Romans


Frédérique Clémençon

Colonie


2003
208 pages
ISBN : 9782707318459
14.20 €
37 exemplaires numérotés sur Velin des papeteries de Vizille


Léonce et sa vieille mère vivent maintenant seuls dans l'ancienne propriété à l'abandon, prise en étau entre la rivière et la nationale. Tout près, de l’autre côté de la route, les maisons blanches du lotissement gagnent chaque jour du terrain.
Le souvenir des années 20 les hante. Mangée par une glycine en fleurs, la maison apparaissait au milieu d’un parc immense, dans les allées impeccables duquel s’épanouissaient lilas et seringas, chênes et séquoias, massifs d’églantiers, de rosiers rouges et de pivoines blanches.
Mais dans ces lieux trop paisibles le père de Léonce s’ennuyait et rêvait d’aventures exotiques. Encouragé par un notaire véreux, il abandonna femme et enfant pour les rives du Congo : l’Empire colonial serait, à n’en rien douter, le théâtre de ses retentissants succès…

Marie-Laure Delorme (Le Journal du dimanche, 31 août 2003)

Clémençon cogne dur
Colonie mêle littérature du moi et du monde pour raconter la brutalité de l’aventure coloniale
 
 Tout dit l’abandon. Le corps affaibli de la mère, le parc non entretenu. Les murs écaillés, la solitude du fils. Et bien sûr le souvenir de ce père, parti un beau jour en Afrique donner corps à l’aventure coloniale, sans être jamais revenu. L’écriture, ample comme le rêve et précise comme la réalité, semble porter dans un même mouvement l’espoir et sa défaite. Frédérique Clémençon, née en 1967, raconte les déchirements familiaux. Ceux qui fuient, ceux qui restent ; ceux qui tentent, ceux qui trinquent.
Colonie
, magnifique deuxième roman, mêle les êtres et les lieux. Les uns enfermés dans une maison en état de décrépitude ; les autres médusés par une Afrique aux charmes inconnus. Les paysages parlent ici à la place des hommes. On trouve, comme dans Une saleté (Éditions de Minuit, 1998), les thèmes de la décomposition, de l’isolement, du désir de s’en aller, de la révolte intérieure. La construction de Colonie, faite d’allers-retours, de déploiements et de renfoncements, de souvenirs cadavériques, se révèle un éblouissement.
Il y a dans Colonie, on le sait d’avance, tout ce que l’on n’oubliera pas : un visage collé contre une vitre, des perruches égorgées, une Afrique grignotée peu à peu par le corruption, un pensionnat comme une prison, une rencontre improbable. Antoine a quitté femme et enfant, au bout de dix ans de vie commune, pour les rives du Congo. Faire fortune, fermer les yeux sur une épouse qu’il n’aime pas et sur un garçon qui ne l’aime pas, respirer en dehors d’une société de petits notables bien-pensants.
Son fils Léonce, huit ans à l’époque, reste avec sa mère. Car, cela va de soi, le père ne reviendra pas. Le temps accomplit doucement son œuvre. Autour de Léonce, tout pourrit. Les corps, les bâtiments, les plantes, les pensées, les meubles. Et, alors qu’ils sont en train de mourir, le fils accompagnant sa mère dans une lente agonie, les bulldozers surgissent en face de leur propriété, prêts à construire un nouveau monde, fait de fric et de briques.
Chacun des protagonistes existe à l’intérieur de son univers fracassé. Nous sommes au sortir de la Première Guerre mondiale. Les personnages, bâtis sur leurs chimères comme des maisons sur des falaises, demeurent aveugles. La réalité a beau cogner dur (car, oui, Antoine ne retournera pas auprès des siens ; car, non, l’Afrique n’est pas une terre accueillante), ils continuent d’y croire. Seul Léonce, enfant craintif et lucide, adulte solitaire et blessé, reste arrimé à la réalité. Frédérique Clémençon nous fait entendre et comprendre tout cela. Le désastre de la guerre 14-18, la brutalité de l’aventure coloniale, le nouveau règne de l’argent. Il faut, sous peine de crever, accompagner les bouleversements sociaux.
Toute séparation entre une littérature du moi et une littérature du monde s’avère vaine. La romancière montre les intimités lessivées, les paysages en marche, les humains ployant sous la chaleur. Elle décrit hier et aujourd’hui. Ces luttes, entre les lieux, les époques, les sexes, les classes, les pays, les amours, creusant le fond des hommes. Les faisant et les défaisant. Il y a, parmi les images fortes de Colonie, celle de la vieille mère pétrissant avec colère son visage devant le miroir : " Comme on devient tout de même, comme on devient. ” Colonie, roman somptueux sur le lent pourrissement des rêves, raconte ce devenir. Om met ici des années et des années à regarder la vie en face. Le jour où tout a basculé, où Antoine a surgi de nulle part avec son ambition destructrice, sa future épouse semblait l’attendre depuis une éternité, son doux visage collé derrière la vitre de la maison. 

