire. “ C’est à l’étendue de ce silence-là que I’on devrait mesurer la portée de la lecture tant dans son énoncé que dans son écoute. ” Le spectateur est soumis. Mais le lecteur a le choix. Il peut s’asseoir où Duras lui prescrit de le faire face à la scène ; il écoute derrière lui l’écrivain, et voit fasciné, ce que Duras lui dit de voir : un amour “ le plus grand et le plus terrifiant ” qu’il lui ait été donné de voir. Ou bien il s’installe de côté pour regarder Duras, pour la voir oser, pour cette peur, cette inconvenance. Ce jeu, ce risque, cet “ aimez-moi ” qui s’adresse à tous, au public autant qu’à l’amant. »

Patrick Grainville (Le Figaro, 1er décembre 1986)


« Déjà le titre, il faut oser... Du Delly presque. Il y a chez Duras une Margot sentimentale mais terriblement artiste. Une incorrigible midinette métaphysique. Prolotte et précieuse. Donc hybride, monstrueuse. Roturière à l’oral et au physique, mais aristocratique à l’écrit, jusqu’à la quintessence, jusqu’à la dégénérescence subtile. Le sublime chez Duras naît de cette rencontre improbable d’une mythologie de bonniche ineffable et d’un grand style de marquise détraquée. Tel est le charme de la tenancière sacrée de l’intériorité.
L’action se passe à Trouville, dans l’estuaire de la Seine. Ce royaume saumâtre où les falaises s’éboulent et où les vases dérivent. Duras en fait un pur théâtre. Quelques rochers noirs et massifs et la rumeur des eaux lui suffisent. Une héroïne, jeune, souple, en short, avec un foulard de soie noué aux reins. C’est simple, c’est fétichiste. Duras est obsédée par les grandes filles belles et pures, fêlées, inaccessibles. Exilées tragiques ou Bovary de luxe. Arrive un homme qui n’aime pas les femmes, dévoré par la douleur d’avoir perdu son amant aux yeux bleus et aux cheveux noirs. Le triangle est en place, dans une chambre, le couple impossible de la beauté à la soie noire et de l’homo blessé. Le troisième, c’est l’étranger, l’absent bleu, I’amant disparu.
Chaque roman de Duras tourne autour d’un moment terrible et indicible, où tout s’est dévoilé et dérobé en un éclair. Ce moment fatal, les personnages en ressassent l’illumination et le mystère. Cette fois, c’est un cri, une consonance d’Orient qui retentit un soir d’été dans un hôtel du bord de mer, la vision brusque d’un homme aux yeux bleus et aux cheveux noirs. Cependant pas d’analyse, pas de psychologie exhaustive. Duras raffole des labyrinthes et des lacunes. Les êtres ne sont jamais ce qu’ils sont. Des signes, des gestes insensés, quelques phrases sibyllines, des cris, des crimes émergent de l’inconnu, de l’immensité cachée de ce qui n’est pas dit.
C’est ainsi que Duras nous fascine. Comme si, tout de même, elle savait, elle, d’où ça sort et de quoi il retourne, mais ne pouvait pas vraiment le préciser, ne le sachant pas d’une façon rationnelle et continue mais intuitive et décousue, en devineresse des aberrations de l’âme. D’où cet air ingénu et rusé qu’elle a dans les interviews à la télévision. Cette frimousse enfantine, dodue, toute plissée de lucidité qui se délecte de ce qui affleure des coulisses, messages fulgurants ou fuyants.
Prolotte et pythie, oui ! Et patronne assise derrière le bar de la vie intérieure. Et nous clientèle de lecteurs éberlués, bleusaille déboussolée devant ce double menton éternellement puéril et prophétique. Déjà elle hume en provenance de son Mékong mental d’autres décrets inouïs et d’impérieuses complicités.
L’homosexuel paie chaque nuit la femme au foulard de soie noire pour qu’elle dorme avec lui. Mais l’homme ne la désire pas. Dès le début c’est cuit, c’est sans remède, c’est extrême, c’est du Duras. Ils dorment, ils se regardent, ils parlent. Les couleurs sont le blanc, le noir, un peu de bleu, de vie encore. La chambre bientôt sera déserte. L’obsession du temps qui passe est tragique. Un bateau blanc, la nuit, apparaît et disparaît le long du rivage comme un fantôme un passeur d’âmes, un voyageur ; vers la mort. Dans Les Yeux bleus cheveux noirs, il s’agit plus de la mort que de l’amour. Duras nous annonce un amour terrifiant, un amour indicible. Il y a chez elle ce pari de Margot héroïque soutenant jusqu’au bout que la fulguration de l’amour fou existe. Il y a cette emphase naïve qui traverse son œuvre. Mais ces personnages jumeaux qui se mirent dans leur sommeil, ce bateau qui passe, ces doubles, ce masque de soie noire plutôt qu’un rite érotique semblent ordonner une cérémonie de passage funèbre. Voyage vers la mort...
Duras écrit des phrases apparemment banales : “ Le plus terrible c’est l’oubli des amants. ” “ Le teint blanc des amants. ” “ La jouissance était à en perdre la vie. ” On dirait des refrains de chansons mélos. Ces phrases de roman-photo elle les inscrit dans un vertige, dans des répétitions obsédantes et ainsi leur confère une aura sublime.
Les Yeux bleus cheveux noirs est un roman plus intense que L’Amant. La chambre des amants est vraiment une autre chambre. Une chambre ultime. C’est merveille qu’après le grand tapage de L’Amant Duras ait pu écrire un livre plus beau, plus pur encore, enfoncé loin dans la nuit et dans la folie. La rumeur mortelle de la mer cerne la chambre des amants, qui voient passer leurs âmes sur un bateau blanc. Ce bateau est la plus belle image, la plus silencieuse de toutes les visions de Duras. C’est un roman où les amants dorment. C’est un grand roman du sommeil. Un seul baiser sera échangé pour sceller le sommeil d’lseut et de Tristan. »

