Romans


Jean Echenoz

Caprice de la reine


2014
128 p.
ISBN : 9782707323705
13.00 €
99 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


Sept récits, sept lieux : un parc, un pont, un fond sous-marin, le Suffolk et la Mayenne, Babylone et Le Bourget.

Table des matières

Nelson
Caprice de la reine
À Babylone
Vingt femmes dans le jardin du Luxembourg et dans le sens des aiguilles d’une montre
Génie civil
Nitrox
Trois sandwiches au Bourget.

ISBN
PDF : 9782707323729
ePub : 9782707323712

Prix : 9.49 €

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Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur, 27 mars 2014

Le Patron

Où l’on croise Nabuchodonosor, l’amiral Nelson, le curé de l’église du Bourget et l’auteur de « Je m’en vais »

Plus il écrit court, plus il est grand écrivain. Jean Echenoz, ce miniaturiste qui peint à fresque, ce taciturne enjoué, cet éblouissant discret, cet éloquent timide, est un oxymore vivant, seul romancier contemporain capable de raconter, en cent vingt petites pages, les dix dernières années de Maurice Ravel ou le long désastre de 14-18. Une preuve supplémentaire de son art si singulier nous est donnée - plaisir d'offrir, joie de recevoir - avec ce recueil de sept récits, pourtant déjà parus ici et là, mais qui, retouchés et rassemblés, montrent bien la technique savante de cet écrivain et augmentent encore le territoire de l'Echenozie.
La technique, on la connaît bien, maintenant : elle consiste, pour celui qui a réconcilié l'ancien et le Nouveau Roman, l'histoire et la géographie, à retrancher au lieu d'ajouter («tous les auteurs exagèrent», écrit-il ici à propos d'Hérodote, lorsque ce dernier s'enthousiasme pour le gigantisme de Babylone), à ne rien avancer qui ne soit vérifié (il passerait presque pour un spécialiste du BTP, section ponts suspendus, et des sous-marins à propulsion mixte diesel-électrique), à pousser le réalisme jusqu'aux confins de l'absurde et à être ironique sans jamais le laisser paraître. Quant à l'Echenozie  - Gracq ne parlait-il pas de la «Stendhalie», pays où il fait si bon vivre? -, elle s'agrandit désormais à la campagne mayennaise, aux forêts du Suffolk, dont les chênes deviennent des navires, au jardin du Luxembourg, où Marguerite d'Angoulême est «poseuse» et Anne d'Autriche a de «gros seins», aux rives de l'Euphrate, à la baie de Tampa, en Floride, et à l'église Saint-Nicolas du Bourget. Notons au passage que l'auteur de «Je m'en vais» emprunte le RER B, monte dans un 747, vogue sur le vaisseau «Victory» ou le cargo «Summit Venture» avec une même curiosité et, semble-t-il, la même application.
Peu d'écrivains nous invitent, dans un seul livre, à dîner avec l'amiral Nelson, fût-il mal en point, à déguster dans le désert mésopotamien de la viande d'onagre - «du cerf en plus fin» - ainsi que de l'outarde, et à partager un sandwich jambon-gruyère dans l'hôtel-brasserie de la gare du Bourget. Car Jean Echenoz peut tout se permettre. Comme il le dit, lorsqu'on lui reproche d'allumer une cigarette dans un sous-marin : «C'est moi le patron.» Un patron dont on apprend ici qu'il va acheter ses stylos bille et ses feutres V5 Hi-Tecpoint 0,5 Pilot dans la papeterie située à l'angle de l'avenue Trudaine et de la rue Rodier, 9e arrondissement de Paris. Elle existe, j'ai vérifié. Cet écrivain ne ment jamais et il n'exagère rien. Un patron, vraiment.

