Romans


Bertrand de la Peine

Bande-son


2011
128 p.
ISBN : 9782707321411
13.20 €
25 exemplaires sur Vergé des papeteries de Vizille, 40 €


Sven Langhens prépare une exposition qui doit accueillir, dans le Luberon, les plus grands noms de la création contemporaine dans l'univers du son. Contraint de rentrer à Paris alors que sa femme le quitte, l'artiste danois trouve dans une malle, un ouvrage ancien sur les « pierres chantantes » écrit par un certain Rudolf Erich Raspe. Cette lecture le conduit en Irlande, le jour où l’on célèbre, sur le domaine de Mrs Scott, la première cuvée de poiré. Dans la demeure de la vieille dame, Sven va suivre les traces de ce Raspe, éminent géologue, auteur des Aventures du Baron de Münchhausen et grand mystificateur du XVIIIe siècle, jusqu’à découvrir, entre les mains du vent, ce qu’il ne pensait pas chercher.

ISBN
PDF : 9782707327215
ePub : 9782707327208

Prix : 9.49 €

En savoir plus

Marine Landrot, Télérama, 5 janvier 2011

Comme son titre l'indique, Bande-son est un livre qui se lit tout ouïe, à l'affût des ultrasons cachés entre les mots. Artiste contemporain spécialisé dans les installations acoustiques, Sven Langhens a tout du snob : il mange des crackers en écoutant sa Bang & Olufsen, et enregistre, à grand renfort de micros sophistiqués, le bruit de l'escargot croquant un bout de salade romaine. Pourtant, le ridicule est vite tué chez ce héros danois échoué en France, telle Alice au pays des merveilles, en retard ou en avance, il ne sait plus. Dans son deuxième roman, Bertrand de La Peine donne à entendre un écho cristallin de la poésie de Lewis Carroll, dont le célèbre « slictueux ! » s'est même glissé entre les lignes, rédigées serré-serré. Le livre n'a pour autant rien de l'exercice de style. C'est une complainte stridente sur la peur de ne pas se distinguer, sur l'angoisse de la transparence et du silence. A travers sa quête du « singstein », une pierre très rare émettant des sons, Sven Langhens cherche à entendre la voix intérieure des êtres qui l'ont précédé sur terre, dans l'espoir qu'ils lui transmettent un secret de vie.
Styliste tranchant, doté d'un humour déchiré qui fait imperceptiblement tanguer son roman, Bertrand de La Peine a le sens de l'effraction, de l'irruption, de la cassure. Un ULM qui brise le silence, une femme qui soudain « décapite les bouteilles de lait. Explose les nouilles. Pulvérise le riz. Trucide les boîtes de conserve ». Un ancêtre qui chuchote ses passions géologiques dans une langue subitement précieuse : « Après avoir emprunté un raidillon, je descendis explorer la texture minérale des lieux, et me complus à observer les veines délicates du schiste irriguant le basalte. Mes doigts caressèrent le renflement gris-beige de silice qui ourle la roche. » Loin de toute cacophonie, cette polyphonie finit par ne plus faire qu'une voix. Celle d'un écrivain qui s'impose en toute discrétion.

Julien Bisson, Lire, février 2011

Bande (très) originale

Un spécialiste des microsons part pour l'Irlande à la recherche de « pierres chantantes » et du baron de Münchhausen. Fantasque et savoureux.

