Le sens commun


John Blacking

Le Sens musical

Traduit de l’anglais par Éric et Marika Blondel


1980
Collection Le sens commun , 144 pages, 23 illustrations
ISBN : 9782707303172
19.50 €


Qui a le sens de la musique ? demande l’auteur. Il y a tellement de musique dans le monde qu’on peut dire qu’elle est comme le langage ou la religion, un trait spécifique de l’espèce humaine
Dans nos sociétés occidentales, la musique est réservée à une élite, seule jugée capable d’en faire et de la comprendre, même si le système mercantile, qui l’utilise abondamment, reconnaît implicitement la réceptivité de tout homme à ses messages. En même temps, notre ethnocentrisme ne voit en dehors de la musique d’art de l’Occident, que facilité populaire ou rudiments.
Qu’est-ce que l’amour de la musique ? Par une analyse ethnomusicologique de musiques africaines et européennes, John Blacking montre que le sens musical est universel, mais qu’il est plus ou moins cultivé selon les classes et les types de société dont la musique exprime les structures et les conflits. Il permet, en dernière analyse, de partager et de transmettre certaines expériences d’individu et de groupes, en vue d’un développement harmonieux du corps, de l’esprit et des rapports sociaux.

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑


Préface – Le son humainement organisé – La musique dans la société et la culture – La culture et la société dans la musique – L’humanité toniquement organisée

Jean-Marie Gibbal (La Quinzaine littéraire, 1er décembre 1980)

