Romans


Bertrand de la Peine

La Méthode Arbogast


2013
128 p.
ISBN : 9782707323071
13.00 €
29 exemplairse numérotés sur Vergé ds papeteries de Vizille






Rien de tout cela ne serait arrivé s'il n'y avait pas eu ce moineau.
Ni cette chute du haut du bouleau.
Valentin Noze n'aurait pas connu le docteur Arbogast, ni sa méthode d'hypnose par l'image, encore moins ses grenouilles.
Il ne se serait pas retrouvé sur l'île de Madagascar, et n'aurait pas eu à fuir devant un cyclone ou à pourchasser un ancien mercenaire à travers la forêt de la Montagne d'Ambre...
Et puis surtout, il n'aurait pas rencontré Sibylle.
Bref, il n'aurait rien vu.

ISBN
PDF : 9782707327154
ePub : 9782707327147

Prix : 9.49 €

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Norbert Czarny, La Quinzaine littéraire, 16 septembre 2013

Apprivoiser les images

La méthode Arbogast existe et chaque spectateur ou lecteur la met en œuvre quand il contemple une toile ou un film, quand il lit. La preuve en est lorsqu’on lit La Méthode Arbogast de Bertrand de la Peine, à moins que ce livre ne soit l’œuvre de Valentin Noze, son héros. Un peu comme dans la publicité de « La vache qui rit », ou dans certaines histoires illustrées, filmées ou simplement mises en phrases, on est dans le doute.

On saura donc à la fin de ce roman qui est l’auteur de cette méthode qui tient son nom du docteur Arbogast, spécialiste du traitement de la douleur par l’hypnose, et d’autres choses encore sur lesquelles nous ne nous attarderons pas. Ce médecin est l’homme que consulte Valentin après sa chute. Une chute qui en provoque d’autres, beaucoup d’autres, pour Valentin et pour les divers protagonistes de ce roman qui commence par une image banale : un chien lève la patte et pisse contre un réverbère. Valentin croise une fillette dont le ballon s’envole pour s’accrocher à la cime d’un arbre. N’écoutant que sa bonté, à peine réveillé, il grimpe dans l’arbre et chute. Le ballon s’envole, la fillette pleure, l’histoire commence. Des céphalées tenaces et douloureuses conduisent le héros chez son médecin de famille, un certain Pirette, dont la salle d’attente est décorée d’un clown trop célèbre de Bernard Buffet (on verra que ce peintre est le premier d’une très longue série, qui n’est pas anodine). Pirette constate que l’hippocampe, partie du cerveau qui stocke la mémoire, est légèrement écrasé. D’où le recours aux méthodes du docteur Arbogast. Outre les boules dont il se sert pour pratiquer l’hypnose, le savant se sert de la céruléine, une substance recelée par une variété de grenouilles. Il l’injecte à ses patients, leur projette des images, et les détend ainsi. Il fait plus encore puisqu’il les rend capables d’établir des connexions inédites, de provoquer même des effets synesthésiques assez proches de ceux qu’obtenait Des Esseintes dans À rebours de Huysmans. Valentin se sent mieux. À ceci près qu’il apprend de Sibylle, secrétaire du docteur Arbogast, que les grenouilles sont le produit d’un trafic mené par le terrible Dominique-Olivier Goubert, alias D.O.G Ex-mercenaire, toujours malfaisant, D.O.G. vit de trafics d’animaux dénoncés par l’association Libertalia dont Sibylle est membre, et qui a son siège sur l’île de Diégo-Suarez, non loin de Madagascar. Le président de l’association est un certain Routledge dont on fera connaissance plus tard, très bientôt d’ailleurs puisque le rythme s’accélère. Repérée par D.O.G., Sibylle se fait enlever. Valentin part la sauver, se retrouve comme elle à Anvers et en route pour le repaire de D.O.G. tout près de Diégo-Suarez. Là se déroulera l’affrontement final entre le vaillant Routledge et l’infâme D.O.G.
Ainsi raconté, et ce résumé se veut fidèle à l’esprit du roman, La Méthode Arbogast ressemble à une bande dessinée ou à la plus fidèle adaptation de Tintin : L’Homme de Rio de Philippe de Broca avec Jean-Paul Belmondo et Françoise Dorléac. Pas de pause, pas de temps mort, de la fantaisie et des cascades. De Tintin, le roman a bien des traits. Bien que le lieu ne soit pas directement nommé, on reconnaît Bruxelles. On s’attendrait à croiser les Dupondt mais Arbogast comme Pirette ont quelque chose de Tournesol : l’obstination, le goût de ce qui est caché, par exemple. Routledge emprunte beaucoup à Haddock : sa soûlographie le rapproche du capitaine à la voix tonitruante. Les motifs de cette addiction sont différents et Valentin doit subir le visionnage répété de la cassette vidéo sur laquelle Routledge montre son mariage avec Soraya, à Dubaï, et la place que prend Virginia Woolf dans sa vie. Elle a ruiné sa relation avec la jeune femme et il ne s’en remet pas. La ressemblance entre Tintin et Valentin est moindre. Tous deux ont la chance de se remettre des chutes et de ne pas se blesser malgré les nombreux coups qu’ils reçoivent. Mais le héros de Hergé n’est pas sensible aux dames, la réciproque étant vraie, tandis que Valentin ne laisse pas indifférente Joanne, sa voisine chez Madame Kuypers leur logeuse, une jeune serveuse de Diégo-Suarez, et surtout Sibylle avec qui il passe un moment torride dans la demeure vide d’Arbogast.
L’art de Bertrand de la Peine s’apparente à celui du dessinateur, passant de case en case et utilisant les procédés du cinéma. Tel gros plan dans la rue nous montre les chaussures qu’arrose un bus, tel autre met en relief les détails peu esthétiques qui parsèment le physique des ménagères. Le trait clair de Hergé n’eût pas touché autrement. On passera sur des zooms, des travellings conduisant d’une case à l’autre (ou d’une séquence à l’autre) pour nous arrêter à ce que ce roman cache. Le découpage est très concerté ; chaque passage à la ligne crée de l’imprévu, relance la curiosité du lecteur.
Ce n’est pas tout, en effet, de rigoler, disait Zazie, convoquée ici et pas par hasard. Ce roman n’a rien d’une improvisation. Bertrand de La Peine propose pour commencer une belle galerie d’art. L’injection que subit une patiente d’Arbogast lui fait ouvrir la bouche tandis que sur un écran géant apparaît Le Cri de Munch. Plus loin, la côte de Diego Suarez ressemble à un Nicolas de Staël et la mer violette sous le ciel anthracite à un Rothko. Les références ne manquent pas, justifiées par le fait que Valentin est iconographe stagiaire et que la méthode Arbogast a réveillé toutes les potentialités de sa mémoire visuelle. Cette faculté n’est pas la seule. Arrivant dans la galerie de la Reine, le héros passe devant une confiserie et on pourrait écrire en titre « Olfactif » pour désigner le petit exercice de style auquel se livre le narrateur. On s’amusera aussi des jeux sur le double, de l’ambiguïté de certains mots. Ainsi de ces gouttes qui tombent lorsque Valentin chute la première fois. Sont-elles de sang ? D’eau ? Elles sont bonnes pour les bégonias. Le zeugme est la figure de style qui permet dans ce domaine toutes les fantaisies : Madame Kuypers, la logeuse de Valentin, qui participe à une émission de télévision dont elle disparaît un jour « avec une coquette somme ainsi que les coordonnées de deux ou trois techniciens de plateau ». On connaît aussi « allitération » et on entend ces adolescents qui « slaloment entre poubelles et poussettes, poteaux et pochetrons ». Et puis il y a les contrastes que n’aurait pas reniés l’un des maîtres de Queneau, qui en use dans Madame Bovary : au plus fort d’une scène d’amour, on entend les « modulations narquoises d’une chouette invisible ».
On ignore si Tintin est le surnom d’un Valentin ; on sait que ce prénom tient au cœur de Queneau, comme les chiens qui pissent, la fantaisie et l’esprit scientifique. C’est donc avec tout cela dans l’hippocampe qu’on lira ou relira La Méthode Arbogast, histoire de tout voir.


