Philosophie


Catherine Colliot-Thélène

Le Désenchantement de l’État

De Hegel à Max Weber


1992
Collection Philosophie , 272 pages
ISBN : 9782707314307
22.40 €


Cet ouvrage part du constat des similitudes qui existent entre les descriptions que Hegel et Max Weber proposent de l’État moderne. L’histoire de la formation de l’État allemand explique en partie ces convergences. Elles fournissent une occasion exceptionnelle de confronter deux types de discours sur la politique : la Philosophie du droit de Hegel d’un côté, la “ sociologie de la domination ” de Max Weber de l’autre, qui illustrent les approches philosophique et sociologique de la politique. La comparaison de ces deux discours, l’étude des mutations que subirent, de l’un à l’autre, concepts et interrogations, éclairent le procès par lequel les sciences humaines ont victorieusement disputé à la philosophie les champs du social et de l’histoire, fixant ainsi les traits dominants de la configuration des disciplines au XXe siècle.
Tout au long de cette transformation, la pensée de la politique et la pensée de l’histoire furent étroitement solidaires. Et la pensée de l’histoire, à son tour, était liée à l’idée du divin. Entre la spéculation hégélienne et la sociologie wébérienne, l’École historique allemande du XIXe siècle constitue un maillon essentiel. Son ambition était de libérer l’historiographie des présupposés de la philosophie. L’histoire universelle restait cependant encore pour elle un “ hiéroglyphe sacré ” dont elle cherchait à deviner le sens à défaut de pouvoir le connaître. L’innovation de Max Weber fut de rompre toute connivence entre savoir historique et théologie en se réclamant d’une conception de la vie strictement terrestre. Avec cette rupture s’accomplit également la scission entre la connaissance de la logique du politique et la réflexion éthique. Il devint définitivement impossible de présenter l’État comme une manifestation de l’esprit, source et horizon de toute liberté authentique. Proche parente de l’histoire, la sociologie wébérienne est une science délibérément positive, non parce que Weber aurait méconnu les exigences de sens que la philosophie faisait naguère valoir, mais parce que les modes de socialisation caractéristiques du monde moderne, tels qu’il les analyse, rendent vaine la recherche d’un sens ou d’une norme. Le scepticisme de Weber en matière éthique est fondé sur son interprétation des structures de la socialité des modernes et s’avère par là une position beaucoup plus difficile à réduire que ne l’ont cru les philosophes du XXe siècle, prompts à dénoncer l’historicisme sociologique. Mieux encore, cette interprétation permet de reconnaître dans certaines options de la philosophie du XXe siècle, dont Heidegger est le représentant le plus éminent, une quête de salut qui traduit le refus d’accepter de penser et de vivre dans un monde condamné à la positivité.

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑

Introduction – I. Hegel et la modernité – II. L’École historique allemande – III. Science positive et philosophie des valeurs – IV. Un concept sociologique du politique – Conclusion – Bibliographie.

‑‑‑‑‑ Extrait de l’ouvrage ‑‑‑‑‑

La reconnaissance de la nécessité des règles juridiques est pour Hegel la pierre de touche de la signification dernière d’une position ou d’une doctrine politique à l’époque contemporaine. C’est à ce critère qu’il mesure par exemple, pour le condamner, l’ouvrage de Karl Ludwig von Haller, La Restauration de la science de l’État :  la haine de la loi, de tout droit déterminé formellement et légalement  est en effet  le schibboleth auquel se laissent manifestement et infailliblement reconnaître le fanatisme, la faiblesse d’esprit et l’hypocrisie des bonnes intentions, quels que soient les vêtements dont ils se couvrent  (PhD, § 258, add.). L’existence de lois fixes et clairement définies, liant les gouvernants aussi bien que les gouvernés, est ce qui distingue l’État rationnel de toute forme de despotisme. Car celui-ci est, tout simplement, une situation d’absence de loi (§ 278) : absolutisme, monarchique et démocratie majoritaire se rejoignent sur ce point, en ce qu’ils mettent en lieu et place de la légalité constitutionnelle une volonté particulière, celle du monarque dans le premier cas, du peuple dans le second. Dans un État rationnel, lorsque les sujets se soumettent aux autorités, ils obéissent à la loi d’où procède le pouvoir de celles-ci, et conformément à laquelle elles statuent. C’est pourquoi le devoir qui oblige le citoyen est qualitativement différent d’une relation d’obédience privée. 

(Libération, 15 octobre 1992)

 L’auteur pose une question qui n’avait pas été directement formulée jusqu’à ce jour : comment les champs du social et de l’histoire ont-ils été subtilisés aux philosophes par les sciences humaines ? Cette passation d’objets du discours est examinée à travers l’étude des textes respectifs de Hegel et de Max Weber sur la formation de l’État allemand. Leur comparaison révèle un changement d’approche de l’État moderne, qui est pourtant défini dans les mêmes termes : “ La loi, tout d’abord, l’existence d’un corps de fonctionnaires ensuite. ” Ces termes, apparemment anodins, assurent en fait la transition d’une philosophie du droit à une sociologie de la domination. 

 




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