Théâtre


Eschyle

Les Choéphores et Les Euménides

Traduction de Jean et Mayotte Bollack


2009
144 p.
ISBN : 9782707320865
13.70 €


Le meurtre du grand roi a eu lieu. C'est le sujet d'Agamemnon, la première pièce de la trilogie d’Eschyle que depuis vingt-cinq siècles nous appelons l’Orestie. Lui succèdent les deux pièces réunies dans ce volume, les Choéphores, ou  Les Verseuses de libations , et Les Euménides  ou  Les Bienveillantes . L’une célèbre la vengeance rituelle d’un meurtre horrible par une exécution scandaleuse, qui demande à son tour une purification : deux enfants tuent leur mère, une reine, et son concubin. Les libations répétées, offrandes ou sacrifices, ne se concilieront pas les morts. L’autre conduit au lent ralliement des puissances souterraines qui défendent les victimes des crimes de sang. L’unité des deux pièces apparaît dans le fait qu’elles appartiennent toutes deux aux suites et aux lourdes conséquences d’un désastre primordial : pourtant elles ont chacune un monde à elle, l’un humain, l’autre divin : elles sont jouables conjointement ou séparément. Leur traduction a pu donner dans le passé des chefs-d'œuvre de pompe ou d’éloquence, mais jamais sans doute la lecture brute des mots et de la métaphore grecque n’a aspiré aussi intensément à rencontrer le théâtre et son ouverture à la modernité, sur le terrain de la langue étrangère. L’alliance se cherche entre le déchiffrement patient de la lettre et l’oralité éclatante de la performance.

John E. Jackson, Le Temps, samedi 6 juin 2009

Une nouvelle traduction du théâtre d'Eschyle, signée Jean et Mayotte Bollack, éclaire le texte et l"étonnante synthèse des âges réalisée par le tragédien grec.

Rien n’est plus grand que L’Orestie. La trilogie d’Eschyle, qui représente le meurtre d’Agamemnon par Clytemnestre à son retour de Troie, puis le meurtre de cette même Clytemnestre par son fils Oreste et enfin le procès au cours duquel celui-ci sera acquitté par Athéna et les Erinyes qui le poursuivaient transformées en Euménides, c’est-à-dire en figures bienveillantes, formule le mythe d’une naissance de la justice humaine avec une puissance théâtrale que seul Shakespeare, depuis, a su parfois égaler. La densité du vers, la cohérence à la fois implacable et éclatante des images, le sens de l’économie dramatique de ces trois pièces sont tels qu’on en demeure saisi à chaque lecture ou à chaque représentation. Il faut le redire, en ces années où toute mémoire de grandeur se perd: ce sont des œuvres comme celles-là qui font de la littérature un bien indispensable.
Claudel, avec sa force, mais aussi sa vision tendancieuse, en avait proposé en 1920 une version française qui christianisait le texte de manière très sensible. Cela n’empêchait pas des réussites, comme celle qui prête au Veilleur qu’on entend dans le prologue de l’Agamemnon ces paroles: Un bœuf/est dessus ma langue pour dire combien il tremblait de parler. Paul Mazon, lui, traduisant le texte pour les Belles Lettres, visait à une clarté qu’il réussissait à trouver, quitte à prêter à la langue d’Eschyle un poli qui n’est pas le sien.
Jean Bollack, lui, ayant travaillé toute sa vie sur ces œuvres, dont il a fourni un commentaire colossal, a une autre visée, celle de rendre au grec d’Eschyle la mystérieuse étrangeté qui est la sienne. Ne craignant pas l’obscurité, la traduction qu’il propose aujour­d’hui des Choéphores et des Euménides réalisée avec la collaboration de sa femme Mayotte sait allier précision et efficacité. Ainsi par exemple de cette réplique du Chœur, dans le kommos, la longue plainte adressée aux dieux :

Grandes Moires, qu’au nom
de Zeus
S’accomplisse la justice sur cette voie
où elle se renverse;
Contre une parole de haine,
que s’achève la parole
De la haine! Réclamant son dû,
Justice crie fort:
Coup pour coup, que le meurtre
paye le meurtre
Par un meurtre, il a agi, il subira.
Le mot qui le dit est trois fois
ancestral.

Comme il le dit dans sa préface, la traduction de Bollack, appuyée sur une analyse philologique de plusieurs décennies, est tributaire d’une vision, qui aide à la compréhension de la trilogie: Oreste, quand il se rend à Athènes, où Athéna se rend aussi en rentrant de Troie - il l’y attend –, a parcouru le monde entier sur le conseil de son dieu, à la recherche de contacts humains. C’est comme s’il s’était humanisé dans la société, s’il y était devenu l’homme par excellence, l’exilé éternel. Les Erinyes l’ont suivi à la trace, elles ne le lâchent pas. Mais, sur ce parcours, elles s’acclimatent à la nature humaine, à leur tour et de leur propre chef […]. C’est dire que les Erinyes suivent par étapes toute une évolution. ­Elles prennent conscience de ce qu’elles sont originairement dans l’ordre théogonique et de ce qu’elles devront être à présent, dans l’ordre des valeurs de la cité. Ce n’est donc ni l’institution, le tribunal de l’Aréopage, ni les normes incarnées par les autorités judiciaires qu’Eschyle se serait chargé de présenter à son public, mais le spectacle prodigieux d’une synthèse gigantesque entre les âges. Une telle manière de voir renouvelle notre compréhension. Elle éclaire la traduction.

 




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