Romans


Emmanuel Adely

Les Cintres


1993
ISBN : 9782707314604
10.65 €


C'est peut-être la proximité contagieuse des ruines romaines qui faisait que la maison s'écroulait à son tour. À l'intérieur, les êtres avaient l'allure d'ombres solides et silencieuses, et très vite je n'ai plus déterminé qui s'effondrait de la femme ou de sa maison. Les murs tenaient par miracle. La femme est tombée. Tout était trop vieux sans doute. Il aurait fallu d'énormes sommes, ça se chiffrait en millions. Alors j'ai été ce qu'ils ont voulu que je sois, une silhouette qu'on habille, un cintre. J'ai tout tenté. J'ai cru repeupler toutes les pièces. J'ai tout fait pour que la femme meure là. J'aurais fait pire si j'avais pu.

Jean-Pierre Tison (Lire, décembre 1993)

 Dans une vieille ville française, un fils de famille - le narrateur – se prostitue pour sauver le palais de ses ancêtres. Qui s'écroule. Il reçoit sa clientèle dans le palais même, où vivent avec lui sa grand-mère et sa tante. Mais sous prétexte que la grand-mère aura plus de confort dans un appartement, les frères du dévoué narrateur essaient de vendre la bâtisse. Pour fêter une inondation qui noie tous les espoirs de vente, le narrateur sort de penderies oubliées les costumes, les corsages, les uniformes de la famille. Et la nuit, travestis dans les défroques familiales, des soldats font danser au salon " toute la généalogie sur au moins deux cents ans ”. À trente et un ans, Emmanuel Adely fait ses premiers pas littéraires dans une chorégraphie classique. 

(Lu, janvier 1994)

  Où trouve-t-on des cintres ? Dans une maison, dans un théâtre. Pour le narrateur des Cintres – premier roman d'Emmanuel Adely –, tout se joue dans cette double nature d'une vieille demeure familiale, située dans la grand-rue d'une petites ville de province, entre les ruines romaines et la caserne grise. Côté cour, des pièces abandonnées, des murs délabrés habités – si peu – par la grand-mère et la tante du narrateur. Côté jardin, la tour centrale où, dans les décors pompeux d'une époque révolue, l'acteur clef de ce drame, Janus à deux visages, se donne soir après soir aux jeunes recrues de la caserne toute proche. Son corps aux hommes, à la maison son âme : c'est ainsi qu'il a choisi de vivre, payant de sa chute le relèvement des vieilles pierres.

La scène des Cintres est ainsi partagée en deux espaces clos. Dans l'ombre, la mort gagne lentement du terrain sur “ la femme ” et “ sa fille ” – des fantômes sans prénoms –, tandis que le silence et le temps qui passe sans bruit continuent de saper les fondations de la bâtisse. Le narrateur est témoin de ce lent écroulement : “ Toutes deux se raccrochent à un passé que je ne connais pas et que par nostalgie j'essaie de perpétuer ; parfois je l'invente, je le réécris, je le transforme à mon gré, par tous les biais je tente de m'inscrire dans cette histoire, par le sang et par les rites, de façon désespérée. ” À quelques mètres de là, mais dans un monde de costumes et de décors, il refuse d'abandonner ces femmes à l'oubli et la maison aux banquiers qui rêvent d'y établir une succursale. Chaque nuit il rejoue la triste pièce de sa volontaire déchéance dans les étreintes rapides et brutales de soldats sans états d'âme. C'est pourtant de ce côté-ci de la scène qu'est la vie, de ce côté qu'on ment le moins, dans ce théâtre où les mots et les gestes répétés nuit après nuit mettent en scène la vérité.

Un jour, pourtant, la résignation l'emporte. L'humiliation renvoie cette prostitution vaine à sa crue nudité – à la réalité de la déchéance. Un amant vient troubler le jeu de l'acteur et le renvoyer à la vie : “ L'ouvrier a confondu mes histoires, mes rôles, bouleversé mes scénarios, il a fait que c'est moi qu'on abîme aujourd'hui, pas un cintre ni un costume. ”

L'écriture de ce premier roman est simple, presque dépouillée. Elle chorégraphie un ballet d'ombres. Ce ballet sombre est traversé d'éclairs sous la lumière blanche et crue desquels, soudain, la chair apparaît nue et crue.

Tel le passant qui s'arrête la nuit sur un trottoir, devant une maison, et observe la vie découpée dans le cadre des fenêtres où les rideaux ne sont pas tirés, le lecteur est pris malgré lui par ce spectacle qui ne dit rien d'autre que la vérité. 

 

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