Propositions


Nelson Goodman

Faits, fictions et prédictions

Traduit de l’anglais par Martin Abran
Avant-propos d’Hilary Putnam
Traduit de l’anglais par Yvon Gauthier, traduction revue par Pierre Jacob


1985
Collection Propositions , 136 pages
ISBN : 9782707306975
19.00 €


Faits, fictions et prédictions est un chef-d’œuvre de la philosophie analytique nord-américaine. En à peine plus de cent pages d’une prose dont on ne saurait retrancher le moindre mot, l’auteur renouvelle l’étude du problème de l’induction légué par David Hume. Il a perçu les étroites relations qui unissent quatre catégories de problèmes : l’interprétation des énoncés contrefactuels (comme “ Si j’étais riche, ma deux-chevaux serait une Rolls-Royce ”) dont les antécédents sont faux ; l’interprétation des énoncés contenant des termes dispositionnels comme “ soluble ” ; la nécessité de distinguer les lois scientifiques des simples généralisations accidentelles et le problème de l’induction ou de la projection de prédictions portant sur des cas inobservés à partir de connaissances portant sur des cas observés. L’ouvrage s’organise autour de la formule et de la solution de la fameuse énigme de l’induction. Goodman invente le prédicat de couleur “ vleu ” qui s’applique à toutes les choses examinées avant l’an 2000 et sont vertes ou à toutes les choses non examinées avant cette date et sont bleues. Comme toutes les émeraudes que nous avons examinées se sont révélées vertes, les prédicats “ vert ” et “ vleu ” s’y appliquent. Donc nous sommes portés à prédire de la première émeraude qui sera examinée le 1er janvier 2000 conjointement qu’elle sera verte et qu’elle sera bleue. Mais ces deux prédictions ne peuvent pas être simultanément vérifiées : la première émeraude bleue à être examinée le 1er janvier 2000 sera bleue et non pas verte. Qu’est-ce qui nous fait préférer l’usage de mots comme “ bleu ” et “ vert ” à des mots comme “ vleu ” et “ blert ” pour accomplir nos inférences non démonstratives ? Artiste autant que logicien, Goodman subordonne l’intérêt des méthodes à la profondeur philosophique.

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑

Avant-propos à la 4e édition – Introduction à la 1ere édition (1954) – Introduction à la 3e édition (1973) – Introduction à la 4e édition (1983)

Dans de beaux draps (1946)
I. Le problème des conditionnels contrefactuels. 1. Aspects généraux du problème – 2. Le problème des conditions pertinentes – 3. Le problème de la loi

Projet (1953)
II. Le trépas du possible. 1. Préface : Sur la conscience philosophique – 2. Les contrefactuels – 3. Les dispositions – 4. Les possibles – 5. Le trépas

III. La nouvelle énigme de l’induction. 1. Le vieux problème de l’induction – 2. La dissolution du vieux problème – 3. La tâche constructive de la théorie de la confirmation – 4. La nouvelle énigme de l’induction – 5. Le problème endémique de la projection ..

IV. Vers une théorie de la projection. 1. Un nouveau regard sur le problème – 2. Projections réelles – 3. Solution des conflits – 4. Projectibilité par présomption – 5. Projectibilité comparative – 6. Tour d’horizon et conjecture

Index

Jean Lacoste (La Quinzaine littéraire, 1er avril 1985)

