Le sens commun


John Searle

Sens et expression

Études de théorie des actes du langage
Traduit de l’anglais (États-Unis) et préfacé par Joëlle Proust


1982
Collection Le sens commun , 248 pages
ISBN : 9782707306210
22.10 €


Combien y a-t-il de manières d’employer la langue ? Wittgenstein pensait qu’il y en avait d’innombrables. John Searle conteste ici la validité de cette intuition, en offrant une taxinomie des actes de langage qui précise et clarifie les critères indiqués auparavant tant par Austin que par l’auteur lui-même dans son précédent ouvrage, Les Actes de langage.
Les six autres essais du livre se proposent de rendre compte des énonciations qui sont non littérales ou non sérieuses. Quand un locuteur fait une énonciation “ littérale ”, il “ veut dire ce qu’il dit ”. Quand il fait une énonciation “ sérieuse ”, il se présente comme lié par elle. Mais que se passe-t-il quand le sens de l’énonciation dépasse le sens de la phrase dite, comme dans les actes de langage indirects (par exemple : lorsqu’on pose une question pour donner un ordre, ou pour demander un service à quelqu’un) ; ou quand il s’en écarte totalement, comme dans la métaphore ? Comment expliquer que le discours de fiction n’engage pas la responsabilité de son auteur ? John Searle montre que sa théorie des actes de langage permet d’apporter une réponse à ces questions : il analyse de près la stratégie d’inférence que le locuteur-auditeur doit former dans chaque cas, et montre le rôle qui revient à l’information d’arrière-plan dans le processus de compréhension du sens de l’énonciation. Ces réflexions conduisent l’auteur à préciser ce qu’il entend par sens littéral de la phrase, ainsi qu’à dégager les relations entre théorie des actes de langage et théorie de la syntaxe.

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑

Préface – Remerciements – Origine des essais – Introduction – Chapitre I : Taxinomie des actes illocutoires – Chapitre II : Les actes de langage indirects – Chapitre III : Le statut logique du discours de la fiction – Chapitre IV : La métaphore – Chapitre V : Le sens littéral – Chapitre VI : Le référentiel et l’attributif – Chapitre VII : Les actes de langage et la linguistique d’aujourd’hui – Bibliographie – Index

Pierre Pachet (La Quinzaine littéraire, 1er juillet 1983)

Ce qu’on peut attendre des linguistes pour l’analyse littéraire
Cette nouvelle publication en français d’un livre de Searle, après
Les Actes de langage (Hermann, 1972), intéressera au premier chef les linguistes. Ils pourront suivre les débats animés que nourrit la “ philosophie du langage ” dans son développement (depuis Wittgenstein et Austin), et apprécier les constructions théoriques argumentées proposées par Searle pour classer et décrire la façon dont les locuteurs font quelque chose quand ils parlent ou écrivent.
 
 Il ne s’agit pourtant pas uniquement d’un livre pour spécialistes ; la collection dirigée par Pierre Bourdieu, à l’enseigne du  sens commun , a déjà proposé à un public assez large des traductions d’auteurs aptes à intéresser toute sorte d’esprits curieux (Bateson, Cassirer, Goffman, Hoggart, Panofsky, Peter Szondi entre autres). Et cette fois-ci on doit signaler, inclus dans le livre de Searle, un article sur  Le statut logique du discours de la fiction  (p. 101-119), qui s’insère dans un débat d’importance assez générale sur les pouvoirs de la littérature. Paru en 1975 dans l’œcuménique revue New Literary History (une sorte d’équivalent américain de Poétique), cet article ne semble donner une bonne idée de ce qu’on peut attendre des linguistes attelés à l’analyse littéraire : peu de choses, mais des choses sérieuses.
À vrai dire, c’est ici de “ fiction ”, et non de littérature au sens strict que Searle parle. Il donne trois raisons à ce choix : 1. “ Il n’y a pas de trait ou d’ensemble de traits qui constitueraient les conditions nécessaires et suffisantes pour qu’un texte soit littéraire ”. 2. “ En gros, c’est aux lecteurs de décider si une œuvre est ou non de la littérature, alors que c’est à l’auteur de décider si c’est ou non de la fiction ” (il n’y a donc pas de critère interne clair qu’un linguiste pourrait déceler). 3. “ Le littéraire est en continuité avec le non-littéraire ”, ouvert sur lui, pourrait-on dire ; et chercher là une frontière hermétique n’a pas de sens.
En second lieu, l’analyse va se préoccuper de la fiction, et non du langage figural, au sens des figures de discours (telles que la métaphore). Ces figures ne sont pas propres à la fiction, on les trouvera aussi bien dans un article sérieux de médecine ou de théorie de la fiction. Aussi Searle nommera-t-il “ énonciations non-sérieuses ” les énonciations de la fiction : “ Si l’auteur d’un roman nous dit qu’il pleut dehors, il n’adhère pas sérieusement à l’idée qu’il pleut dehors au moment ou il écrit. ”
Le terrain ainsi balayé, Searle entreprend de montrer que l’auteur de fiction ne ment pas (comme Platon le disait, ou le faisait dire à Socrate, ou feignait de faire tout cela), mais qu’il “ feint d’accomplir une série d’actes illocutoires ”, et ceci “ sans intention de tromper ”. Entrer en contact, dans l’enfance par exemple, avec la fiction, c’est apprendre qu’il existe, dans le monde humain, “ un ensemble de conventions qui suspendent l’opération normale des règles reliant les actes illocutoires et le monde ”.
Mais comment s’y prend-on pour feindre en la matière ? Feindre d’accomplir une action, c’est n’en effectuer que certains traits (feindre de fumer, sans cigarette, par des mouvements du bras et de la bouche). Ici, feindre c’est accomplir effectivement des actes d’énonciation, avec l’intention d’invoquer les conventions constitutives de la fiction : ainsi quand un auteur feint d’être quelqu’un d’autre en train de faire des assertions (un narrateur), quand des acteurs feignent d’être des personnages, quand un narrateur feint de se référer à un personnage (et donc le “ fait exister ”), quand un lecteur participe à cette feinte et en complète les pouvoirs. Et bien entendu, dans une œuvre de fiction, tout n’est pas fiction : on y trouve des énonciations sérieuses, certaines évidentes, d’autres cachées.
Ces minces résultats valaient-ils la peine d’une analyse argumentée ? Je le crois (et on le vérifiera dans les articles concernant  La métaphore  ou  Le sens littéral ). Searle ne prétendait pas révéler un secret, mais évaluer la portée d’une méthode d’analyse : la netteté et la modestie de son travail restaurent la confiance, rabattent les prétentions, et libèrent l’imagination des chercheurs et des curieux. 

 




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