Propositions


Marcel Vuillaume

Grammaire temporelle des récits


1990
Collection Propositions , 128 pages
ISBN : 9782707313324
11.60 €


Si un ami vous disait : “ Le jour où j’étais malade, tu feras venir le médecin ”, vous auriez sans aucun doute le sentiment qu’il use d’un bien étrange jargon. Pourtant, des énoncés de ce genre se rencontrent sous la plume d’écrivains bien connus, comme Alexandre Dumas, Paul Féval, Jules Verne, etc., et il y a fort à parier que vous en avez lu de semblables sans y prendre garde, même si vous êtes puriste.
Le présent ouvrage se propose de rendre compte de ces curieux exemples à partir d’une réflexion sur la nature des textes de fiction.
Contrairement à ce qu’on est spontanément enclin à penser, il n’y a pas que l’histoire qui est fictive dans un roman, il y a aussi le processus narratif lui-même et ses protagonistes, et les auteurs du siècle dernier ont exploité cette donnée pour créer, en marge de l’histoire proprement dite, une fiction secondaire dans laquelle le narrateur et le lecteur sont décrits comme les contemporains et les témoins directs des événements narrés. Dans leurs romans, le site temporel du processus narratif n’est pas fixe : il est identifié tantôt à la date de publication du livre – et, dans ce cas, l’histoire est appréhendée rétrospectivement –, tantôt à l’époque où se déroulent les faits racontés, qui sont alors saisis au moment même où ils surviennent. Il en résulte de spectaculaires changements de perspective exprimés par des énoncés – comme par exemple celui-ci : “ Le soir même du jour où Chicot partait pour la Navarre, nous retrouverons dans la grande chambre de l’hôtel de Guise (...) ce petit jeune homme que (...) ” (A. Dumas) – qui semblent constituer un défi aux règles de grammaire.
Le présent ouvrage s’adresse évidemment à tous ceux qui s’intéressent à la fiction et aux techniques narratives, mais aussi aux linguistes, qui trouveront dans les exemples cités ample matière à réflexion.

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑


Introduction

Chapitre I : Les niveaux de repérage temporel. 1. Caractérisation sommaire des deictiques de temps – 2. Communication immédiate et communication différée – 3. Les différents niveaux de repérage dans les textes de fiction

Chapitre II : Les thèses en présence. 1. Un argument d’autorité : le bon usage – 2. L’interprétation de G. Fauconnier – 3. Récit ou style indirect libre ? – 4. Une hypothèse des théoriciens allemands : un univers fictif ne peut être passé

Chapitre III : Les deux dimensions de la fiction. 1. La fiction secondaire – 2. Esquisse d’une solution

Chapitre IV : La datation dans les deux fictions. 1. La datation absolue – 2. Les relations temporelles entre fiction principale et fiction secondaire – 3. Le problème du style indirect libre

Conclusion – Bibliographie – Index

‑‑‑‑‑ Extrait de la conclusion ‑‑‑‑‑

Les faits étudiés dans ce livre résultent, directement ou indirectement, de l’aptitude des récits de fiction, sinon à reproduire réellement les événements qu’ils narrent, du moins à susciter chez le lecteur l’illusion que ces événements se déroulent sous ses yeux. Mais d’ou procède au juste cette aptitude ?
Les récits auxquels j’ai emprunté la plupart de mes exemples comportent deux fictions, la fiction fondamentale, qui correspond à ce qu’on appelle communément l’histoire, et la fiction secondaire ou marginale, qui met en scène le narrateur et le lecteur et les présente comme témoins oculaires des événements narrés.
Un mot d’abord sur la narration et ses protagonistes. Même lorsque le texte ne les évoque pas explicitement, il les implique par son existence même. Mais le processus narratif ainsi que ses protagonistes, sont tout aussi fictifs que les personnages et les événements de la fiction fondamentale. Qu’on pense par exemple aux romans d’anticipation : rédigés au passé, ils supposent une narration postérieure à l’époque qu’ils décrivent et, par conséquent, un narrateur et un lecteur qui vivent dans un temps postérieur à la date réelle de leur publication et qui, pour cette simple raison, ne peuvent être que des entités fictives. Je pense toutefois qu’il faut distinguer la fiction – qui englobe l’univers narré, la narration et ses protagonistes – de l’histoire proprement dite, dont le narrateur et le lecteur ne font pas partie : j’ai déjà souligné, en effet, que, si l’on avait à raconter un roman d’A. Dumas, on ne mentionnerait certainement pas les faits et gestes attribués au narrateur et au lecteur.
Ces deux rôles étant impliqués par le récit lui-même ou, plus exactement, par l’activité qui l’engendre, on peut se demander si la fiction marginale ne fait qu’expliciter certaines propriétés de la fiction en général ou si elle va au-delà et constitue un  supplément  de fiction et, selon l’expression de G. Genette (1972 : 243-246), une  transgression . Pour en juger, il faut essayer de saisir les œuvres de fiction dans leur spécificité en les comparant à d’autres sortes de narrations.


 




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