Critique


Luce Irigaray

L’Oubli de l’air


1983
Collection Critique , 160 pages
ISBN : 9782707306388
8.45 €


 L’air n’est-il pas le tout de notre habiter en tant que mortels ? Y a-t-il un demeurer plus vaste, plus spacieux, et même plus généralement paisible que celui de l’air ? L’homme peut-il vivre ailleurs que dans l’air ? Ni dans la terre ni dans le feu ni dans l’eau, il n’y a un habiter possible pour lui. Aucun autre élément ne peut lui tenir lieu de lieu. Aucun autre élément ne porte avec lui, ou ne se laisse traverser par, lumière et ombre, voix ou silence. Aucune autre élément n’est à ce point l’ouvert même – sans nécessité d’ouverture ou réouverture pour qui n’aurait pas oublié sa nature. Aucun autre élément n’est aussi léger, libre, et sur le mode d’un “ il y a ” permanent disponible.
Aucun autre élément n’est ainsi l’espace avant toute localisation, et un substrat à la fois immobile et mobile, permanent et fluent, où de multiples découpages temporels restent toujours des possibles. Aucun autre élément n’est, sans doute, aussi originairement constituant du tout du monde sans que cette originalité s’achève jamais en un premier temps, une primauté simple, une autarcie, une autonomie, une propriété unique ni exclusive...
Cet élément, irréductiblement constitutif du tout, ne s’impose ni à la perception ni à la connaissance. Toujours là, il se laisse oublier.
Lieu de toute présence et absence ? Pas de présence sans air. Mais l’air n’ayant jamais lieu sur le mode de l’“ entrée en présence ” – sauf dans le vent ou le souffle ? –, le philosophe peut penser qu’il n’y a là qu’absence quand aucun étant ni aucune chose ne viennent à sa rencontre dans l’air.
La fondamentale déréliction de notre époque pourrait s’interpréter comme négligence de cet élément indispensable à la vie en toutes ses manifestations : des plus végétales et animales aux plus sublimes. Ce que nous rappelleraient sciences et techniques dans le risque d’une polémique radicale : celui de la destruction de l’univers par la désintégration de l’atome, ou son utilisation à des fins qui submergent nos pouvoirs de mortels. 
Luce Irigaray

Roger-Pol Droit (Le Monde, 1983)

 Vouloir résumer, face à l’ampleur du texte, demeure dérisoire. Deux notes ici suffiront. L’une sur le geste d’ensemble : qu’il s’agisse de Platon ou de Nietzsche, de Freud ou de Heidegger, la démarche de Luce Irigaray revient à interroger ce que la théorie, pour s’ériger et pour substituer, a capté, utilisé et oublié, du corps vivant (...) En retrouvant sous les concepts le charnel, le fluide, le sang et le souffle, Luce Irigaray crée, dans cette mécanique millénaire, dénommée culture, un appel d’air. 

 




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