Jean-Pierre Tison (Lire, septembre 2003)

Le Limousin ou l’Afrique ?
 
 La France, La Belgique et tant d’autres nations plus ou moins exiguës ouvraient autrefois à leurs enfants des perspectives illimitées, des rêves d’empire. À quiconque refusait de végéter dans sa province, le seul mot “ colonie ” offrait une issue prometteuse. Pour que la vie cessât d’être un long fleuve tranquille - si tranquille qu’il croupissait sur les bords – cap sur le Congo ! Combien de braves cœurs se sont arrachés à la somnolence du Brabant et du Limousin pour aller battre à un rythme plus sauvage du côté de Léopoldville, ou de sa rivale de l’autre rive, Brazzaville.
Tel fut le cas du “ père de Léonce ” héros, et anti-héros, du roman de Frédérique Clémençon, Colonie. Blessé, selon ses dires, pendant la Grande Guerre, ce jeune homme s’était retrouvé un jour dans un restaurant de Limoges. Un habitué de l’établissement, un notable, s’était illico entiché de lui, au point de lui offrir l’hospitalité et d’en faire bientôt son gendre et son associé. Après dix années pendant lesquelles il avait donné un nouvel essor à l’usine du beau-père, et fait un petit Léonce à sa femme, cet homme avait cédé à l’envoûtement que la vie coloniale exerçait sur lui depuis ses lectures d’enfance, avec leurs illustrations si impressionnantes. Lors du départ de son père pour l’Afrique équatoriale, Léonce avait huit ans. Très effacé de naissance, jusqu’à l’insignifiance, Léonce n’a jamais rien construit, pas même un foyer. Jamais rien produit, pas même un enfant. Quand Frédérique Clémençon nous le présente, il est déjà âgé. Et toujours dans sa maison natale, auprès de sa vieille mère, qu’il n’a jamais quittée.
De la même manière que l’ancien parc de leur propriété se trouve désormais traversé par des camions et des voitures qui font tout trembler, leur destinée reste secouée par la trajectoire fracassée de l’absent. L’exotisme effrayant des livres d’aventures fascinait le “ père de Léonce ” ? Il aura été servi !
Le patron de la concession l’avait prévenu que pour “ vivre dans ce fichu pays, il fallait être coriace et toqué ”. Il s’était habitué aux ignominies des autres Blancs, à leurs rivalités meurtrières. Il s’était fait aussi au climat, aux tornades mais il n’était nullement préparé à la pluie de sagaies qui l’attendait dans un certain village. À l’abri des événements dans sa vie si prudente, le couple formé par Léonce et sa mère ne s’attendait pas non plus à voir son si paisible territoire ravagé par la rapacité d’un notaire.
Frédérique Clémençon nous donne un admirable livre, déchirant. Aux petits pas, petits soins, petits gestes, petits moyens de sa femme et de son fils, et à leur vie étriquée, s’oppose celle de l’exilé, comme la géhenne quotidienne, sédentaire, à l’enfer flamboyant. 

Jean-Claude Lebrun (L’Humanité, 4 septembre 2003)

Noir toute !
 
