Paradoxe


Frédérique Toudoire-Surlapierre

Colorado


2015
176 p.
ISBN : 9782707328250
18.00 €





Ce livre n’est pas un guide sur le Colorado. C’est à une expédition dans les mots et les images des couleurs que nous vous invitons, voyage qui nous emmènera dans les continents européen et américain – de sorte qu’il sera tout de même question du Colorado.
Plébiscitée par nos sociétés contemporaines, la couleur permet à chacun de sentir les vertus sociales, ethniques mais aussi artistiques de la diversité. D’une manière parfois abrupte, la couleur révèle la nature de nos relations aux autres et à nous-mêmes : les couleurs sont-elles juxtaposées, harmonieusement combinées ou se recouvrent-elles au contraire les unes les autres ? Sont-elles séparées ou mélangées ? Si la couleur nous fascine tant, c’est aussi parce qu’elle conforte l’un de nos fantasmes esthétiques les plus tenaces : la possibilité d’un mimétisme parfait de l’art. Dans un monde où tout est coloré, ou le devient, quel sens le noir et blanc de l’écriture peut-il bien prendre, quel rôle peut-il encore jouer ?
S’accaparant les possibilités colorées de médias comme la peinture, le cinéma, ou encore la photographie, les mots se servent des couleurs, avec toute l’ambivalence de l’expression : ils en profitent, ils les modifient, parfois ils les abîment aussi. Parler de la couleur n’est jamais seulement métaphorique. La littérature n’évince pas la couleur, elle lui offre des lignes directrices, qu’elles soient fuite ou découverte, lui permettant de faire fi des frontières réelles et imaginaires. Se découvrent ainsi, au gré des œuvres, des « lignes de couleurs » où se renégocient quelques-uns des tropismes de l’être humain.

ISBN
PDF : 9782707328274
ePub : 9782707328267

Prix : 12.99 €

En savoir plus

Jean-Louis Jeannelle, Le Monde, 16 janvier 2015

L’imagination couleur

Ligne rouge verticale qui sépare l’Est de l’Ouest (celle des « Peaux-Rouges » et de leur sang versé) ; ligne noire horizontale entre le Nord et le Sud, qu’opposent l’esclavage puis la ségrégation raciale : l’histoire des Etats-Unis, sa littérature et son cinéma dessinent ce que Frédérique Toudoire-Surlapierre nomme, dans ce séduisant essai, des « lignes de couleur ». La formule est empruntée au militant antiraciste W.E.B. Du Bois (1868-1963), qui y voyait le grand « problème du XXe siècle ». Certes la désignation des couleurs ainsi que la symbolique qui y est attachée sont arbitraires. Celles-ci n’en imprègnent pas moins notre imaginaire collectif. Afin de révéler « le rôle de la couleur dans l’existence humaine », Toudoire-Surlapierre mêle œuvres canoniques, comme les icônes d’Andreï Roublev filmées par Tarkovski (1966) ou Carré blanc sur fond blanc, de Malevitch (1918), à d’autres plus inattendues, comme Le Dernier des Mohicans, de James Fenimore Cooper (1826), ou le conte Blanche-Neige, devenu le premier film d’animation en couleurs réalisé par Disney (1937). L’un des apports de cet essai est que, dans la « lutte des couleurs », la littérature se révèle aussi bien armée que les arts de l’image : Voyelles, de Rimbaud, ou Mon nom est Rouge, du Turc Orhan Pamuk (Gallimard, 2001), en offrent deux exemples parmi bien d’autres.

Juliette Cerf, Télérama, 21 janvier 2015

« Le problème du XXe siècle sera celui de la ligne de couleurs », déclarait en 1903 le penseur noir-américain et militant antiraciste W.E.B. Du Bois. Le mythe de la conquête américaine a mêlé le sang des Peaux-Rouges à la blancheur des colonisateurs. « La triade noir-rouge-blanc constitue un prisme coloré signalant les enjeux raciaux » propres aux Etats-Unis, résume la spécialiste de littérature comparée Frédérique Toudoire-Surlapierre dans son nouvel essai, Colorado. Eminemment politique et stratégique, la couleur est douée d'une potentialité fictionnelle hors du commun. Elle fait le lien entre la nature et la culture, l'intérieur et l'extérieur, la forme et le fond, les objets et les affects, que l'on pense aux peintres de la couleur que sont Robert Delaunay et Paul Cézanne, aux couleurs des contes (Blanche-Neige, Barbe-Bleue, Le Petit Chaperon rouge ou Boucle d'or), ou encore au septième art (dessins animés de Walt Disney, Andreï Roublev ou Pierrot le Fou – et son iconique visage peint en bleu et ses bâtons de dynamite rouges et jaunes) : « Le cinéma sert de transfert aux couleurs entre les pays, entre les continents, mais aussi entre les idéologies et les mouvances esthétiques », note l'auteur. Une très belle réflexion sur la page blanche émerge de ce voyage au pays de la couleur : « On sait que "tout est dit", et pourtant écrire, c'est encore et toujours contredire le blanc de la page. » Un livre qui nous en fait voir de toutes les couleurs.

