Romans


Marie Redonnet

Rose Mélie Rose


1987
144 pages
ISBN : 9782707311337
11.60 €


Rose meurt le jour où Mélie a douze ans et ses premières règles. Alors Mélie quitte le magasin de souvenirs de l'Ermitage pour aller à Oat – prononcer “ O-at ” – au bord de la mer, avec dans son sac le livre de légendes, cadeau de Rose. Il y a deux côtés à Oat : le côté de la lagune et des très vieux : Nem, Mélie, et des vieux : le brocanteur, le photographe ; et le côté du port avec Pim, Yem, Cob, mademoiselle Marthe. Mélie vit au 7 rue des Charmes, va aux goûters dansants du Continental, va une fois au Bastringue, puis découvre la plage aux Mouettes. Elle a toujours avec elle son polaroïd, pour les douze photos qu'elle aura à faire en écrivant au dos la légende, et en les glissant l'une après l'autre dans son livre de légendes, pour Rose.
Rose Mélie Rose clôt le triptyque dont Splendid Hôtel et Forever Valley forment les deux premiers volets.

Raymond Bellour (Magazine littéraire, octobre 1987)

Une mythologie blanche
 
 S'il y avait une écriture blanche, comme au temps du roman nouveau, Marie Redonnet serait la plus blanche de nos écrivaines.
Son monde commence à sa phrase, brève, simple, légère, apparemment à peine écrite (mais on devine que c'est faux). Une phrase où les mots se reprennent, se chevauchent de façon doucement lancinante. Au point que chaque phrase semble pousser l'autre, la faire basculer, et presque disparaître, comme l'image sur le tableau de Mélie. “ Le tableau n'a pas supporté la lumière de mon ancien logement. Toutes les couleurs et même le modèle ont disparu. On ne peut plus savoir que le tableau de Mélie a été la copie d'un tableau du Musée du continent. On ne voit plus rien quand on regarde le tableau. Je l'ai photographié tel qu'il est maintenant. On voit une grande tache blanche sur la photo. Au dos de la photo j'ai écrit : Le grand tableau blanc de Mélie. ”
La phrase serait comme la photo, ces dix Polaroïds qui scandent le récit : l’exacte saisie d'un instant, sans métaphore, sans intériorité, sans interprétation. De l'écriture dénotée, aurait dit Barthes. On a rarement aussi bien senti qu'un personnage n'est jamais que le résultat d'un ensemble de phrases. Et pourtant tous les personnages de Marie Redonnet, nés de ces phrases qui semblent faites pour être oubliées, s'impriment dans la mémoire avec une netteté particulière, comme s'ils scintillaient.
Le monde dans lequel elle nous fait entrer (depuis Splendid Hôtel et Forever Valley avec lesquels Rose Mélie Rose compose un triptyque) est un monde mince, minimal, suspendu. Mais c'est un monde, un vrai monde, dont les éléments (les lieux, les personnages, leurs actions) semblent à la fois, étrangement, exister purement par eux-mêmes et être les traces d'un monde qui aurait disparu.
Ce monde, on l'aura deviné, c'est la mythologie. Le monde des contes et des légendes dont le livre que Rose a légué à Mélie est l'emblème. Mélie range les photos qu'elle fait entre les pages de son livre de légendes, c'est peut-être la plus juste image de ce récit dont la surface se construit sur un fond archaïque, et dont le titre joueur cache une généalogie. Mélie, l’héroïne, a douze ans quand l'histoire commence, seize ans quand elle se termine. La première Rose est la femme qui l'a trouvée, aussitôt après sa naissance, dans la Grotte aux Fées, et qui meurt au début du livre, ouvrant à Mélie, comme dans les récits initiatiques, le chemin de la vie. La seconde Rose est sa fille, que Mélie porte après sa naissance dans la Grotte, pour que l'histoire se répète et se poursuive comme au-delà du récit.
Entre les deux, il y a tous les autres personnages, que Mélie rencontre dès qu'elle quitte l'Ermitage, le pays des cascades, et arrive à Oat, un port presque abandonné, face au Continent. II y aura ainsi : le routier, qui la dépucelle sur le siège de son camion ; Yem, le vieux bibliothécaire, qui lit seulement l'ancien alphabet ; Mademoiselle Marthe, l’employée de mairie, qui embauche Mélie, l’initie aux mystères du Continental, et qu'on retrouve morte dans les toilettes du Bastringue ; le photographe, cloîtré chez lui après la mort de Mademoiselle Marthe ; Pim, le marin, qui baise Mélie à genoux sur la cuvette dans les toilettes du Continental ; le brocanteur, qui fait le va-et-vient entre Oat et le Continent ; Mélie (oui, il y a deux Mélie comme il y a deux Rose), la vieille dame qui sert à Mélie de seconde mère, et meurt comme la première ; Cob le vieux marin, retiré dans son bungalow sur la plage aux Mouettes ; Yem, le pêcheur, qui épouse Mélie, mais disparaît seul sur la Reine des Fées, son bateau.
Le charme intense de ce livre tient à la façon très particulière dont ces figures se composent et se décomposent. Marie Redonnet nous offre, avec plus que du talent, cette chose rare, à la fois toute neuve et immémoriale, une mythologie blanche. 