 Au printemps 1998 paraissait Une saleté, le premier roman de Frédérique Clémençon. Une exploration en règle de l’enfer familial, d’une noirceur sans espoir, qui avait fait largement remarquer cette jeune femme de trente et un ans. Cinq années plus tard, avec Colonie, c’est un deuxième livre tout aussi sombre qu’elle nous propose. Avec moins de violence retenue, de suffocation haineuse. Mais à la place une irrémédiable désespérance, un épuisement du désir de vivre. Noir toute ! Telle semble donc être la consigna à laquelle la romancière a choisi de se tenir. Si elle n’est assurément pas la seule, en ces temps de “ no future ”, elle fait montre d’un talent qui hausse ses livres très au-dessus du lot.
Un homme déjà âgé et une vieillarde se tiennent dans leurs fauteuils, de chaque côté de la cheminée, dans une ancienne maison de maîtres du côté de Limoges : un fils et sa mère, derniers survivants d’une petite dynastie industrielle qui avait atteint son zénith pendant la Grande Guerre et s’était ensuite étiolée. La vieille dame est en train de rendre son dernier souffle, mais elle était morte depuis longtemps. Le fils, guère moins décati – “ comme on devient, tout de même ! ” –, n’a pour sa part jamais commencé de vivre. Voici donc Frédérique Clémençon installée sur ce petit terrain desséché, où quelques bruits familiers tiennent lieu de parole et d’échange, où du monde extérieur n’apparaît plus chaque jour que le facteur, où l’antique Citroën ne quitte plus le garage, tandis qu’à quelques dizaines de mètres passe la nationale qui a amputé la propriété. À traits précis, comme à la pointe sèche, la romancière restitue cette aridité, arpente impitoyablement cette dévastation. Elle s’attarde sur la décrépitude des corps et sur les dérisoires défenses pour faire encore un peu semblant, bien que personne ne soit dupe. Elle suggère comment l’on est subitement tombé ici de la jeunesse dans la vieillesse. Du jour précis où le père est parti, il y a cinquante ans de cela, au début des années trente du XXe siècle. Au terme d’une petite décennie de vie commune qui prendrait presque les couleurs du bonheur, face au grisaillant portrait en diptyque de la mère et du fils. Le parc était encore intact, ses massifs débordaient d’une profusion colorée de plantes et de fleurs. Le fils et la mère n’ont cessé depuis lors de vivre dans le souvenir de cette peinture effacée.
Non que l’un ou l’autre fût nostalgique d’un temps idyllique. Très vite le mari avait négligé sa jeune épouse. Quant à leur enfant, des premières années de sa vie, il ne lui reste que le souvenir d’une mère enveloppante jusqu’à l’excès et d’un père haï, indifférent au garçon craintif, tôt catalogué de “ mauviette ”. Mais aussi d’une grand-mère transparente et d’un grand-père fantasque, qui sombrerait bientôt dans la démence. Il occupe maintenant son fauteuil… Le père était un jour arrivé de nulle part, éclopé de la guerre, ramené par l’aïeul. Il s’était installé presque en même temps dans le lit de la fille, une innocente de vingt-trois ans qui éprouvait son premier émoi, et dans le bureau directorial de l’usine. Cet aventurier s’était nourri des livres d’aventures de la bibliothèque. Il rêvait d’autres conquêtes, d’une existence plus attrayante que cette morne coulée des jours en Limousin. Frédérique Clémençon fait ici délicatement revenir un roman familial qui habite encore puissamment ses personnages. Cette force de l’Œdipe entre la mère et son fils. Ces refoulements et ces frustrations silencieusement endurés. Ces douces folies et ces délires sous les dehors de la rigueur. Elle exhume avec précaution ces morceaux de vies d’une province encore reculée. D’apparences lisses, sans histoires : l’on ne voulait surtout pas avoir à connaître des troubles enfouis. Un univers massif et sûr de soi, refusant qu’il pût exister quelque envers. La beauté du récit, sa charge d’émotion tiennent pour beaucoup à cette évocation.
Le père avait voulu échapper à l’étouffement ambiant. Pour les aventuriers et les chevaliers d’industrie, les miroirs de l’empire colonial brillaient alors de tous leurs feux. Il avait un jour annoncé son départ pour le Congo. Venu de rien, il partait dans l’inconnu. La romancière brosse un tableau ravageur de cette société coloniale, dans laquelle il échoua. Un monde mêlé de forbans et de jobards, transpirant et poisseux jusque dans ses pensées. Ne concédant finalement aucune place aux rêveurs, même dénués de principes, comme le père. Chemin faisant, Frédérique Clémençon a élargi son propos, donné au déprimant face-à-face de la mère et du fils une épaisseur insoupçonnée. Et rendu incroyablement tangible l’univers qui se laissait pressentir déjà derrière le prénom suranné du fils, Léonce. Il y a une nouvelle grande réussite d’écriture. Colonie, sans conteste, s’affirme comme l’un des romans les plus forts et les plus inspirés de cette rentrée. 

