Romans


Éric Laurrent

Un beau début


2016
288 pages
ISBN : 9782707329523
15.00 €
20 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


Enfant, Nicole Sauxilange s’imaginait un destin de sainte. Avec l’adolescence, une autre ambition se fit jour dans l’esprit de cette petite provinciale : devenir une star. Qu’elle ne possédât aucun talent ne l’en détournerait pas. Il suffirait de poser nue.

ISBN
PDF : 9782707329547
ePub : 9782707329530

Prix : 10.99 €

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Nathalie Crom, Télérama, 2 mars 2016

Les uns n'y verront sans doute rien de plus qu'un caprice du hasard, d'autres croiront y reconnaître quelque effet édifiant de la loi divine, d'autres encore une de ces « pétrifiantes coïncidences » auxquelles André Breton et les surréalistes invitaient à se montrer attentifs… Toujours est-il qu'Un beau début, le nouveau roman d'Eric Laurrent, s'ouvre sur une étrange, pour ne pas dire scabreuse, occurrence : sur les pages arrachées à une revue de charme dont il a décoré les murs de la cellule, où il est enfermé pour trafic de stupéfiants, le dénommé Robert Malbosse jamais ne saura que le corps dénudé qui s'offre aux regards est celui de sa propre fille. « Il ignorerait même jusqu'à la fin de sa vie qu'il en avait une », précise Eric Laurrent – le roman qui commence va néanmoins se charger d'éclairer par quel (triste) enchaînement de faits et de circonstances ce corps de jeune fille, nu et même pire que cela, s'est retrouvé là, punaisé au-dessus du lit de son inconscient géniteur.
C'est à la façon d'un mélodrame, ne lésinant ni sur les rebondissements dramatiques ni sur les stéréotypes (personnages et situations), que se déploie Un beau début. Ou l'histoire des premiers pas dans la vie de Nicole Sauxilange, innocente enfant née dans les années 1960 à Clermont-Ferrand, dans un milieu pour le moins défavorisé, fruit des peu romantiques amours du voyou Bob Malbosse et de Suzy, une adolescente hautement malmenée par l'existence. Nicole, qui, à peine sortie de l'adolescence, brisée par un chagrin d'amour, entamera à Paris une carrière de modèle pour le magazine pornographique Dreamgirls – carrière dans laquelle, devenue Nicky Soxy, elle connaîtra d'ailleurs un succès certain, voire une forme de consécration, nous apprend au cours du roman une des notes en bas de page dont on aurait grand tort de se priver, car c'est à elles que l'écrivain confie notamment le soin de compléter l'histoire, le roman lui-même se concentrant sur la généalogie et l'enfance de son héroïne.
Soit donc la pieuse, crédule et imaginative Nicole (« une espèce d'héroïne, un mixte de Cosette, d'Oliver Twist, de Tom Sawyer et de Rémi, le protagoniste de Sans famille… »), qu'Eric Laurrent brutalise sans trop de vergogne, tout comme quelques chapitres auparavant il maltraitait passablement Suzanne, sa mère – l'une et l'autre livrées si jeunes aux appétits barbares des hommes, aux lubies cruelles du destin et à l'acharnement du romancier. Lequel ne fait pas mystère de l'ironie avec laquelle il se lance dans le roman populaire – lui pour qui « la littérature est avant tout un art de la combinatoire, un travail et un détournement de traditions et de formes préexistantes », et qui déjà s'est attaqué par le passé au récit amoureux (Clara Stern, Renaissance italienne), au roman d'initiation à la sensualité et à l'érotisme (Les Découvertes), voire au roman d'action (Les Atomiques, Ne pas toucher)…
Eric Laurrent n'évolue pourtant jamais dans le registre de la parodie, de la pure ironie. Son geste romanesque est infiniment plus singulier, plus sophistiqué, plus sincère aussi, qui s'appuie sur une phrase infiniment précieuse et baroque – et un lexique non moins raffiné – dont il a fait, de livre en livre, depuis vingt ans, sa voix propre, parfaitement identifiable, et son arme. Une phrase proustienne, merveilleusement rythmée et digressive, capable d'assumer tout ensemble la narration rocambolesque et les descriptions minutieuses, hyperréalistes même, des corps, des paysages ou des objets, somptueuses comme des toiles peintes, portraits vivants ou natures mortes. Une phrase en outre faite pour accueillir encore les commentaires dont le romancier ne se prive pas – car il n'est jamais neutre, cet écrivain à la pente moraliste, qu'il s'agisse de souligner les faiblesses et les étincelles de grâce d'un personnage ou de pointer le ridicule et les travers d'une époque.
Dans Un beau début, à la fiction se mêle une part indéfinissable d'autofiction : Eric Laurrent est né à Clermont-Ferrand en 1966, le décor dans lequel Nicole grandit est manifestement celui de sa propre enfance. Et le narrateur qui surgit au beau milieu du livre, alors qu'on ne soupçonnait pas son existence, pourrait bien être lui, ou un individu qui lui ressemble. Un homme que n'épargne pas la nostalgie de l'enfance et du temps à jamais perdu. Un écrivain virtuose capable, partant d'un matériau on ne peut plus trivial, de construire une œuvre tout à la fois ironique et sensible, cruelle et sensuelle, éblouissante.


Norbert Czarny, www.en-attendant-nadeau.fr

Un roman d’éducation


Devenir une « people » exige un long apprentissage. Celui de Nicole Sauxilange tourne court mais elle aura quand même eu le temps de poser nue. Ce qui est une forme de réussite quand rien ne vous y préparait. Résumer ainsi Un beau début d’Éric Laurrent est une façon d’aller vite, trop peut-être.