Bernard Pivot, JDD, 30 mars 2014

Echenoz, pince-sans-rire ultrasérieux

Jean Echenoz a réuni sept récits sous le joli titre Caprice de la reine. Ils ont été écrits pour des revues ou des spectacles. Je n'imagine pas que l'auteur accorde à ce modeste livre autant d'importance qu'à ses romans Cherokee, Je m'en vais (prix Goncourt 1999), Ravel, Courir, etc. Mais c'est le privilège des bons écrivains que de savoir rester eux-mêmes, sans mollesse, sans défaillance, dans l'écriture d'œuvres mineures. Elles ajoutent une ligne à leur bibliographie. Elles donnent aussi un surcroît de plaisir au lecteur fidèle, depuis longtemps convaincu. De fait, on retrouvera dans Caprice de la reine la virtuosité Echenoz, le charme Echenoz, l'humour Echenoz, son talent ramassé et pourtant en liberté dans quelques histoires, promenades et tableaux dont on ne trouvera pas les pareils dans l'ordinaire de la librairie.
Prenons Nelson, par exemple. En six pages nous est racontée la vie professionnelle du matelot de 13 ans qui ne cessera de souffrir du mal de mer, jusqu'à la mort de l'amiral, frappé par une balle sur le pont du Victory. Borgne et manchot, Nelson avait une passion pour les chênes, les plantant lui-même jusque dans les propriétés de ses amis et connaissances. Il avait toujours quelques glands dans ses poches. C'est que la marine a besoin de bois pour construire des navires qui sont la fierté de l'empire. Avec ce bois dur et étanche, on fabrique aussi des tonneaux. Et c'est justement dans un tonneau rempli d'eau-de-vie que le corps de Nelson sera conservé pour accomplir le dernier voyage qui le ramènera en Angleterre pour y être enterré.
Tout cela en six pages, je le répète. Donc, le récit file à la vitesse d'un destroyer. Sauf que, quand Jean Echenoz veut apporter un détail significatif ou spectaculaire, il prend son temps. Ainsi la trajectoire de la balle fatale "entrée dans le corps de l'amiral par l'épaule gauche, fracturant son acromion, puis ses seconde et troisième côtes, traversant son poumon, sectionnant une branche de son artère pulmonaire avant de lui briser la colonne vertébrale." On n'appelait pas encore cela une frappe chirurgicale.
Jean Echenoz s'attache à être toujours précis, rigoureux, convaincant à force d'informations circonstanciées, d'observations méticuleuses. Il déroule une littérature pédagogique, et c'est de cette accumulation de connaissances que naissent un sentiment d'étrangeté et une impression de légère ironie. Ainsi, dans la longue nouvelle Génie civil, le dénommé Gluck, devenu veuf, ayant vendu son entreprise de construction, ne manifeste plus d'intérêt que pour les ponts. De sorte que Jean Echenoz est obligé, pour complaire à Gluck, de conter l'histoire des ponts, des lianes jusqu'aux gigantesques enjambeurs de vallées et de détroits ; puis, de nous emmener, à la suite du monomaniaque Gluck, sur les ponts les plus impressionnants ou les plus osés du monde. Les ingénieurs peuvent vérifier : les piles, les haubans, les câbles, les torons sont tous à leur place. Ils peuvent se risquer sur le pont Echenoz : ça tient. Au bout de trois ans, Gluck commence à être un peu saturé de ponts, le lecteur aussi. Alors, il reprend goût aux femmes, le lecteur aussi. Il entre en correspondance avec une veuve de Miami. Il lui donne rendez-vous à l'entrée du pont Sunshine Skyway. Il fait un temps exécrable. Un cargo aveuglé tente de passer entre les pylônes. Comment Jean Echenoz réussit-il à glisser quelques détails amusants dans l'effroyable et magnifique récit de l'effondrement du pont et de l'amour ?
C'est parce qu'il maîtrise un vocabulaire considérable que Jean Echenoz est un as de la description. Ainsi le récit du parcours risqué, très technique, d'une sorte de James Bond girl, hors d'un sous-marin, au milieu des spirogyres, zostères, dugongs et lamantins, pour rejoindre son amant dans les profondeurs de la mer. Ainsi, encore, un texte sur des promenades au Bourget, sous le prétexte d'aller y manger un sandwich. Qui, en effet, n'a jamais eu envie de faire le déplacement au Bourget pour y déguster un saucisson-beurre ? Echenoz est un pince-sans-rire ultrasérieux. Organisé, méthodique, capable de décrire une par une, dans le sens des aiguilles d'une montre, les vingt statues de femmes du jardin du Luxembourg.

Nathalie Crom, Télérama, mercredi 2 avril 2014

Sept récits, autant de promenades dans le temps et l’espace, de Babylone au Bourget, avec Jean Echenoz pour guide ironique.