Il y a du Jean Echenoz chez cet homme-là - et pas seulement parce qu"il est, comme l’auteur de Ravel, natif du Vaucluse. Remarqué il y a deux ans pour Les Hémisphères de Magdebourg, son prometteur premier roman, Bertrand de la Peine témoignait d’un goût semblable pour la satire et l’ambiguïté, à l’image de son formidable « méchant », le trafiquant d’art monsieur Ben. Mais si la prose impeccable de ce jeune romancier, aujourd’hui professeur à Mayotte, n’est pas sans rappeler celle de son aîné chez Minuit, ce dernier conserve néanmoins sa musique propre, en fait foi la parution de Bande-son, chronique truculente des tribulations du dénommé Sven Langhens.
« Cet artiste danois s’était peu à peu imposé dans le monde de l’art contemporain en créant des installations composées de microsons inaudibles pour une oreille normalement constituée », apprend-on dès les premières pages du livre. Installé dans une magnanerie du Luberon, ce grand Viking adepte de vodka et de harengs aime ainsi à traquer le tâtonnement des taupes dans leurs galeries, l’épanouissement des crocus au printemps ou la mastication des feuilles de laitues par les escargots. Rien en somme qui ne plaise franchement à son épouse, la belle Gerda, qui décide de mettre les voiles en laissant derrière elle un pêle-mêle d’affaires, « une quinzaine d’années de vis commune résumées en un mètre cube ».
C’est dans ce fatras que Sven Langhens déniche un recueil ancien, rédigé par un certain Rudolf Erich Raspe. Eminent géologue allemand du XVIIIe siècle, ce dernier paraît avoir mené une « existence particulièrement chaotique », tout à la fois chapardeur, mystificateur, mais aussi premier narrateur des aventures du baron de Münchhausen. Intrigué par les travaux de ce lointain ancêtre sur les singstein, notre héros va alors s’embarquer pour une virée improbable dans la lande irlandaise, à la recherche de ces « pierres qui chantent » aux propriétés acoustiques étonnantes… Déroutant sur le fond comme sur la forme, cet imprévisible récit suit avec humour la trace d’un homme qui s’égare pour mieux se trouver. Et c’est en amateur de free-jazz que l’on savoure cette Bande-son inspirée, qui mériterait sans mal une déclinaison à l’écran.

Marianne Payot, L'Express, 19 janvier 2011

Le chant des pierres

Bertrand de la Peine dresse le portrait d"un étonnant « bioacousticien » danois réfugié dans le Vaucluse. Réjouissant.

On s’en réjouit déjà. Bertrand de la Peine (quel nom !), qui file sur ses 49 printemps et enseigne à la Guadeloupe, n’a pas fini de nous enchanter. Auteur d’un premier livre remarqué (Les Hémisphères de Magdebourg) il y a deux ans, il publie aujourd’hui - dans la maison d’Echenoz (son grand frère…) – Bande-son, un roman tout aussi original et raffiné que le précédent.
Le tumulte d’une colonie de termites
L’intrigue, si l’on peut dire, commence dès l’entame : « Sven lave une feuille de salade. C’est une belle feuille de romaine qui se balance, ruisselante sous l’eau froide. » Elle ira nourrir un escargot et la boîte à sons du dénommé Sven. Car Sven, ex-médiocre peintre danois, la petite quarantaine, a trouvé sa véritable voie voilà près de dix ans sur le haut plateau du Luberon : désormais « bioacousticien » réputé, il recueille dans sa besace le tumulte d’une colonie de termites, l’aspiration de la trompe d’un papillon, l’entrechoquement des dents de bébés mulots…
Roulement de tonnerre : la découverte, dans les archives de son grand-père, de l’étonnant essai, daté de 1794, d’un certain Rudolf Erich Raspe sur « les pierres chantantes de la région de Wesphalie », met fin à la retraite ensoleillée de l’artiste. Le voici en Irlande sur les pas du fameux géologue allemand réfugié du côté de Cork et auteur des Aventures du Baron de Münchhausen. Le séjour dans la demeure géorgienne de Mrs Scott, entre un révérend « petit-fils et fils de bouilleur de cru » et la pétulante Angelica, ne sera pas piqué des hannetons.
Avec la légèreté d’un coléoptère et un humour british à souhait, Bertrand de la Peine se rit des outrances de l’art contemporain, de l’appétence des gens du Nord pour le Sud vangoghien, et de bien d’autres choses. Le tout, dans une langue économe à la sonorité fort plaisante…
 