Dominique Jamet (Le Quotidien de Paris, 6 janvier 1987)


« C’est un beau soir d’été, au bord de la mer, un soir que traverse, qu’illumine, que fixe pour toujours dans la mémoire, comme un flash une image sur la pellicule, aussi fugitive que le rayon vert, la fulgurance d’un cri.
On a dit que c’était à Trouville. Il se peut. Il y a d’abord l’été, une de ces journées rares où la lumière ne se décide pas à mourir, un hôtel au bord de la mer, des hommes, des femmes habillés de blanc. Il y a une grande plage, des rochers, une digue, des maisons le long de la route parallèle à la mer. Oui, c’est peut-être Trouville ou Deauville, ou Cabourg, ou toute autre plage à l’heure où le soleil se couche, et ce pourrait être aussi bien Saïgon, Hiroshima ou Nevers, et qu’il n’est question que des jouissances, des morsures, des tourments et des larmes d’un amour fou.
Donc d’abord le soir, puis l’hôtel, puis le cri, puis la rencontre, une série de rencontres. Soir après soir, nuit après nuit, un homme, une femme se retrouveront dans une chambre, à l’intérieur d’une maison isolée, mystérieuse, lui, élégant, pâle, meurtri, vulnérable, nu, bourreau, victime, elle, le visage recouvert d’un carré de soie noire, nue, consentante, dormant, caressant, tous les deux réunis par ce cri du début que j’ai dit, autour de l’absence, autour de I’absent, de ce jeune étranger aux yeux bleus, aux cheveux noirs – ce sont les plus dangereux, parce que les plus beaux – qui a traversé leur vie, qui a traversé le hall de l’hôtel, qui a disparu, tous deux à se souvenir, à pleurer, à se tuer, à se faire du mal, à se faire du bien, jusqu’à ce que l’été meure, jusqu’à ce que la blessure cicatrise, jusqu’à ce que le rideau tombe sur ce théâtre d’ombres vêtues de blanc.
On peut juger insupportables cette stylisation de toutes choses, aussi artificielle, aussi naturelle que n’importe quel parti-pris pictural, que le tachisme, ou l’impressionnisme, ou le pointillisme, ou le cubisme, cette façon de creuser en spirale l’entonnoir des passions et des perversités, ces redites incessantes et volontaires, ces négligences affectées, ces “ Elle dit... Ils pleurent .. Il raconte... Elle pleure. Elle dit... ”, cette litanie poétique, cette incantation où le vocabulaire est ce qui semble marquer le plus. On peut – on doit – tenir pour un procédé ce faux tremblement admirablement maîtrisé, d’une écriture superbe. Ce procédé s’appelle un style : on peut méconnaître un instant le compositeur de cette musique-là, son phrasé, son inimitable tempo ; au faite de la gloire, au zénith de son art, c’est Duras tout entière à l’amour attachée, telle quelle, telle qu’elle fascine, telle qu’elle agace... »

 




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