La musique dans la société et la culture
 
“ La musique c’est l’homme ”, suggère John Blacking dans le titre anglais de son livre [How musical is man]. Il définit plus précisément l’objet musical comme du “ son humainement organisé ” qui exprime “ certains aspects de l’expérience des individus en société ”. La thèse de l’ouvrage se résume de la façon suivante : “ Si l’on veut estimer la valeur de la musique dans la société et la culture, il faut la décrire eu égard aux attitudes et aux processus cognitifs qu’implique sa création et aux fonctions et effets du produit musical dans la société. Il s’ensuit qu’il devrait y avoir des rapports structuraux étroits entre la fonction, le contenu et la forme de la musique. ”
L’auteur puise l’essentiel de sa démonstration dans la musique des Vendas, habitants d’une zone montagneuse du Nord-Transvaal, chez lesquels il a longuement séjourné. Il utilisera cependant, tout au long des pages, un contrepoint d’exemples puisés dans les musiques européennes dites “ savantes ”. Les Vendas constituent une société archaïque animée, aux dires de Blacking, d’un esprit communautaire poussé, ils ne subirent que tardivement la domination des Boërs et leur tradition est demeurée vivace malgré l’obligation des hommes d’émigrer vers les villes pour assurer la survie de leur famille. Dans cette société, l’activité musicale (jouer d’un instrument, chanter) concerne une proportion importante des individus, bien que certains groupes et certaines personnes soient plus fréquemment sollicités pour développer leurs aptitudes. En gros, la situation est l’inverse de celle présentée par les sociétés industrielles où la spécialisation et la hiérarchisation sociale excluent la majorité de leurs membres d’une pratique musicale. Le développement ou l’atrophie des aptitudes musicales dépendent des fonctions de la musique dans la société considérée. Or, chez les Vendas, elle est constamment liée à l’activité des différents groupes et institutions en présence. Elle favorise la cohérence de la société et les échanges entre ses membres à l’occasion des temps forts de la vie sociale tels les fêtes des lignages ou l’initiation des jeunes filles.
Blacking critique les thèses évolutionnistes (des gammes simples vers les gammes étendues, jugées les meilleures), ainsi, que l’ethnomusicologie classique qui s’en tient uniquement à des analyses techniques ; il incite vivement à procéder à une recherche musicale qui tienne compte de toutes les instances de la société. Dans cette perspective, la musique, à l’instar du langage, se donne comme un tout en relation structurale avec les autres composantes du groupe observé.
Ainsi, dans la société Venda, les enfants l’apprennent comme ils apprennent à parler et leurs chansons sont des transformations de la musique adulte qu’ils ont entendue et qu’ils joueront plus tard. Dans cette perspective intégrative, les relations entre la sphère musicale, les sentiments, les idées des musiciens et la société s’établissent de telle sorte que “ la musique n’est pas un langage qui dit comment la société semble être constituée ; mais l’expression métaphorique de sentiments associés à la manière dont elle est effectivement constituée ”. Aussi chaque musique trouve son principe singulier dans les relations qu’elle entretient avec les autres instances de la société considérée. Cela n’empêche pourtant ni la communication entre des expériences musicales différentes ni la réceptivité de l’auditeur à des musiques étrangères à sa culture puisque tout le monde participe à la spécificité musicale de l’espèce. “ Je ne prétends pas que des systèmes musicaux particuliers soient innés mais que certains des processus qui les engendrent peuvent être innés chez tous les hommes et, ainsi, spécifiques de l’espace ”.
Car il y a un postulat structuraliste généralisateur qui court dans la démarche de Blacking et qui l’amène à souhaiter que l’ethnomusicologie devienne une branche de l’anthropologie de la connaissance, car : “ un des avantages à prendre la musique pour objet d’étude, c’est qu’elle est un processus relativement spontané et inconscient. Elle peut donner une image du fonctionnement de l’esprit humain sans interférences et donc l’observation des structures musicales peut révéler certains des principes structuraux sur lesquels se fonde toute vie humaine ”.
Dans la perspective même de la démarche suivie on aurait aimé recevoir plus de détails sur l’organisation sociale proprement dite des Vendas : système de parenté, pouvoir politique, autres institutions que l’école d’initiation des jeunes filles. On peut justement supposer que cette initiation, avec tous les éléments de symbolique sociale et biologique qu’elle actualise, doit aussi jouer un rôle de contrôle social comme tous les rituels de passage communs aux sociétés africaines. L’auteur insiste plus sur les aspects fusionnels et intégrants d’une part et sur les relations structurales, d’autre part, des institutions qu’il présente, que sur leur fonctionnement, éventuellement conflictuel, au sein de la société Venda, laissant ainsi dans l’ombre une partie du réel concerné.
Très situé, parfois touffu et brouillon, souvent très technique (les pages comportent des fragments de partitions musicales européennes et de nombreuses transcriptions de musique venda), ce curieux petit livre est aussi très généreux et débouche sur des propositions universelles séduisantes. Il dépasse le cadre strict de l’ethnomusicologie et celui du cercle restreint de spécialistes en ce sens que la pensée de l’auteur présente des aspects à la fois pragmatiques et résolument optimistes, voire utopiques. Ainsi en va-t-il de l’idée que la musique, si elle ne modifie pas le sens des rapports sociaux, facilite pour le moins la communication entre les individus et suscite le meilleur d’eux-mêmes. “ La principale fonction de la musique dans la société et la culture est de promouvoir une humanité toniquement organisée en relevant le niveau de conscience des hommes. ” Plus loin : “ La tâche ardue, c’est d’aimer, et la musique est un savoir-faire qui prépare l’homme à cette tâche suprêmement difficile. ” Enfin : “ Si nous en apprenons davantage sur la complexité automatique du corps humain, nous serons peut-être en mesure de prouver d’une manière concluante que tous les hommes naissent munis de grandes possibilités intellectuelles, ou au moins d’un très haut niveau de compétence cognitive et que la source de la créativité culturelle est la conscience qui naît de l’activité sociale commune et des échanges d’amour. ”
À partir de l’exemple de la société Venda, caractérisée par l’acuité musicale de ses membres, acquise grâce à une éducation appropriée, Blacking pense que le développement intégré des aptitudes communes, c’est-à-dire l’acquisition des techniques alliée à l’éveil de la sensibilité, devrait favoriser l’apparition de relations meilleures entre les hommes. 

 

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