Daniel Martin (La Montagne, 14 septembre 2003)

Je t’attendrai…
Entre Afrique et Limousin.
 
 On se glisse dans ce livre avec délectation. On en ressort étonné. Epaté par tant de qualités d’écriture : la prose qui est belle, souple, séduit encore par la manière inhabituelle dont elle porte les informations nécessaires à l’intrigue, pas en donnant des indications de lieu, de date, mais de façon sensible et comme tactile, en exhalant des ambiances, ou des odeurs, si bien que l’on sait immédiatement que l’on se trouve dans le Limousin ou en Afrique, au début ou à la fin du XXe siècle, puisque tout se déroule dans ce cadre assez vaste pour qu’un lecteur mal orienté s’y perde, et ce d’autant plus facilement que rien n’est chronologique dans cette histoire. On passe d’un continent à l’autre, d’une époque à l’autre, simplement en changeant de paragraphe. Et si l’on croit qu’il est aisé de marquer la différence entre des pays, des temps aussi éloignés, différents, on se trompe. Ici tout est fait pour souligner les permanences : celles des hommes et des mentalités. Tout est humide, végétal, menacé de pourrissement, de disparition.
Frédérique Clémençon joue pour se faire très discrètement sur le vocabulaire, le rythme des phrases, la sonorité des discours. Elle a un art particulier du dialogue, de l’échange et sait courber sa prose pour aller pécher une parole singulière.
Mais l’histoire ? Elle est assez simple et pourrait se résumer en quelques mots : que se passe-t-il quand un aventurier percute une famille bourgeoise et provinciale au lendemain de la Grande Guerre, se fait adopter du père, aimer de la fille qu’il engrosse bien vite puis épouse. Mais s’ennuie assez vite. Au point qu’il rêve bientôt de grands voyages, d’Afrique, un enthousiasme qu’il nourrit en lisant tout ce qu’il trouve sur la question : il se voit, nouveau Brazza, partir à la conquête de territoires inconnus, revenir couvert de gloire, fortuné. Beau parleur il convainc son entourage, prend le train, puis le bateau. Il va disparaître, on le sait.
Sa famille reste près de Limoges. Sa femme et son jeune fils Léonce un être fragile qui survit presque miraculeusement aux maladies de l’enfance et plus miraculeusement encore à cette absence, à la solitude seulement meublées par la présence de sa mère qui vieillit : les années passent, elle ne tient plus qu’à un souffle, à un fil, “ comme on devient tout de même pense Léonce, comme on devient, ces chairs flasques partout posées sur son corps misérable (…), ces doigts qui se tordent quand ils étaient si habiles ”. Les deux se referment, s’enferment dans le souvenir et le chagrin. Tout autour le monde change. Se modernise. Le parc de leur propriété est grignoté par une déviation, un lotissement leur impose bientôt la vision de ses maisons basses, d’une supérette…
Mais qu’est devenu “ le père de Léonce ” ? Est-il mort ou fortuné ? A-t-il réalisé ses vœux ? A-t-il fait preuve d’audace ou bien a-t-il été la victime, comme on pourrait dire le jouet, de ces hommes plus forts, plus corrompus et donc mieux faits pour la vie que sont Toinet, ce notaire marron, et son ami Simonet, ce colon qui fut aventurier mais toujours proche de ses intérêts.
Si l’on navigue dans le temps et dans l’espace, c’est qu’à chaque déplacement on en apprend un peu plus sur l’un, sur les autres, sur l’ennui qui ronge les cœurs, l’avidité qui aiguise les plus beaux appétits. 

 

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