Propositions


Jon Elster

Psychologie politique

Veyne, Zinoviev, Tocqueville


1990
Collection Propositions , 192 pages
ISBN : 9782707313294
23.05 €


Dans les sciences sociales, l’explication comporte trois registres. On explique les croyances et les motivations individuelles par les institutions sociales et les événements politiques. On explique les actions individuelles à partir des propensions psychologiques. Enfin, on explique les institutions sociales et les événements politiques comme l’effet, voulu ou non des comportements individuels. Psychologie politique explore surtout le premier registre tout en tenant compte des deux autres. Comment les rapports d’autorité dans l’Antiquité classique ont-ils formé la psychologie des dirigeants et des sujets ? Quel est l’univers mental des sociétés staliniennes ? Pourquoi les citoyens démocratiques ne sont-ils jamais satisfaits de leur sort ? Des réponses à ces questions sont relevées chez Paul Veyne, Alexandre Zinoviev et Tocqueville. Le chapitre introductif défend une conception de la psychologie politique qui tout en insistant sur l’individualisme méthodologique, reconnaît pleinement l’importance de l’irrationnel dans le comportement humain.

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑

Préface – Introduction : Pourquoi la psychologie politique ? – Chapitre I : Un historien devant l’irrationnel. Lecture de Le Pain et le cirque – Chapitre II : Négation interne et négation externe. Essai de sociologie ivanienne – Chapitre III : Psychologie de Tocqueville (1) – Chapitre IV : Psychologie de Tocqueville (2)

‑‑‑‑‑ Extrait de l’introduction ‑‑‑‑‑

Les quatre essais qui suivent plaident en faveur de l’importance et de l’intérêt de la psychologie politique. C’est dans le détail de ces analyses qu’il faut chercher une réponse à la question posée dans le titre. L’introduction qu’on va lire a pour but d’apporter quelques éclaircissements préliminaires : situer la discipline en question ; en dégager les questions centrales ; en fournir quelques échantillons ; expliquer la méthode choisie.
Je commence par ce dernier point. Pourquoi, dans l’exposé d’une approche théorique, se pencher sur des auteurs plutôt que sur la théorie elle-même ? Sans doute Veyne, Zinoviev et Tocqueville sont-ils de brillants écrivains ; mais l’éclat même de leur style ne risque-t-il pas de faire obstacle à l’exposé systématique d’une théorie cohérente ?
Pour répondre, je note que le choix de ces trois auteurs assure déjà une certaine cohérence, même si elle est largement accidentelle et ex post facto. Depuis Aristote jusqu’à nos jours, les politologues ont proposé d’innombrables typologies des régimes politiques. Chacun de ces découpages a des avantages et des inconvénients ; aucun d’entre eux ne peut prétendre à un statut privilégié ou à un rapport particulièrement intime à la nature des choses. Le choix de Veyne, Zinoviev, et Tocqueville suggère une division des systèmes politiques en régimes autoritaires, totalitaires et démocratiques. Cette trichotomie est-elle exhaustive ? Les catégories sont-elles exclusives les unes des autres ? Il faut répondre par la négative aux deux questions. Les régimes oligarchiques des cités italiennes sont difficiles à classer par rapport à cette trichotomie. Selon Tocqueville, la démocratie comporte, d’une part, le germe d’un totalitarisme omniprésent et envahissant, si doux et tutélaire qu’il soit, d’autre part le risque de susciter une aristocratie industrielle d’où pourrait naître une nouvelle forme d’autoritarisme. Les régimes historiques forment une mosaïque infiniment plus riche en nuances que la trichotomie proposée. Certes, on peut apporter une pseudo-solution à ce pseudo-problème en introduisant les  régimes mixtes , un peu comme le marxisme introduit la notion de  formations sociales  pour surmonter la distinction rigide entre les  modes de production . Ainsi pourrait-on situer les régime, historiques à l’intérieur d’un triangle dont les angles représenteraient les trois régimes à l’état pur.
Cette idée ne mérite pas un développement plus poussé. La raison pour laquelle la distinction entre régimes autoritaires, totalitaires et démocratiques me semble féconde est que, d’une part, elle recouvre une très grande partie des régimes historiques et que, d’autre part, elle permet d’identifier et d’analyser les mécanismes psychologiques à l’œuvre dans tous les régimes. Autrement dit, au niveau des motivations individuelles, ces trois régimes offrent une diversité et une variation suffisantes pour comprendre également ceux qui se sont dotés d’institutions différentes. La typologie des régimes est une construction fragile et artificielle, qui ne peut servir qu’à des fins limitées. Le répertoire des mécanismes est tout autrement robuste et intéressant.
Voilà le grand mot lâché : mécanisme. Il en sera beaucoup question dans les pages qui suivent. À mon avis, le progrès dans les sciences sociales, ne consiste pas à construire des théories générales, que ce soit le matérialisme historique, la sociologie parsonienne ou la théorie de l’équilibre économique. Leur ambition commune – établir des propositions générales et invariantes – est chimérique ; et il le restera. Mais, contrairement à une idée répandue, l’option alternative à la pensée nomologique n’est pas la méthode idiographique de description ou de narration pure. Entre les deux se trouve l’étude des mécanismes et des rouages qui les constituent. Je ne vais pas proposer de définition formelle de la notion de mécanisme. Qu’il suffise d’indiquer, par quelques exemples, qu’il s’agit d’un enchaînement causal spécifique et reconnaissable ex post, bien que rarement prévisible ex ante.


 




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