Paradoxe


William Marx

Le Tombeau d'Œdipe

Pour une tragédie sans tragique


2012
208 p.
ISBN : 9782707322012
18.00 €


Il faut sauver la tragédie grecque de toute la gnose philosophique et tragique qui l'accable depuis près de trois siècles. Il faut la sauver de notre conception moderne de la littérature et du théâtre. Il faut la sauver de nous-mêmes pour la retrouver ailleurs, très loin, dans les lieux les plus improbables : le nô japonais, la messe catholique, la psychanalyse freudienne… À moins qu'elle ne soit déjà plus nulle part.
Car la tragédie est aussi introuvable que le tombeau d’Œdipe, ce tombeau que Sophocle prit pour thème de sa pièce ultime, laquelle est également la dernière tragédie grecque connue.
Avec Œdipe à Colone pour fil conducteur, ce livre raconte l’histoire édifiante d’une incompréhension à laquelle nous sommes voués. Il révèle les incroyables trahisons et mutilations dont ces chefs-d’oeuvre furent les victimes et propose en retour quelques thèses - ou hérésies – susceptibles de bouleverser non seulement notre vision de la tragédie, mais notre conception même de la littérature et de ses pouvoirs – sur les lieux, les corps et les dieux.
Nul détour n’est aujourd’hui si troublant ni si salutaire.

ISBN
PDF : 9782707324290
ePub : 9782707324283

Prix : 12.99 €

En savoir plus

Jean-Louis Jeannelle, Le Monde, 30 mars 2012

Agitateur des lettres

Les essais de ce critique de 46 ans bousculent l'histoire littéraire. Dans « Le Tombeau d"Œdipe », il démontre notre méconnaissance de la tragédie antique et poursuit ainsi son enquête sur l’idée de littérature.

Retrouvé dans les eaux du Rhône et actuellement exposé au Louvre, le magnifique buste de l'empereur Auguste est l'unique fragment qui subsiste d'une statue de quatre mètres. Alors que nous passons devant, William Marx me glisse : "Les portraits d'Auguste ne manquent pas... Alors pourquoi celui-ci nous plaît-il tant ? Précisément, parce qu'au lieu de la pompeuse effigie initialement représentée nous voyons une œuvre à moitié détruite qui nous évoque une ruine romantique ou un Chirico."
Rendez-vous avait été donné à l'exposition "Arles, les fouilles du Rhône" : William Marx désirait y contempler le portrait de Jules César découvert en 2007, le seul réalisé de son vivant. Du moins le suppose-t-on... "Comment en être certain, puisque nous n'avions, jusqu'ici, que des pièces de monnaie ou des bustes réalisés après sa mort ? A quoi comparer ce qui est supposé servir de point de comparaison ?"
Le Tombeau d'Œdipe, son nouvel essai, est destiné à provoquer : ceux qui espèrent quelque découverte archéologique en seront pour leurs frais ; Œdipe a disparu "sans laisser de trace" et ne laisse qu'un tombeau vide. Professeur à l'université Paris-Ouest-Nanterre après un parcours académique imposant (Ecole normale supérieure, Institut universitaire de France...), William Marx n'est jamais exactement où on l'attend : en 2009, il fait l'éloge de la Vie du lettré (Minuit), que l'on imagine volontiers retiré. Mais quant à lui, il prend publiquement position en faveur du pacs et dénonce l'interdiction de la prostitution d'une formule cinglante : "On ne réprime pas un abus en supprimant une liberté" (Le Monde, 22 décembre 2011).
Si Le Tombeau d'Œdipe avait eu pour auteur Pierre Bayard (un autre grand nom de la bien nommée collection "Paradoxe" des éditions de Minuit), il se serait certainement intitulé : "Comment parler des œuvres dont on sait peu de chose, même après les avoir lues ?" Car l'effet esthétique que suscite le buste d'Auguste n'est pas si éloigné de celui que nous procurent les tragédies antiques. "A ceci près, précise Marx, que nous avons tout à fait conscience qu'un fragment de statue est une ruine dont la beauté est liée au passage du temps, alors que nous oublions, dans le cas des tragédies, de les lire comme des œuvres radicalement amputées."
Des siècles de commentaires nous ont donné l'assurance d'accéder à un corpus d'œuvres aussi authentiques que le serait une photographie de Jules César ? Trompeuse illusion : de tous les dramaturges du Ve siècle av. J.-C., nous n'en connaissons à présent plus que trois, dont ne subsistent que des fragments : sept pièces sur les quatre-vingt-dix composées par Eschyle ou encore sept autres sur cent vingt-trois (pense-t-on) de Sophocle...
Il y a plus : entre l'Antiquité et nous, fut inventé, vers la fin du XVIIIe siècle, ce que nous appelons la "littérature". Le malentendu tient principalement à cela : "Nous lisons les textes anciens avec cette idée d'un art autonome, à vocation universelle, détaché le plus possible de son contexte - des lieux, des temps et des dieux. Or, rien de cette conception-là n'existait à Athènes au Ve siècle avant notre ère."
Certes, les spécialistes de la littérature antique avaient déjà critiqué l'invention, par les romantiques, du concept de "tragique", plus révélateur de la philosophie du XIXe siècle que des pièces elles-mêmes. Ou souligné que notre connaissance s'appuie sur très peu d'oeuvres, jouées dans des conditions radicalement différentes des nôtres. Mais William Marx va plus loin : à ses yeux, la question n'est pas de savoir ce qu'est la tragédie mais plutôt ce qu'elle n'est pas - en la matière, établir et analyser notre ignorance est l'une des tâches les plus urgentes.
Un tel programme va à l'encontre de l'un des dogmes de la critique littéraire. A savoir que tout texte se suffit à lui-même et qu'il contient, au-delà du contexte biographique et historique, les données qui permettent de l'interpréter. La question est essentielle, et William Marx y a consacré la plupart de ses travaux, depuis sa thèse sur les deux fondateurs de la critique formaliste, Paul Valéry et T. S. Eliot, Naissance de la critique moderne (Artois Presses Université, 2002) jusqu'à son Adieu à la littérature (Minuit).
En 2005, la publication de cet essai majeur avait suscité d'intenses débats. Marx y montrait que l'idée de "littérature" (confondue le plus souvent avec celle de "texte") s'inscrit dans une histoire longue. Discutant l'approche sociologique de Pierre Bourdieu, il retraçait, en partant de Voltaire, la conquête par la littérature de son autonomie (qu'illustre le culte de "l'art pour l'art"), et y repérait les causes de la lente dévalorisation qui s'ensuivit.
Mais si la littérature fut "inventée" au XVIIIe siècle, qu'en était-il alors auparavant ? Le Tombeau d'Œdipe se situe dans cet amont. On y apprend que la tragédie grecque n'a pratiquement rien à voir avec notre conception "textocentrée" de la littérature : qu'il s'agisse du rapport à des lieux précis (mais que nous ne savons plus situer), de l'importance accordée au corps, notamment aux humeurs (sources, selon William Marx, de la célèbre catharsis aristotélicienne), ou encore de la dimension religieuse (dont on trouve aujourd'hui un équivalent dans les églises bien plus qu'au théâtre), il nous faut nous résoudre : la tragédie "avec ses vestiges trompeurs" est une sorte de mirage et les charmes dont nous la parons tiennent en grande partie à notre ignorance.
Ainsi, de livre en livre, William Marx trace une voie de recherche certainement promise à un bel avenir : "Saisir la littérature par ce qui lui échappe totalement."

Lire l'article de Florence Dupont, "Les Dieux ne lisent pas", Acta Fabula, mars 2012.

 




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