Paloma Blanchet-Hidalgo, Art press, avril 2015

La couleur fascine. Depuis l’Antiquité, savants, artistes et écrivains tentent de se l’approprier, comme usage et comme discours. Tout à la fois évidente et controversée, elle est, en Occident, au centre d’un système conjuguant revendications artistiques et réflexions scientifiques. Or, rares sont les essais contemporains qui ont appréhendé ces enjeux dans toute leur complexité, au-delà des attributions symboliques dont la couleur est souvent l’objet. Un défit trop ambitieux ? Pas pour Frédérique Toudoire-Surlapierre, professeure de littérature comparée à l’université de Haute-Alsace, déjà auteure de plusieurs études sur l’art ou la littérature. Saisir, au prisme de la couleur, quelques transferts culturels entre l’Europe et les Etats-Unis : c’est à quoi s’applique cette enquête singulière, croisant librement les perspectives esthétiques, littéraires, philosophiques, historiques, anthropologiques ou sociologiques.
D’Aristote à Merleau-Ponty, en passant par Locke, Newton, Goethe ou Kandinsky, le premier chapitre de Colorado éclaire d’un jour inédit l’« ambivalence polémique » sur laquelle s’est construit le paradigme européen de la couleur. S’affirme, au fil des œuvres et théories évoquées, ce grand paradoxe propre à la couleur : douée d’un fort pouvoir de fixation symbolique, elle prend aussi en charge des luttes, des conflits, des contradictions. Son pouvoir réside dans sa capacité à nous bouleverser, à remettre en cause nos désirs de symbolisation et de mimétisme, ainsi que nos besoins d’équilibre et de symétrie, qui se sont traduits en Europe par une volonté d’unifier la forme et le fond.
La couleur, de fait, n’a rien d’un pur artefact, d’une simple parure ; elle exprime nos ambivalences, révèle les tensions qui en résultent – entre l’apparence et l’intériorité, l’inné et l’acquis, la pulsion et le sens –, et dépasse les clivages auxquels ces tensions donneraient lieu si elles n’invitaient pas à tracer de nouvelles lignes de force et de partage. En littérature, particulièrement, la couleur « décille » et exige la vigilance. L’émotion qu’elle suscite en nous dérange les « automatismes chromatiques » et désigne une zone de jeu entre le visible et le lisible. Prenant appui sur le principe rimbaldien de dérèglement des sens ou sur les recueils poétiques de Jean-Michel Maulpoix (Une histoire de bleu, 1992) et de Philippe Jaccottet (Couleur de terre, 2009), Frédérique Toudoire-Surlapierre décrypte les logiques enfantines inhérentes à la couleur. On (re)découvre alors à quel point l’espace chromatique, par sa profondeur affective et psychique, peut mettre en place un processus alchimique qui change jusqu’au langage lui-même.
FANTASMES RACIAUX
Plus loin, l’essayiste convoque avec intelligence Gilles Deleuze et Félix Guattari, qui, dans Mille Plateaux (1980), définissent respectivement les champs littéraires américain et français par une « ligne de séparation » et « une ligne de picturalisme ». Mais c’est surtout dans le sillage du militant anti-raciste W.E.B. Du Bois -1868-1963) qu’elle identifie des « lignes de couleurs » spécifiques aux Etats-Unis. Elle montre par exemple comment, portée par des enjeux communautaires et ethniques, la naissance de la littérature américaine est fondamentalement liée à la couleur. En témoigne Le Dernier des Mohicans (1826) de James Fenimore Cooper. En donnant une envergure littéraire à la figure du Peau-Rouge, ce récit fondateur des lettres américaines confirme l’existence d’un rapport entre la couleur et le continent. S’affirme alors cette hypothèse : la couleur, déterminée par des mobiles continentaux, est « l’une des modalités épistémologiques de la frontière ». Et Frédérique Toudoire-Surlapierre d’étudier le « métissage ambivalent » des romans de Faulkner. Ou, de manière plus troublante, d’envisager les fantasmes colonialistes et raciaux du film de science-fiction Avatar (James Cameron, 2009), dont les personnages ont la peau bleue. « Le bleu est une image de synthèse, et cette prouesse technologique dit un désir d’uniformité qui a besoin à tout prix d’être réalisé », avance-t-elle. Car la couleur, par sa puissance médiatique, joue un rôle crucial dans le mouvement de « normalisation et de mondialisation actuel ». Faut-il pour autant craindre une ligne absolue et uniforme courant à l’échelle mondiale ? En l’occurrence, « la ligne américaine aurait-elle pris toute la place ? »
On appréciera ici l’approche de l’auteure, qui ne cède en rien à la tentation d’un discours catastrophiste ou restrictif. Bien au contraire : Colorado joue de multiples tensions (politiques, économiques, sociales, historiques, géographiques, ethniques…) pour déployer, dans leur richesse et leur vitalité, les « tropismes colorés » de l’homme. De rencontres improbables en cartographies nouvelles, s’esquisse, au gré des territoires parcourus, un jeu de piste chamarré redistribuant nos capacités de sentir et de comprendre. Parcours d’autant plus stimulant qu’il réarticule à chaque page la dialectique nature-culture, s’efforçant par là d’offrir une autre configuration du sensible et de l’intelligible, qui puisse donner lieu à une réconciliation du beau naturel et du beau esthétique. Régie par des désirs artistiques ou motivée par des raisons idéologiques, la couleur s’avère finalement « l’expression la plus évidente, et néanmoins la plus sophistiquée de la nature humaine ». L’espace qu’elle dessine est en cela un espace de potentialités et de pluralité, non de consensus. Cet essai le prouve, superbement.

 




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