Christophe Kantcheff, Politis, jeudi 26 septembre 2013

Avec la Méthode Arbogast, Bertrand de la Peine emprunte avec le sourire au roman d’aventure.

De tout petits faits peuvent avoir d’importantes conséquences. Ainsi, le personnage principal de La Méthode Arbogast, Valentin Noze, est entraîné de fil en aiguille dans des aventures abracadabrantesques. Qu’on en juge : c’est parce qu’un matin le pain de son petit-déjeuner est trop dur que Valentin, jeune homme tranquille vivant en Belgique, va se retrouver à Madagascar sur la piste d’un trafiquant d’espèces animales protégées, en particulier les Mantellae aurantiaca, des grenouilles qu’on ne trouve que dans la forêt de la Montagne d’Ambre…
Nombreux sont les écrivains qui ont détourné les codes du roman d’aventure. Plusieurs, d’ailleurs, sont publiés par les éditions de Minuit ou sont passés par elles : Antoine Volodine, Jean Echenoz, Patrick Deville… Pour son troisième roman, Bertrand de la Peine emprunte incontestablement au genre. Mais, au lieu de le poser dès les premières pages, l’auteur joue sur un effet de bascule au cours du roman, l’ampleur de l’aventure n’apparaissant que peu à peu. L’incipit atteste d’ailleurs très bien – non sans ironie – de l’anodine et familière situation de départ : « Un chien lève la patte, pisse contre un réverbère, puis repart en trottinant. »
Du roman d’aventure, Bertrand de la Peine exploite avant tout la veine populaire, avec notamment un personnage de médecin, Arbogast, qui pourrait sortir d’une bande dessinée de Tardi : pratiquant l’hypnose, il extrait à vif et avec une seringue une substance sédative des fameuses grenouilles, qu’il garde dans un placard secret.
La Méthode Arbogast a aussi ce côté loufoque et jouissif qu’on trouve, par exemple, dans L’Homme de Rio, le célèbre film de Philippe de Broca. Valentin est entraîné presque malgré lui dans une course-poursuite athlétique contre les ravisseurs d’une belle jeune fille dont il est tombé amoureux, Sybille, secrétaire du Dr Arbogast et militante clandestine d’une association contre le trafic des animaux protégés.
Avec La Méthode Arbogast, Bertrand de la Peine déploie comme jamais sa phrase souple et savante et son imaginaire débridé. Mais il suggère aussi, à demi-mot, que l’existence vaut peut-être d’être vécue à plein régime et portée par de grands sentiments. Ainsi écrit-il à propos de son héros au cœur du danger : « Malgré les épreuves qu’il vient de traverser, il se sent tout simplement vivre pour la première fois de sa vie. »

