Romans


Aidan Higgins

La Mort que l’on se donne

Traduit de l’anglais par Edith Fournier


1963
256 pages
ISBN : 9782707303615
15.15 €


* Titre original : Felo de Se (1960). Table des matièresLe Clos de Killachter
Espace vital
Asile
Offensive d'hiver
Une tour et ses anges
La nuit tombe sur le cap Piscator

Pierre Lepape (Paris-Normandie, 1963)

 Cela commence comme un bon petit roman bien tranquille. Une propriété, des vieilles filles un peu trop laides, leurs tics, leurs défauts, leur poussière. Un peu d’humour, une extrême sobriété d’expression, un sens aigu du portrait. Bref, on se demande un peu ce que vient faire ce Monsieur Aidan Higgins et La Mort que l’on se donne parmi l’avant-garde audacieuse des “ Écrivains de Minuit ”.
Et puis imperceptiblement, de la manière même dont vivent ses personnages, sans éclat, sans brusquerie, le propos prend un singulier virage. Le comportement des quatre sœurs Kervick – les héroïnes de la première nouvelle du recueil : “ Le clos de Killatcher ” – cesse peu à peu de paraître ridicule pour devenir tragique. Derrière de nouveaux mots, de nouvelles attitudes, tout aussi insignifiants que les précédents, se découvre peu à peu la réalité existentielle dramatique des personnages et le suicide de l’une des deux sœurs – sans que le ton du récit ait monté d’un point d’exclamation – apparaîtra comme un dénouement normal à cette vie sans histoire.
De quoi souffrent donc les personnages d'Higgins ? Pourquoi Emily-May Kervick, Sevi Klein et Michaël Alpin verront-ils dans la mort, non même une solution, mais une suite logique à leur vie ? Ce sont des malades ? Des fous ? Peut-être un peu, mais tout de même ils nous ressemblent aussi de façon surprenante.
C'est la seconde nouvelle du recueil, significativement appelée “ Espace vital ” qui nous livre le plus explicitement les clefs de l'univers d'Higgins. Semblables en plus d'un point aux héros de Musil, les êtres qui hantent ce monde de ouate, de sable mouvant, sont radicalement étrangers à leur existence. Pour reprendre la terminologie sartrienne – et Higgins doit sans doute beaucoup à Sartre – nous dirons que ce sont des individus “ à côté ”. Prisonnières d'un passé comme les sœurs Kervick ou d'un avenir rêvé comme Sevi Klein, ils vivent, silhouettes dégingandées et disloquées, façonnées par toutes sortes de vents à côté d'un monde trop petit, où ils ne peuvent trouver leur espace vital.
Lorsque dans un sursaut d'énergie ils essaient d'attraper cette réalité quotidienne, de faire corps avec leur existence corporelle, leurs gestes sont comme interceptés, ramollis en tout cas, étouffés, séparés de l'impulsion qui les a fait naître, et finalement voués à l'inutilité.
On trouve presque trop de références pour cerner l'œuvre d'Higgins. Elle fait songer dans le même temps à Musil, à Sartre, mais aussi à Hemingway, à Marguerite Duras – celle de Moderato cantabile – à Charles Morgan. Une liste de noms un peu “ à côté ” elle aussi quand se présente à nous un écrivain aussi original dans sa simplicité, un style aussi jointement moulé à son propos, une galerie de personnages qui se dévorent eux-mêmes, qui se donnent à eux-mêmes la mort et dont la vie n'est qu'une longue chute, une chute à laquelle “ il n'est ni commencement ni fin. C'est une durée infinie. ” 

Maurice Nadeau (L’Express, 1963)

 Higgins crée des atmosphères, ne déteste pas le pittoresque, et cherche à bénéficier des ressources d’une écriture tour à tour ou à la fois sarcastique, amère, satirique, descriptive, vraiment ou faussement objective, bref, une écriture de romancier, avec toutes ses facilités et ses pouvoirs. D’un romancier moderne : qui se passe d’analyses et d’explications, qui monte. 

 





Toutes les parutions de l'année en cours
 

Les parutions classées par année