C'est entendu, nous sommes tous d'accord, il ne suffit pas de rassembler sous une même couverture des textes épars, des textes qui n'ont pas été pensés, écrits, prévus pour cohabiter dans un même volume, pour pouvoir légitimement appeler la somme hasardeuse ainsi obtenue un livre. Ceci posé, il est des ouvrages, des écrivains qui échappent à la règle. Des auteurs qui, avec leurs pairs, ne font pas sur ce point tout à fait cause commune. Jean Echenoz est de ceux-là. Prenez ce Caprice de la reine qu'il nous propose aujourd'hui : voici une série de contributions souvent parues précédemment en revue, sept récits qui se promènent dans le temps et l'espace, tantôt relevant du genre, disons parfois biographique, plus souvent topographique. Sept miniatures qui n'ont en somme en commun que la main qui les a confectionnées, la qualité d'un trait d'une précision, d'une ironie virtuoses.
Le premier des textes, « Nelson », est un bijou : six pages, et voici tracé à l'eau-forte un portrait de l'amiral, tout ensemble en majesté et en décrépitude – puisqu'il s'avère que le grand homme, « fine silhouette vêtue de bas blancs, de souliers à boucle en acier, d'une culotte et d'un gilet blancs sous une redingote bleue dont la poche gauche semble enflée par une poignée de shillings, et au plastron de laquelle scintille l'ordre du Bain... », que le grand homme, donc, cumule en fait les handicaps physiques, acquis au fil de sa glorieuse existence. Un oeil et un bras en moins, sans compter le mal de mer qui l'empoisonne depuis l'enfance, des migraines et des accès de fièvre. Bref, en fait de grand homme, un individu à « l'air bien fragile, friable, au bord de se fracturer tout le temps ».
Ensuite, on emboîtera notamment le pas à Hérodote, en excursion dans l'immense Babylone, on roulera sur les routes de Floride en compagnie d'un certain Gluck, on accompagnera Jean Echenoz lui-même – du moins, semble-t-il – lors de trois randonnées au Bourget. Finalement, on aura déambulé aussi entre les statues des reines de France du jardin du Luxembourg et dans quelques autres paysages. Tout cela pour le plaisir d'être en compagnie d'un écrivain qui, autant que dans les pièces majeures, excelle aussi dans les modèles réduits.

Philippe Lançon, Libération, jeudi 3 avril 2014

Avec Echenoz, la Floride, Babylone et la Mayenne en bouteille

Sept récits d’un ingénieur écrivain parvenu à son point d’équilibre

Sept brefs récits, comme péchés minimaux, lesquels valent toujours mieux que les trop longues vertus qu’on aimerait pouvoir s’accorder. Jean Echenoz les a publiés ici et là, dans des revues ou des livres d’art, de 2002 à 2010, mais ils s’unissent, se réverbèrent et se démontrent les uns les autres. Ce sont les échantillons d’un art narratif ayant atteint son point d’équilibre et sa ligne de fuite. Si l’occasion éditoriale fait le larron, le larron a en effet sa manière de voir, d’écrire, de lier l’espace et le temps. Un sens elliptique du récit, mélange syntaxique de vitesse et de nonchalance, fait que choses et mots se détachent et se déposent dans une sorte de brouillard vide, avec circonspection et une familiarité distanciée.
A propos d’un ingénieur veuf et solitaire décidant de visiter les ponts dont la grammaire a changé le monde comme peuvent le faire des phrases, il écrit : «On ne saurait donc se mouvoir qu’avec un but, un axe, un cap, une idée fixe en tête, sinon mieux vaut rester derrière ses fenêtres.» L’ingénieur s’appelle Gluck, chance ou bonheur en allemand : ils roulent ici sur un pont de Floride dont l’autre bout ne sera jamais atteint. Le cœur reste un chasseur solitaire. Et l’auteur de l’Equipée malaise, dans ces 30 pages de «Génie civil», installe son personnage au niveau de l’extraordinaire constructeur de barrages conté par Primo Levi dans la Clé à molette.
Sous-marin. Un axe, un cap, une idée fixe guide chaque récit de l’ingénieur Echenoz vers l’essence de sa propre technique, conclue à chaque fois par l’équivalent romanesque d’un geste calligraphique, comme si l’écrivain, en s’épanouissant, se dissolvait en vieux Chinois. Qu’il s’agisse de l’amiral Nelson semant les glands de chênes semblables à celui, devenu tonneau, dans lequel son cadavre sera finalement transporté ; de la description panoramique d’un paysage de Mayenne ; de l’imprécision fertile et peut-être fausse avec laquelle Hérodote, dans le livre IV de l’Enquête, décrit Babylone ; d’une femme en combinaison quittant un sous-marin pour rejoindre un logis océanique où l’attend ce capitaine Nemo - autrement dit, personne - qu’est le narrateur ; d’une hilarante équipée au Bourget pour y manger un sandwich et finir, après en avoir mangé un au saucisson sec, devant le cimetière où les marques de la guerre de 1870 concluent la promenade dans un silence glacé, chaque texte décrit en explorant l’art de décrire.
Bouteille. La conclusion de l’ensemble apparaît dans «A Babylone» où, à propos d’Hérodote, Echenoz écrit : «Le seul problème avec lui, c’est qu’il va parfois un peu vite de sorte que pour entendre son propos, parfois, certains développements manquent, certains détails. S’il juge peut-être ces détails secondaires, il est évidemment bien loin d’imaginer que, de tous les récits de voyage à Babylone à cette époque, seul le sien va demeurer dans l’histoire du monde. L’imaginerait-il qu’il tenterait parfois de se montrer un peu plus précis, peut-être, à moins que dans une telle perspective, épouvanté par la charge d’une responsabilité si lourde, il ne préfère renoncer à son projet
C’est par la structure et le rythme de ses phrases qu’Echenoz échappe à une telle charge, suggérant l’infiniment trop grand (guerres, paysages, Histoire, vies) par l’infiniment petit, le mettant comme Paris en bouteille. Ou comme cet horizon des champs de Mayenne finalement réduit, par un effet de zoom lent mais vif, aux baisers que semblent échanger les fourmis qui le traversent, soumises au «caprice de la reine» - autrement dit, à celui de l’écrivain.