Jean-Claude Lebrun, L’Humanité, jeudi 12 décembre 2013

Bertrand de la Peine
La ligne claire

Après Les Hémisphères de Magdebourg (2009) 
et Bande-son (2011), le troisième roman de l’auteur, né en 1962, vient confirmer l’inventivité d’une écriture en laquelle la double influence de Jean Echenoz et Christian Oster se donne à reconnaître. Le premier, par les rapprochements incongrus et le sens de l’image. Ainsi ce chien, tout droit sorti d’Au piano, croisant en ouverture une fillette « leste, comme allégée par l’hélium » du ballon de baudruche dont elle tient dans une main la tige métallique. Le second, par le sens des enchaînements burlesques, façon concaténation. Le ballon, maintenant envolé, se trouve aspiré par un vol de moineaux. L’un d’eux vient alors à se poser sur un œil-de-bœuf, voit à l’intérieur un habitant se préparer un café. Il semblerait que la focale se porte désormais sur celui-ci, sur ses faits et gestes matinaux, sur sa nuit agitée. Puis le… ballon repart, s’accroche dans les branches d’un arbre. Le moineau, « petite boule montée sur ressorts », tape du bec contre la vitre. L’homme s’approche, pose sur le rebord de la fenêtre sa baguette de pain rassis. Il ouvre et celle-ci tombe dans l’arbre, entraîne dans sa chute un nid d’oiseaux… Valentin Noze, personnage central du sautillant récit, vient d’entrer en scène. Et, jusqu’à l’épisode ultime, va se trouver propulsé dans une irrésistible succession d’aventures à la logique pareillement aléatoire. Au rythme des cases d’une bande dessinée à la ligne claire.
Car Valentin Noze se présente comme un moderne Tintin qui ose à peu près tout. À commencer par grimper dans l’arbre pour décrocher le ballon. Et immanquablement chuter. Cette succession d’événements minuscules a lieu dans une ville dont le nom n’est pas cité. Mais enfin, l’interminable rue Vanderkindere (clin d’œil à Jean-Philippe Toussaint, habitué des parages ?), la rue Américaine et la maison Horta, les galeries de la Reine : le jeune homme habite bien dans la petite métropole européenne qui, au 20 de sa rue des Sables, abrite un important Centre de la bande dessinée. Bertrand de La Peine tient ici les rôles du scénariste et de l’illustrateur. Tirant les ficelles, inventant d’invraisemblables aventures, il expédie finalement Valentin Noze non loin de Madagascar. Parce que la chute inaugurale a déclenché chez celui-ci de térébrantes migraines, personne d’autre que le docteur Arbogast ne peut les soigner. Père d’une célèbre méthode d’hypnose par l’image, le praticien utilise pour ses traitements les propriétés d’une certaine espèce locale de grenouilles, dont le commerce est interdit : 
les batraciens produisent un psychotrope puissant… Le récit déchaîné multiplie détours et surprises, pour le plus grand ravissement du lecteur emporté dans l’embrouillamini. Tout cela est fantastiquement drôle. 
Et terriblement cultivé.
Noze, lui-même stagiaire en iconographie, 
va se frotter en effet aux images d’Arbogast, qui toutes ont à voir avec la peinture. Magritte, évidemment, 
dont le musée s’élève non loin des galeries de la Reine, mais aussi Peter Klasen, Soulages, Rothko… 
Le texte s’épaissit peu à peu d’un nuage de références qui laisse entrevoir le sérieux de cette drôle d’écriture. Comme aussi la variété des figures rhétoriques. 
Et le recours à de somptueuses allitérations (la vision, dans un supermarché, des « poubelles et poussettes, poteaux et pochetrons »). Bertrand de La Peine, à n’en pas douter, s’inscrit dans le meilleur de la tradition du roman comme espace de jeu.

 




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