Critique


Agnès Minazzoli

La Première ombre

Réflexion sur le miroir et la pensée
Prix Fénéon 1991


1991
Collection Critique , 192 pages, 24 hors-texte
ISBN : 9782707313669
23.05 €


Une légende veut que la peinture soit née de l’ombre, d’une ombre portée sur un mur et du tracé qui l’entoura : une jeune fille voulut ainsi garder l’image de son amant sur le point de partir. L’image porte absence et présence, ombre et lumière, elle les réconcilie ou souligne leur conflit. La “ première ombre ”, c’est aussi le nom que Dante donnait au jour.
Ainsi se définit l’espace d’une dialectique dont il convient de poser les termes et d’éclairer les enjeux dans la conscience la plus vive qu’il n’est rien de visible ni de pensable qui ne se réfléchisse en son double ou en son contraire : le miroir se présente alors comme un lieu d’interrogation privilégié pour mettre au jour la profondeur de l’image. Image mentale, image du rêve, image peinte : en elles, il révélera le foyer d’une réflexion sur l’acte même de penser. Avec Nicolas de Cues et les artistes flamands, avec Albrecht Dürer, la philosophie et la peinture renaissante, si souvent en écho, nous conduisent au point d’intensité maximale d’une telle réflexion : image vivante la pensée est aussi ce miroir inventif qui s’interroge sur le principe de ses propres créations. Œuvre d’art, œuvres de pensées, à quel sujet renvoient ces miroirs ? Et cette question se trouve répercutée jusqu’à nous, à travers notre présent tel qu’il est analysé par Valéry, Benjamin ou Merleau-Ponty et par des penseurs contemporains.
À travers l’image ? À travers le miroir ? Comme le rêve, l’image peut être un abîme, elle qui d’abord semblait évanescente, ombre ou reflet. Au Narcisse de la légende il faudrait opposer un Narcisse éveillé, vigilant, aux aguets : le Narcisse philosophe imaginé par Valéry ? Ou bien ce minuscule autoportrait de Jan Van Eyck au fond d’un miroir omnivoyant ? Entre ce sujet réduit à un point fuyant à l’infini et un sujet dont l’image s’étend aux dimensions du monde, existe-t-il une commune mesure hormis celle de la réflexion ?

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑

Introduction – 1. Miroir de lumière, miroir d’images – 2. Figures de la réflexion – 3. L’image profonde sous l’œil vigilant du miroir – 4. La ressemblance à venir – 5. De l’infime à l’infini, l’ombre du sujet – Conclusion – Index des noms propres – Table des illustrations

‑‑‑‑‑ Extrait de l’introduction ‑‑‑‑‑

Une longue tradition inscrit le visible sous un signe négatif, dans l’empire des ombres et des reflets : de ce non-lieu où les images nous trompent et nous échappent notre pensée ne saurait pourtant s’accommoder sans se nier elle-même. Qu’elle tente de comprendre à quoi tient une énigme et l’image s’introduit alors dans l’espace de la réflexion pour devenir l’origine et le lieu d’une interrogation singulière sur l’activité même de l’esprit.
Dans nos pensées et nos rêves ou devant un tableau, nous découvrons que l’image a le pouvoir de réfléchir. Mais de quelle manière capte-t-elle une idée, un souvenir, un visage, un regard ou cet horizon qui s’étend sous nos yeux ? Peut-être en est-elle la prison si elle les retient définitivement en elle et les immobilise comme les insectes enfermés dans le verre de ces petites inclusions que l’on découvre encore parfois chez les naturalistes. En ce cas, l’image est morte, sacrifiée à la répétition de l’original, et le miroir qu’elle nous tend porte la marque de la stérilité qui fige les reflets dans la froideur du gel où Mallarmé vit mourir le cygne surpris par l’ennui.
Comment approcher les images, sensibles à la vue, à l’écoute et à la pensée, pour les laisser s’ouvrir tout entières et se déployer sous nos yeux dans leur plus grande ampleur ? Si nous regardons les tableaux à travers le miroir averti des peintres, il est probable que nous pourrons vérifier que voir et penser nous demandent la même patience et la même attention.


 

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