Raphaëlle Leyris, Le Monde, 10 avril 2014

Les facéties de Jean Echenoz

Un recueil de nouvelles du grand écrivain, finement ciselées et légèrement décalées

Caprice de la reine pourrait tout aussi bien se nommer « Caprice du roi », tant Jean Echenoz, l’un des suzerains des lettres françaises, semble y avoir donné libre cours à sa fantaisie et à son bon plaisir, en réunissant sept récits qui furent écrits entre 2002 et 2014 pour des revues et projets divers. Des textes composés comme dans les marges de ses grands livres récents, Ravel, Courir, Des éclairs et 14 (Minuit, 2006, 2008, 2010 et 2012), et qui portent à son paroxysme l’art de la miniature pourtant admirablement déployé dans les ouvrages cités, vies d’hommes illustres pour les trois premiers et roman de la première guerre mondiale pour le dernier. La brièveté semble, à première vue, être le seul point commun de ces récits. « Nelson » brosse le portrait de l’amiral britannique vainqueur de Trafalgar ; « Caprice de la reine » explore un morceau de la campagne de Mayenne ; « A Babylone » décrit la ville de Mésopotamie sur les traces approximatives d’Hérodote, qui en prend pour son grade ; « Vingt femmes dans le jardin du Luxembourg et dans le sens des aiguilles d’une montre » dépeint l’une après l’autre les statues de gentes dames qui jalonnent le jardin parisien ; « Génie civil » raconte l’histoire de l’ingénieur Glück et sa passion des ponts ; « Nitrox » emmène le lecteur dans les fonds sous-marins et « Trois sandwichs au Bourget », dans la ville de Seine-Saint-Denis où le narrateur, qui n’y a jamais mis les pieds, tient absolument à casser la croûte.
Du bistrot au sous-marin
Ces passages du coq à l’âne ou, disons, de l’amiral à la fourmi, du pont californien au zinc d’un bistrot de banlieue, pourraient être tenus pour des « caprices », au sens où ils manifesteraient de subits changements d’envie, de cap ou d’humeur, montrant Echenoz en auteur versatile. Mais il n’en est rien. L’auteur. L’auteur se montre d’une humeur également facétieuse au fil des années et des textes. Ce qui unit ces derniers, c’est sa phrase reconnaissable entre mille, jamais fanfaronne mais infiniment drôle, et la minutie désinvolte de ses descriptions. A ce propos, il note, dans un passage de « Caprice de la reine » : « Il est difficile, dans une description ou dans u récit, (…) de mettre chaque chose à sa place exacte. C’est qu’on ne peut pas tout dire ni décrire en même temps, n’est-ce pas, il faut bien établir un ordre, instituer des priorités, ce qui ne va pas sans risque de brouiller le propos. »
Chez lui, chaque chose est bien à « sa place exacte » : légèrement décalée. Ses priorités, l’écrivain les établit clairement : elles sont fans ce qui pourrait apparaître comme des détails. Prenons le saisissant « Nelson », qui, afin d’évoquer cet homme héroïque, « manchot, borgne et fiévreux », raconte sa manie, à chaque retour à terre, de planter des glands partout, pour faire pousser les arbres de demain, qui donneraient les bateaux d’après-demain. Les bateaux, Echenoz doit les aimer presque autant que son personnage, puisqu’on trouve différents types d’embarcations dans « Caprice de la reine » – rafiots en cuir à Babylone, cargo percutant un pont dans « Génie civil », sous-marins dans « Nitrox »… L’écrivain saute de l’un à l’autre avec sa nonchalance feinte et délicieuse, et les conduit avec une adresse qui se moque bien des caprices de la houle.

 




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