Critique


Vincent Descombes

Proust. Philosophie du roman


1987
Collection Critique , 368 pages
ISBN : 9782707311450
32.00 €


« Proust prête au narrateur cette réflexion sur le peintre Elstir : ses tableaux sont plus hardis que leur auteur, le tableau d’Elstir est plus hardi qu’Elstir théoricien. Toute l’intention du présent essai est d’appliquer la même distinction à Proust : le roman proustien est plus hardi que Proust théoricien. Par là, je veux dire : le roman est philosophiquement plus hardi, il va plus loin dans la tâche que Proust assigne au travail de l’écrivain (éclaircir la vie, éclaircir ce qui a été vécu dans l’obscurité et la confusion).
Proust théoricien mobilise les thèses de la philosophie de son temps au service du dogme qu’il défend en littérature (que l’œuvre ne saurait être expliqué par l’homme). Il reprend imperturbablement les conclusions les plus aporétiques de la philosophie moderne comme autant de vérités lumineuses : la croyance au langage privé, le solipsisme, le mythe de l’intériorité, la subjectivité des visions du monde, l’idéalisme de la représentation, la théorie esthétique des arts, le dogme de l’abstraction des notions.
Renversant l’ordre habituellement suivi par les critiques, j’ai essayé de tenir le roman pour un éclaircissement, et non pour une simple transposition, de la théorie dont Proust était parti. J’ai supposé qu’il y avait quelque chose comme un éclaircissement romanesque des propositions obscures, paradoxales, égarantes, de Proust théoricien. »
Vincent Descombes

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑

Table des sigles – Introduction – 1. Le roman, genre prosaïque – 2. Le philosophe inconnu. Vie et opinion du pseudo-Marcel – 3. Le roman philosophique – 4. L’optique des esprits. Note sur l’égoïsme pratique – 5. Mensonge et vérité romanesques. Note sur la nature de l’éclaircissement philosophique. Note sur le textualisme – 6. Une question de poétique. Note sur le romantisme – 7. Ontologie de l’œuvre d’art – 8. Le régime moderne de l’art. Note sur les concepts de la modernité – 9. Marcel devient écrivain – 10. La philosophie de Combray. Note sur la comparaison des cosmologies – 11. Suis-je invité ? Théorie des invitations – 12. L’invention de la vie intérieure – 13. Le livre intérieur des impressions – 14. Le côté Dostoïevski de Mme de Sévigné – 15. Dans l’atelier d’Elstir – 16. La réalisation de soi dans l’institution de la littérature. Note sur le beau – Bibliographie – Index

(Préfaces, décembre 1987-janvier 1988)

« Vincent Descombes voit dans la Recherche du temps perdu non pas la transposition, mais l’illustration des idées de Proust. Il va même plus loin et constate un décalage entre la pensée du romancier et la pensée du théoricien (qu’on peut résumer par l’antibeuvisme en littérature – l’œuvre ne saurait être expliquée par l’homme – et, en philosophie, la tentation du solipsisme, la subjectivité des visions du monde et la quasi impossibilité de communiquer). Le roman, de plus, peut être philosophique en tant que roman, et non pas seulement par les digressions spéculatives qui se mêlent à la narration. Quelle est donc cette philosophie de la Recherche ? Elle réside dans l’idée que le livre traduit une expérience personnelle et que seul peut faire la traduction celui qui a eu cette expérience. Ainsi la vie de Marcel est-elle sujet digne d’inspirer une grande œuvre, non pas de par son intérêt (qui est médiocre), mais parce qu’elle sera écrite par celui qui aura vécu cette vie du dedans. L’acte de l’écrivain consistera à passer, dans la traduction des sentiments, de la conversation (forme rudimentaire du langage) au registre de la littérature, c’est-à-dire à la fois à convertir en page d’écriture un moment de bonheur, à changer un jugement sur autrui en jugement sur les rapports du personnage qui juge et de celui qui est jugé, et à remplacer une forme collective d’expression par une forme individualisée (c’est le style). Proust prend donc parti, avec cette doctrine du livre intérieur, en faveur du monologue ou de l’essai philosophique contre le roman réaliste fondé sur des notations extérieures. Enfin, cette traduction est présentée comme une sorte de nécessité de nature presque religieuse. »

 




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