À partir de la rupture opérée par Wittgenstein
 
« Nelson Goodman, philosophe américain né en 1906, est, avec son collègue de Harvard, W. V. O. Quine, le représentant brillant d’une forme nouvelle d’empirisme qui renonce aux “ dogmes ” du positivisme logique et en particulier à la distinction essentielle, aux yeux de Carnap ou du Wittgenstein du Tractatus, entre les données de l’observation et les vérités analytiques de la logique. Dans Faits, fictions et prédictions, qui reprend une conférence donnée à New York sur les énoncés “ contrefactuels ” et trois conférences londoniennes de 1953, Goodman reprend sur de nouvelles bases le problème de l’induction formulé par Hume.
Celui-ci avait constaté, provoquant ainsi une perplexité durable, que nos prévisions empiriques en apparence les plus solides se fondaient sur l’habitude, et non sur quelque ordre objectif de la nature. Goodman, loin de reprocher au philosophe anglais d’avoir seulement décrit l’inférence inductive sans chercher à la légitimer, va retourner vers la pensée authentique de Hume et montrer, au risque de tomber dans un cercle, qu’une induction est justifiée par sa conformité aux règles générales de l’induction, qui sont elles-mêmes justifiées par leur conformité à des inférences inductives valides (p. 80). En d’autres termes, l’induction, qui joue pourtant un rôle essentiel dans notre connaissance du monde extérieur, ne se fonde ni sur un ordre intrinsèque du monde (ce qui serait l’explication spontanée du sens commun), ni sur des lois universelles de la nature humaine ou de la pensée, et n’aura d’autre fondement – relatif – que notre “ pratique linguistique ” (p. 125).
Goodman considère donc que le vieux problème de l’induction (la question de la légitimité) est dépassé, mais que les philosophes – même quand ils suivent l’inspiration de Hume et du dernier Wittgenstein, c’est-à-dire abandonnent la recherche d’un fondement pour la description des pratiques réelles – se trouvent devant une “ nouvelle énigme de l’induction ” : toutes les régularités que nous observons ne donnent pas lieu à des habitudes et, par conséquent, toutes les prédictions fondées sur des régularités ne sont pas valides. D’où la question centrale de ces conférences : qu’est-ce qui distingue les hypothèses ayant la forme d’une loi et confirmables des hypothèses accidentelles ou non confirmables ?
C’est pour illustrer cette difficulté que Goodman a inventé le paradoxe célèbre des émeraudes vertes et “ vleues ” (sic). Supposons que toutes les émeraudes examinées avant un instant t soient vertes. Nous avons une hypothèse générale (toutes les émeraudes sont vertes) confirmée par toutes nos preuves empiriques. C’est une induction “ normale ”. Mais introduisons maintenant un nouveau prédicat, “ vleu ” (en anglais grue, par contraction de green et blue), qui s’applique à toutes les choses examinées avant t et qui sont vertes et à toutes les choses non examinées et bleues. À l’instant t nous pouvons également formuler une deuxième hypothèse générale : toutes les émeraudes sont “ vleues ”. Mais – et c’est ici que gît le paradoxe – si une émeraude examinée après t est “ vleue ”, elle est, par définition, bleue et donc n’est pas verte. Ainsi nous avons pu formuler deux prédictions cohérentes et pourtant incompatibles. Preuve qu’il est essentiel, dans la pratique de l’induction et de la prévision, de choisir les prédicats “ projectibles ”.
Quelle est la signification générale de l’invention de ce prédicat bizarre ? La démarcation entre les prédictions valides et invalides dépend non de la forme de l’induction, mais du monde et donc de la façon dont les mots décrivent et “ pronostiquent ” (p. 124) le monde. Comme le Wittgenstein des Recherches philosophiques, Goodman se refuse à accepter l’image spontanée (aristotélicienne) d’un monde déjà construit, objectif, meublé de choses-substances ayant des propriétés naturelles. Mais de cette absence d’objectivité Goodman ne tire pas des conclusions sceptiques. Nos règles n’ont peut-être pas de validité absolue, elles n’ont peut-être pas de fondement dans l’ordre des choses, mais elles fonctionnent, et avec elles nous construisons, de façon collective, des mondes nouveaux. Le “ pragmatisme ”, au bon sens du terme, de Goodman s’accompagne, comme le note Putnam dans son avant-propos, d’un pluralisme véritable, ou, pour parler comme Quine, d’une “ ontologie relative ”. Ce que nous confondons avec le monde réel, dit Goodman, n’est qu’une description particulière de celui-ci, et ce que nous prenons pour des mondes possibles ne sont que des descriptions également vraies, énoncées en d’autres termes. (…) »

 




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