Michèle Bernstein (Libération, 24 septembre 1987)


Douze gouttes de sang
 
 Les romans de Marie Redonne obéissent à des lois que, dans mon ignorance, je qualifierai de physiques : la symétrie, le mystère, l'inéluctabilité et – poussière qui retourne à la poussière – la mort indifférente. Ainsi, Rose Melie Rose qui commence le jour des douze ans de l'héroïne par le sang de ses premières règles et se termine le jour de ses seize ans par le sang de son accouchement-trépas, est composé de douze chapitres, ponctué de douze photographies, et si vous avez la curiosité de compter vous trouverez douze personnages. Chaque élément possède un reflet binaire ou ternaire (un aller-retour a trois points d'arrêt) : la boite-bordel de l'île s'appelle le “ Continental ” et le “ Bordel-boîte ” du continent s’intitule l’“ Île bleue ”; Melie, enfant trouvée par Rose dans la grotte de l’Ermitage abandonnera dans la même grotte une Rose petite fille... Ie lecteur ou le personnage se perdrait volontiers dans ces correspondances : “ Rose, je la confonds un peu avec Melie. Heureusement que je n'habite pas chez Melie. J'aurais fini par me dire que Melie c'est Rose. (…) Les noms se mélangent facilement si on ne fait pas attention. C'est ce qui doit arriver à Yem qui pense que je suis Rose alors que je m'appelle Melie. ”
Il ne faudrait pas raconter ce livre : il faudrait en faire un graphique. Une fois tracés les angles égaux et les bifurcations légères, je sais très bien ce que je trouverais : un cristal de neige. Quand j'avais l'âge de Melie, on m'avait dit (est-ce vrai ?) qu'aucun flocon n’est jamais exactement semblable à un autre. Voilà pourquoi Rose Melie Rose, cristal qui fondra sous nos yeux, est si immédiatement identifiable aux deux précédents romans de Marie Redonnet, Splendid Hôtel et Forever Valley et pourtant différent. La preuve aussi que l'auteur a sa petite musique, c'est qu'elle devient virtuose dans la variation.
Pareil, un monde imaginaire. comme sorti d'un livre d'enfants cruel. Là, c'était la vallée, ici c'est l'île, avec leur annexe sauvage, montagnes ou ermitage. d'où descend une enfant trouvée. Pareil, dans cet univers factuel ou le bien et le mal n'existent pas tels que nous les connaissons, la petite fille s'acclimatera entre les deux faces nullement contradictoires de la société, la mairie, le bordel – et connaîtra une sorte d'amour voué à l'échec. Mais attention : alors que dans Forever Valley le bout du chemin était que la jeune fille ne serait jamais formée, et n’apprendrait pas à lire, dans Rose Melie Rose ces deux accomplissements sont les prémisses de l’histoire : “ Ici, je ne suis plus à l'Ermitage mais à Oat. Et maintenant que j'ai eu mes premières règles et que je ne suis plus vierge, je suis une jeune fille. ” Insistons lourdement sur ce fatalisme minéral, sur cette jugeotte d’une Mouchette extra-terrestre, et n'oublions pas que ce jour-là sa mère adoptive est morte, qu’elle a saigné pour la première fois, et le chauffeur du camion qui l'a prise en stop, l'a dépucelée sur la banquette : “ ...Je n'oublie pas tout ce que je dois au chauffeur ; C'est grâce à lui que je ne suis plus vierge. Il n'aurait plus manqué que j'arrive vierge à Oat, déjà que je ne connais pas le nouvel alphabet et que je ne suis pas en règle avec la mairie... ”
À partir de ce moment, nous allons assister à l'évolution de Melie, de tous ses protagonistes, et de l'île de Oat elle-même, selon un processus très strict : en mieux, en moins, en rien. Comme ces fleurs que l'on voit par un trucage s'épanouir sur l'écran et se faner à toute vitesse. La secrétaire de mairie, mademoiselle Marthe, celle qui prendra Melie sous sa protection, lui donnera son statut de fonctionnaire, et l'emmènera aux goûters dansants du “ Continental ”, où l'on descend dans les toilettes avec les partenaires, entre chaque danse, deviendra maire, directrice sur le continent de la concurrente “ Île Bleue ” reviendra dans l'île pauvre et déçue, et connaîtra “ une mort honteuse ” dans les toilettes du “ Bastringue ”, la boite mal famée (Ô humour : quand on sait ce qui se passe au “ Continental ”, on se demande vraiment ce que peut être une boite “ mal famée ”. Yem, le petit marin, achètera le bateau, La Reine des Fées, prendra plus de poisson que les autres, moins de poisson, plus de poisson du tout, et partira, le jour de son mariage avec Melie, dans le chenal d'où l'on ne revient pas. (À noter que la seule possession terrestre de Melie était son livre de légendes, La Reine des Fées et qu'un autre grand bateau tout blanc du même nom viendra emporter le patron-pêcheur vers un au-delà blafard...). Le grand tableau de Melie (l'autre Melie...) deviendra tout blanc à la lumière... Les six premières photos sont, si l'on peut dire, pleines (“ 7, rue des Charmes, la cour recouverte de fleurs... ”) les six dernières, creuses, (“ L'avant de la Buick et Yem et Melie invisibles sur la banquette arrière. ”) Comment rendre compte d'une construction si précise et si compliquée ?
Marie Redonnet est un auteur singulier et ambigu. J'aime me perdre dans sa galerie de glaces. Je n'ai pas trouvé de sortie, pour moi c'est parfait comme ça ; je ne sais pas si elle en a mis une. À vouloir vous indiquer le chemin, je mentirais... 

 




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