Paradoxe


William Marx

La Haine de la littérature


2015
224 p.
ISBN : 9782707329165
19.50 €


Ils l’ont attaquée, conspuée, condamnée, sous tous les prétextes, sous tous les régimes, avec les meilleures ou les pires intentions, pour de mauvaises raisons et parfois même pour de bonnes. Ils ont exilé les poètes, brûlé leurs livres – ou en ont simplement formulé le souhait. Voilà 2500 ans que la littérature est sujette à toutes les critiques et toutes les accusations de la part de philosophes et de théologiens, de prêtres et de pédagogues, de scientifiques et de sociologues, de rois, d’empereurs et même de présidents.De Platon à Nicolas Sarkozy, ce livre fournit toutes les pièces de ce procès ahurissant, fait le portrait d’une incroyable galerie de grotesques et de ridicules, et retrace à sa manière une autre histoire de la littérature occidentale depuis les origines, pleine de bruit et de fureur, de bêtise, d’hypocrisie et d’ignorance, avec ses querelles et ses combats, ses défaites et ses triomphes, ses stratèges, ses traîtres et ses héros.
Avec la haine de la littérature se révèle la face cachée de l’histoire de la littérature – celle qui lui donne peut-être son sens véritable.

ISBN
PDF : 9782707329189
ePub : 9782707329172

Prix : 13.99 €

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Robert Kopp, Le Magazine littéraire, octobre 2015

De l’allergie aux plumes

La Haine de la littérature : aujourd’hui plus dissimulée, cette passion s’est de tout temps exercée.

 " D’où vient donc cette haine contre la littérature ? Est-ce envie ou bêtise ? L’une et l’autre, sans doute, avec une forte dose d’hypocrisie, en sus " , écrit Flaubert à la princesse Mathilde le 2 juillet 1867, dix ans après le procès de Madame Bovaryet des Fleurs du mal. Or cette envie ou cette bêtise remontent loin, puisque c’est Platon déjà, on s’en souvient, qui voulait chasser les poètes de sa république. Pourquoi ? Parce qu’ils débitent des mensonges, exercice strictement réservé, comme il tient à le préciser : « S’il appartient à quelqu’un de mentir, c’est aux gouverneurs de la cité, pour tromper les ennemis ou les citoyens, quand l’intérêt de l’État l’exige. » Ce qui, pour Platon, était sans doute une exception est devenu, de nos jours, une règle que nos gouvernants suivent avec une rare persévérance. Que certains d’entre eux traitent, de surcroît, d’« imbéciles », voire de « sadiques » ceux qui pensent que la lecture de La Princesse de Clèves pourrait profiter même aux agents de l’État, ou que d’autres avouent avec une désarmante candeur être incapables de citer ne fût-ce qu’un titre du dernier Prix Nobel français de littérature ne fait que parachever le tableau.
Il y a quelques années, William Marx a publié un brillant essai sur les renoncements à la littérature, de Rimbaud à Valéry, de Hofmannsthal à Hermann Broch, cette condamnation fin de siècle des lettres, qui a suivi leur surévaluation romantique. Cette fois-ci, ce n’est pas aux attaques et aux contestations, aux doutes et aux renoncements qui viennent de l’intérieur même de la littérature, que s’intéresse William Marx, mais à ses ennemis extérieurs : philosophes, scientifiques, gardiens de la moralité publique, sociologues, linguistes.
A l’origine, dans des temps très anciens, si anciens qu’ils n’existent peut-être que dans notre imagination, Apollon était le dieu à la fois de la poésie et de la vérité. Poésie et vérité ne faisaient qu’un, se confondaient dans la parole proférée par l’aède sous l’emprise des Muses. Mais l’autorité de cette parole divine ne fut pas du goût des philosophes qui, Platon le premier, tentaient de remplacer les vieilles légendes des poètes, condamnés désormais à l’errance, par des mythes de leur propre invention. Le christianisme a suivi la même voie : « Je détruirai l’habileté des habiles, et l’intelligence des intelligents, je l’anéantirai », annonce saint Paul. Devenu religion d’État, il a dû toutefois gérer l’héritage antique, d’où certains accommodements avec le monde des lettrés.
Moins accommodants que les philosophes et les hommes d’Église furent les hommes de science qui, eux aussi, disputaient aux poètes leurs privilèges, s’estimant détenteurs de vérités qu’ils étaient seuls à posséder. D’Héraclite à d’Alembert, de Renan à Charles Percy Snow, on ne compte pas les annonces de péremption des lettres et des arts, rabaissés au niveau de simples passe-temps. Si au moins ceux-ci nous rendaient meilleurs ! Ce n’est pas le cas, hélas ! pensent les accapareurs de la morale publique, qui, de Savonarole à Goebbels, ont brûlé les livres. Si ceux-ci, au moins, pouvaient nous renseigner sur l’état de la société, ou sur le fonctionnement du langage. Nenni ! crient en chœur les sociologues et les linguistes. La littérature n’est qu’un instrument de domination aux mains des possédants. Il faut donc la bannir de l’enseignement au même titre que la culture générale.
Quatre procès éternellement recommencés dont les seuils décisifs pourraient bien correspondre à quatre âges : Homère et la Bible, la littérature comme autorité, la langue participant au sacré ; la littérature comme vision dans un monde sécularisé ; comme action, de la Renaissance aux Lumières ; comme expression  individuelle ou collective à l’époque romantique. Successivement, la littérature se fait expulser des territoires qu’elle occupait. Mais, en fin de compte, c’est bien l’antilittérature qui garantit sa pérennité. Le vice ne se lasse pas de rendre hommage à la vertu.