Lire Éric Laurrent consiste d’abord à accepter un rythme : celui de ses longues phrases raffinées, élégantes jusqu’à la préciosité. Afin de ne pas nous répéter et de ne pas tomber dans le cliché le concernant, disons que jamais cette écriture qui oblige à attendre n’a été plus justifiée que dans Un beau début. C’est le plus souvent dans sa dernière partie que la phrase contient l’élément qui fait avancer l’intrigue, puisque intrigue il y a, que voici. Nicole Sauxilange naît en juillet 1966 à Clermont-Ferrand. Comme le narrateur lui-même dont elle est la jumelle astrale. Mais pas que, nous y reviendrons. Elle passe son enfance entre la métropole auvergnate et Courbourg, village fictif dans lequel se déroulait déjà À la fin et Les découvertes du même auteur. Elle est la fille de Suzy, une jeune rebelle qui a rompu avec Mado et Max Turpin, deux dévots chez qui la petite Nicole vit parfois, quand sa mère fait la route, dans les années soixante-dix. Au début, Nicole veut devenir une sainte. Elle passe son temps à l’église, prie chez elle ou chez sa mère qui supporte mal ses disques des Petits chanteurs à la croix de bois. Adolescente, cette foi devient croyance aveugle en l’image, et d’abord l’image de soi, la célébrité. Nicole rêve de devenir une star. Elle connaîtra un beau début en posant nue, pour un magazine coquin sous le nom de Nicky Soxy, en 1981. Et l’on trouvera sa photo en quadrichromie affichée dans la cellule de prison qu’occupe un certain Robert Malbosse, sans doute son père qui l’ignore, ou contemplée sous les draps par un adolescent prénommé Éric, à Clermont-Ferrand…
On l’aura compris, ce roman malicieux, souvent drôle est aussi truffé d’indices, de signes, de références lisibles ou cachées dont on se régale. Si l’on ne connaît pas Éric Laurrent, cette découverte constitue sinon un beau début, du moins un bon début. On y retrouve sa fascination pour la beauté féminine et pour sa représentation. L’écrivain aime au moins autant la peinture Renaissance (et L’enlèvement des Sabines de David) que les photos les plus « ordinaires ». Ses descriptions précises, et notamment celle qui ouvre le roman, s’attachent au moindre détail, disent une fascination et un goût jamais démenti depuis l’enfance pour l’adjectif rare le plus évocateur. Mais Un beau début, au titre plein d’ironie est aussi une galerie de portraits qui emprunte à la fois aux peintres voyous comme Le Caravage, et à la Légende dorée. C’est d’ailleurs sur ces figures brutales que commence le roman. Chaque chapitre présente un membre de la « famille » (les guillemets s’imposent tant parfois la confusion peut régner). Après Robert Malbosse et Max Turpin, Madeleine Sauxilange, puis sa fille adoptive, Suzy, qui prend de grandes décisions le jour de ses treize ans. Pour la jeune Nicole, les débuts dans la vie parmi ces êtres un peu frustes ne va pas de soi. Ils ne sont pourtant pas caricaturaux, juste assez limités. Ce dont témoignent les paroles au discours direct que rapporte le narrateur. Elles sont drôles, contrastant avec la narration toute en volute et en subtilité.
Nicole, on l’a dit, est la jumelle astrale du narrateur. On lira donc ce roman, pure fiction suppose-t-on, en écho avec Les découvertes paru en 2011. Il s’agissait déjà d’une initiation, celle du narrateur et peut-être auteur, à la beauté féminine, au sexe et à l’amour, à travers les images, et la réalité tangible. Le « je » qu’on trouve quelquefois dans ce roman-ci est celui qui raconte et celui qui fait le lien entre la jeune fille et lui, son éphémère camarade de classe. Le seul vrai point commun entre Nicole et « Éric », c’est l’origine sociale : tous deux sont issus d’un milieu populaire, tous deux marqués par un certain catholicisme. La mère des Découvertes collectionnait les numéros de La vie catholique, les conservant dans le grenier ; il en faisait un usage très personnel, pour cacher ses magazines…
Un beau début, plus que Les Découvertes, est le roman d’une époque. Tout commence dans la grisaille des années De Gaulle, sans trop de références au temps. Puis on entend Jimi Hendrix qui transformera le destin de Suzy, l’éternelle rebelle devenue « consciente » sur le plan politique, on voit Nadia Comaneci à la télévision, Nicole chantonne « Reality », le groupe suédois ABBA connaît un triomphe, la chanson fétiche de La Boum et la langue est peu à peu truffée de « c’est pas mon trip » et autres expressions passées, comme les couleurs. Et pourtant, on n’est pas prisonnier d’une époque : Un beau début ne joue pas comme miroir de ces années qui se closent avec l’arrivée de Mitterrand au pouvoir. Le roman reprend l’éternelle histoire de Narcisse, mourant de se contempler dans un miroir d’eau, celle de Nana dont le corps triomphe un temps, celle d’Emma Bovary qui rêve de langueurs en Italie. C’est un roman d’apprentissage et l’histoire, si balzacienne dans son motif, d’une provinciale montant à Paris, qui plus est sur les Champs-Élysées.
Incidemment, on apprendra que Nicole est morte, conservant sur elle ses chaussures. Quand, pourquoi, on l’ignore. À chaque lecteur de donner son explication.

 




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