Vincent Roy, Le Monde, 11 février 2011

La savante composition d'un désordre

Bande-son. Le titre du second roman de Bertrand de la Peine est à demi trompeur car c'est moins l'étude des sons qui captive l'auteur remarqué des Hémisphères de Magdebourg (Ed. de Minuit, 2009), que la thématique sensorielle induite par ceux-ci. Certes, Sven Langhens, le personnage principal, est un artiste danois qui s'est "imposé dans le monde de l'art contemporain" en créant des installations acoustiques, mais la véritable héroïne du roman, c'est la perception. "J'ai essayé de me tenir au plus près de l'ouïe, du toucher. J'ai tenté de donner un grain, une texture à une trame", confie Bertrand de la Peine. Et c'est précisément cette texture qui donne son prix à la trame. A l'oreille, donc, tentons d'y voir clair !
Sven a décidé de vivre seul, loin de sa femme, Gerda, dans une magnanerie du Luberon - les lieux ne sont jamais innocents, comme on le verra. Là, à grand renfort de matériel hyperperfectionné, il enregistre le bruit des rapiettes cavalant sur la pierre et amplifie trois cents fois celui d'un petit-gris croquant une feuille de salade. Bientôt, il rejoint Gerda dans leur appartement de Paris. Mais celle-ci a décidé de rompre en silence.
Pour preuve, elle a préparé, sans crier gare, les cartons de son ex-époux, une valise et une vieille malle. Le coup est rude : Sven se "masse la nuque" et "avale un godet de vodka". Bref, son regard se pose sur cette malle "défraîchie" qui lui vient de son grand-père. Il l'ouvre et la fouille. Il en tire un vieux livre broché écrit par un curieux géologue allemand du XVIIIe siècle : Rudolf Erich Raspe - dont le nom est un "vrai torrent de rocaille" -, surtout connu pour avoir écrit les premières aventures du baron de Münchhausen. Mais le livre que Sven tient entre ses mains est d'une tout autre nature (si l'on peut dire !) : il s'agit d'un traité sur des pierres chantantes, les singstein. Mystère.
Ce phénomène acoustique intéresse, on s'en doute, l'artiste contemporain qui décide de partir pour l'Irlande, là où Raspe a fini ses jours. "Les lieux prennent une place capitale dans mes livres, explique Bertrand de la Peine. Ce sont des lieux où j'ai vécu et dont j'efface les stéréotypes les plus saillants. Je prends beaucoup de notes, car il faut une matière importante pour gommer par la suite : ici, une Irlande ensoleillée où j'ai réuni deux comtés ; le Donegal, au nord, et le Kerry, au sud. Entre invention toponymique et détails réalistes, ces contraintes m'amusent et me stimulent. Elles m'aident à camper des personnages qui apparaissent en relief dans un décor à peine esquissé, en léger décalage."
Pour ce qui est du décalage, ou, mieux, des décalages, on peut faire confiance à notre auteur, qui multiplie les personnages fantasques - lesquels, avoue-t-il, "se mettent en place de façon assez naturelle selon ma volonté de traduire certaines atmosphères" - et les plans de coupe de sa fiction, sans jamais perdre son lecteur.
C"est grâce à sa langue impeccable qu'il rend cohérente et fluide une histoire a priori ébouriffée : grâce à elle, il tire les différents fils de son intrigue et en efface "les coutures". Du travail de précision. "Les deux fils conducteurs menés par Sven et Raspe sont les pierres et les sons. Ils nous amènent à une matérialité physique que je voulais réunir dans une écriture concrète, matérielle, assez classique dans sa forme, mais épurée et presque palpable."
Tout se passe, chez Bertrand de la Peine, comme si l'écriture était chargée de mettre de l'ordre. Elle tient son récit. Si bien qu'on a l'impression que Bande-son est né d'une traite. Et pourtant : "L'intrigue première n'avait pas grand-chose à voir avec l'histoire actuelle. Je m'étais concentré sur Raspe, dont la forte personnalité écrasait le récit contemporain. Il apparaissait à travers des lettres, des pages de son carnet et affaiblissait l'intérêt de l'épisode irlandais. J'étais retombé dans le schéma d'une histoire à deux voix, à deux vitesses, comme pour Les Hémisphères de Magdebourg, et la réaction de mon éditrice, Irène Lindon, fut déterminante : cela manquait de cohérence. Elle m'a encouragé à reprendre de façon linéaire." Tout est rentré dans le désordre (apparent seulement) d'un petit livre très composé à l'humour corrosif. Ouvrez-le. Vous n'entendrez, à la fin, qu'un son cristallin. Une seule voix claire. Celle de Bertrand de la Peine, que désormais il va falloir écouter.

 

 




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