Jean-Louis Jeannelle, Le Monde, vendredi 30 octobre 2015

« La Haine de la littérature », de William Marx, est une superbe réflexion sur un art qui n’est jamais plus vivant que sous les coups de la critique »

Il y a dix ans de cela, William Marx, professeur à Paris-Ouest-Nanterre, créait l’événement avec L’Adieu à la littérature (Minuit, 2005). Cette ambitieuse « histoire d’une dévalorisation »suscita la discussion  : la littérature était-elle seule responsable de son inexorable perte ­d’influence ? C’est à ce même enjeu que répond aujourd’hui La Haine de la littérature, mais d’un tout autre point de vue, et comme de l’extérieur.
Car, si ses défenseurs admettent souvent ne savoir définir la « littérature », ses pourfendeurs, quant à eux, s’en chargent volontiers. A commencer par Platon, à l’origine, dans La République, du vaste procès intenté à la poésie. William Marx en examine les quatre facettes, dans l’ordre suivant  : procès au nom de l’autorité, de la vérité, de la moralité et de la société. Non sans glisser, au préalable, un chapitre ­consacré aux origines supposées de cet art du langage. Car une telle hostilité à l’égard de la poésie n’est autre que l’envers du prestige dont a joui autrefois cette parole inspirée. L’Iliade débute sur une invocation à la Muse  : « Chante, déesse, la colère d’Achille, fils de Pélée… » Ce temps mythique n’a peut-être jamais existé (« Homère lui-même croyait-il à la Muse ? », se demande William Marx), mais au fond qu’importe ! L’essentiel est qu’en exilant de sa cité idéale les poètes, coupables d’imiter un réel, pâle imitation à son tour des Idées ou essences visées par la philosophie seule, Platon s’est employé à les déposséder du rayonnement qui était le leur.
Très ancien conflit
Telle est bien la thèse ici défendue : « C’est quand elle commence à avoir des ennuis que la littérature commence tout court. » Philosophie, politique ou religion : quelle que soi l’autorité concurrente, désormais, la littérature, « c’est ce qu’on attaque » ou « ce qu’on exile ». Rien de tout à fait nouveau jusque-là. L’intérêt de cet essai n’est pas dans sa relecture de La République de Platon, si souvent commentée, mais dans la manière dont il met admirablement en scène cette guerre des discours opposant la littérature à ses concurrents les plus directs – une logomachie parfaitement rodée depuis.
Ainsi de la querelle opposant, à Cambridge, Sir Charles Percy Snow et Frank Raymond Leavis. En 1959, le premier, chimiste devenu romancier à succès, prétendit réconcilier la science et la littérature lors d’une conférence intitulée « Les deux cultures ». Las, le gentleman’s agreementproposé cachait une véritable déclaration de guerre. De la littérature, coupable d’être passéiste, artificielle, égocentrique, en un mot efféminée (une telle homophobie avait de quoi étonner, quelques années après la persécution dont Alan Turing, fondateur de la science informatique, fut victime en raison de son goût des hommes…), Snow attendait qu’elle se soumette pieds et poings liés à la raison scientifique. Leavis, qui régnait alors sur la critique, eut beau ridiculiser son adversaire, la cause défendue par Snow s’accordait à la technophilie de l’époque. Le débat eut un fort retentissement : il ne faisait toutefois que répéter un très ancien conflit, où Ernest Renan et d’Alembert, entre autres, avaient devancé Snow.
Plus violentes encore furent les attaques touchant aux mœurs. De Platon à Rousseau, les arguments n’ont pas manqué, mais c’est vers un obscur traité de 1687, Futilité de la poésie, que se tourne William Marx. Son auteur, le pasteur Tanneguy Le Fèvre, avait pour père (nommé lui aussi Tanneguy) le plus célèbre helléniste français, éditeur des œuvres de Sappho, d’Aristophane et de bien d’autres classiques (et pour sœur, Anne, épouse Dacier, dont la traduction d’Homère fut une révolution). La bataille antilittéraire s’y doublait d’un règlement de comptes œdipien et d’une dispute de famille.
On pourrait n’y voir que de simples querelles d’époque. Mais les attaques répétées, en 2006 et en 2008, de Nicolas Sarkozy contre l’infortunée Princesse de Clèves, de Mme de La Fayette, prouvent que dénoncer les méfaits de la littérature (élitiste, nombriliste ou désespérément inutile) reste payant. « La littérature est le discours illégitime par excellence. »
Faut-il le regretter ? William Marx n’entreprend ni défense ni illustration. La Haine de la littérature n’est pas un procès en appel, mais une réflexion sur l’impossible définition d’un art qui s’est vu, au fil des siècles, refuser tout ce à quoi il pouvait prétendre, et par conséquent poussé à se replier sur lui-même. Il est vrai que la Rome antique et païenne ne connut aucune flambée antilittéraire ; mais c’est que les litterae n’y constituaient pas un véritable enjeu. La plus grande menace pour la littérature resterait, paradoxalement, de ne plus susciter de haine.

 

Lire aussi le dossier publié par la revue Romanische Studien 4, 2016

 




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